Louis Guedet

Vendredi 10 septembre 1915

363ème et 361ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Je suis rentré le 8 à 18h du soir ici, 52, rue des Capucins, me voilà installé, réfugié. Pour combien de temps ? Y serais-je moins exposé et plus heureux que rue de Talleyrand 37 ?? J’ai visité hier nos ruines. Tout est vidé, il n’y a plus que des ruines, des bois brûlés, des ferrailles brisées, tordues, sans nom !!… Ici je suis comme désorienté ! Je suis enfin de cet après-midi à peu près installé. J’ai pu m’atteler à la besogne. Et Dieu sait si cela manque, seul sans aide passer à la correspondance, aux visites, démarches nécessitées par mes doubles fonctions de notaire et de juge de Paix, plutôt celui-ci que celui-là, car les actes sont nués ! Hier j’ai tenu une audience de conciliation avec l’intendant Racine pour des réquisitions militaires, nous avons commencé à 1h de l’après-midi et fini à 7h3/4 du soir !!! Cet intendant (3 galons) est fort intelligent et assez arrangeant. Entre-temps nous avons bavardés et il paraissait aussi écœuré que moi des faits et gestes de la gendarmerie, entre autres il me contait qu’un jour il avait été arrêté par un gendarme qui ne voulait pas le laisser continuer sa route et retourner à Châlons, sous prétexte que son sauf-conduit n’avait pas 72 lignes d’écriture ou d’imprimé comme tous les autres passeports de ce genre qu’il avait vérifié jusqu’à ce jour !! Le Pandore ne voulait pas en démordre ! Et il a fallu à ce brave intendant parlementer pendant une heure et discuter !! pour enfin pouvoir continuer son chemin !! Je savais les gendarmes bêtes, mais pas à ce point là !!!

Il m’est arrivé à cette audience une réflexion assez cocasse de la part d’une jeune femme qui avait assigné en conciliation un brave homme à qui elle avait loué il y a un an pour 4/5 jours une voiture. L’un et l’autre ne s’en étaient plus inquiétés et la voiture était toujours restée en location !! à 1Fr par jour !! = 369 Fr !! après une assez âpre discussion, on arriva à trouver que pour 200 Fr, c’était assez coquet vu à mon avis le peu de bonne foi de la fine mouche ! Enfin elle accepta tout en rechignant et en partant je lui dis : « Vous avez eu raison d’écouter votre juge de Paix, cela vaut mieux qu’un procès ! » – « Vous n’êtes pas un juge de Paix, oh non ! » me réplique-t-elle en riant, mi-figue, mi-raisin, « Alors, que suis-je donc ? » – « Oh ! vous n’êtes que la moitié d’un juge de Paix ! » – « Et pourquoi cela ? » – « Parce que vous n’êtes pas assez raide !! »

Et voilà !!

A St Martin trouvé mon monde assez bien portant, mais ma pauvre femme n’en peut plus !! Elle est d’une tristesse !! Il est temps que cette vie cesse pour elle… Nous avons eu sur la fin troupes sur troupes à cantonner. Vu le Général de Division Gramat (Antoine Gramat 1866 – 1924), ancien colonel du 132ème qui m’a dit qu’il y avait encore 400 survivants présents au régiment de la première partie du 132ème lors de la mobilisation ! et non 17 comme on me l’avait dit, n’empêche que cela fait 2600 tués !! Vu M. Maurice Walbaum (1886 – 1956), enchanté de causer de sa ville qu’il a quitté depuis plus d’un an. Il venait de recevoir sa nomination comme élève aviateur, il paraissait enchanté de quitter son automobile. Le lendemain, logé le général Brigaud (à vérifier), avec des chasseurs à pied, presque tous décorés de la Croix de Guerre, homme charmant. Rencontré M. Grignon, substitut du procureur de la Seine, ancien substitut au Parquet de Reims. Il logeait sous un hangar, nous lui avons offert la chambre de ma fille Marie-Louise, il était enchanté et s’extasiait sur les draps blancs. Nous avons causé longuement et il disait qu’on avait fait l’impossible pour faire du tort à M. Bossu, mon Procureur ! Il l’estime beaucoup, il a raison ! Tous s’attendent d’ici la fin du mois à une offensive générale. Réussira-t-elle ?…   Dieu le veuille !!

