Abbé Rémi Thinot

21 FEVRIER – dimanche –

Je monte à « 204 »[1], puis à Maison forestière, aujourd’hui, J’irai faire dimanche avec les troupiers.

Je vois les nouveaux cimetières que le 4ème Corps vient d’ouvrir, sur la gauche, dans le ravin. Il y a plusieurs corps qui attendent. Un troupier vient me demander, les larmes aux yeux, si je veux dire la prière des morts pour leur camarade. Je dis un De profondis.

Je cherche les dégâts de la veille. Heureusement, l’obus est tombé entre la maison et le puits.

La paroi de bois de la chambre est criblée ; la cervelle entière de l’infirmier a grêlé le plafond…

Dans les tranchées, c’est 30, 40, 50 centimètres d’eau, de boue visqueuse blanchâtre ; c’est inqualifiable… Je repasse par le grand entonnoir ; Je vais au-delà… Je distribue des médailles de la Ste Vierge ; Je cause avec les hommes… ils ne sont pas trop démolis…

Les obus tombent surtout vers la Corne du Bois… mêmes horreurs, cadavres accumulés etc…

Et nos obus passent, rageurs, et les marmites boches éclatent en face, en gerbes énormes.

[1] La cote 204

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à Reims

Paul Hess

La nuit a été calme.

En me rendant, ainsi que chaque semaine, place Amélie-Doublié, chez mon beau-frère Montier, je puis examiner en passant, un obus de 150 se trouvant à l’entrée gauche de la rue Lesage. Cet engin, entouré d’une petite barrière protectrice a roulé là, contre le trottoir, le vendredi 19 dans la matinée, après avoir défoncé, sans éclater, la façade de l’immeuble n° 1, à hauteur du premier étage.

– Canonnade toute la journée.

– A 21 heures, un bombardement commence ; son intensité lui donne tout de suite un caractère très dangereux. Je me lève donc sans tarder, afin de me rendre, ainsi qu’il a été convenu, dans le sous-sol de la maison d’à côté (n°10), où doivent se trouver la personne et son fils qui gardent cet immeuble. Peu de temps après mon arrivée, les deux voisines, mère et fille, demeurées en face, au n° 5, accourent à leur tour se réfugier là, comme elles en ont déjà l’habitude, pour ne pas rester seules de leur côté, de sorte que tous les habitants de la rue Bonhomme, d’accord en vue de se grouper dans pareille circonstance, sont réunis en cet endroit, au nombre de cinq.

C’est par rafales que les obus arrivent cette nuit ; à certains moments, il sont si rapprochés que nous en comptons jusqu’à dix et plus à la minute.

Nous entendons avec épouvante des explosions nombreuses dans le voisinage, mêlées toujours aux sifflements de nouvelles arrivées se croisant en tous sens, d’où nous pouvons déduire facilement que l’ennemi tire à volonté, de différents côté sur le centre de la ville et que de nombreuses batteries sont en action, de Brimont jusqu’à l’est de Reims.

Pour nous réchauffer, nous avons pris du café, que Mme Bauchard a pu préparer tout de même et nous sommes là, comme hébétés par la quantité considérable d’obus que nous entendons éclater sans arrêt pendant de longues heures, quand les douze coups de minuit somment à l’horloge de la mairie.

Nous ne cousions plus ; l’esprit tendu, nous retenions toute notre attention sur la perception des sifflements, mais à cet instant, une pensée commune a transformé les physionomies sur lesquelles s’esquisse même un sourire lorsque je dis :

« Tiens, le beffroi de l’hôtel de ville est encore debout ! »

C’est en effet une surprise, tant nous pouvions être persuadés de ne plus voir que des ruines lorsque nous sortirions de notre abri, car, cette fois, c’est la démolition en grand, à coups de canon de tous calibres.

Et la séance continue, sans aucun ralentissement dans cette pluie ininterrompue de projectiles, dont un certain nombre tombent dans nos environs immédiats, sans qu’on entende le moindre cri. Vacarme effroyable, coupé à de très courts intervalles par un silence de mort.

Une demi-heure environ s’est passée encore. Tout à coup, au milieu des autres, un sifflement sinistre qui s’accentue rapidement, nous donne nettement la notion d’un danger inévitable, car