Vu tout à l’heure le Procureur, toujours charmant avec moi qui me faisait remarquer que nous étions les 2 seuls officiers publics restés à leur Poste, et il ajoutait même que j’avais la prédominance et l’avantage sur lui puisque j’étais resté durant l’occupation prussienne ! Il en a profité pour me dire qu’il demandait au Procureur Général que je sois nommé premier suppléant titulaire des 1er canton de Reims et 3ème, à la place de Chappe. Voulant me donner le pas sur les autres plus anciens qui avaient fuis. « Ce sera un titre honorifique de plus pour vous en attendant d’autres » me dit-il avec son fin sourire ! « Mais je tiens à ce que vous soyez nommé devant l’ennemi ». Je l’ai remercié.

Tout ici se prépare formidablement, pourvu que nous ne recevions pas trop d’éclaboussures ! Le Procureur nous a donné ordre de mettre toutes nos archives en sûreté : J’ai donné les ordres nécessaires à Landréat, mon greffier, pour mettre en sûreté les archives des deux greffes des 1er et 3ème cantons de Reims, dont les titulaires sont mobilisés. Celles des 2ème et 4ème cantons sont aux abris de justice. Me voilà donc en règle et paré. A la Grâce de Dieu.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Paul Hess

10 septembre – Nous entendons siffler un seul obus à 9 h 3/4 ; peu de temps après, nous apprenons qu’il est  tombé près du pont de l’avenue de Laon, à l’entrée de la rue Lesage.

Un boucher, M. Welfringer, qui s’engageait sur le pont en voiture attelée, un petit marchand de journaux se tenant d’habitude dans ces parages et un passant ont été tués, ainsi que deux che­vaux. Trois autres personnes ont été blessées.

A midi, en m’en revenant du bureau, je remarque tout de suite le point de chute et les traces des éclats de ce projectile sur les maisons voisines.

  • Le Courrier donne le compte-rendu d’une séance du con­seil municipal tenue avant-hier, sous la présidence de M. le Dr Langlet, maire, à laquelle étaient présents : MM. Bataille, de Bruignac, Em. Charbonneaux, Chezel, Demaison, Drancourt, Guernier, Gustave Houlon, Pierre Lelarge et Rohart.

M. Jallade faisait fonction de secrétaire.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

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 Cardinal Luçon

Vendredi 10 – Nuit tranquille, sauf – comme dans les précédentes – de violents coups de canons de temps en temps, vers 9 h. 1/2, 1 h. 1/2, 2 h., 3 ou 4 h. Cette nuit à 3 h. Dans la matinée, canonnade active. Via Crucis in Cathedrali.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

 

Vendredi 10 septembre

Lutte de grenades et fusillade en Artois (Neuville et Roclincourt). Canonnade autour d’Arras et de Roye. En Argonne (la Fontaine-aux-Charmes), les Allemands, après avoir vainement renouvelé leurs attaques acharnées ont cessé toute offensive d’infanterie. Ils se sont bornés à faire tonner leurs batteries. Nous avons fait des prisonniers.
Quelques engagements à notre avantage dans la forêt de Parroy (Lorraine).
Dans les Vosges, combat à la grenade près de Metzeral.
Canonnade en Woëvre, au bois d’Apremont et au bois Mortmare.
Sur le front russe, la situation reste stationnaire dans le secteur nord (régions de Dwinsk-Vilna et Riga). Dans la région de Grodno, l’offensive allemande a été arrêtée. En Galicie, nos alliés ont remporté plusieurs brillants succès près de Tarnopol. Ils ont pris en tout 12.000 officiers et soldats ainsi qu’un certain nombre de canons.
M. Bark, ministre des Finances de Russie, est parti pour Londres.
Les Anglais ont eu à subir encore un raid de zeppelins (comtés de l’Est, district de Londres), qui a fait vingt morts et quatre-vingt-six blessés.
L’Allemagne, à la suite d’incidents de piraterie navale, a dû exprimer ses regrets à la Hollande et au Danemark.
Le canon tonne violemment dans la presqu’île de Gallipoli
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Source : La Grande Guerre au jour le jour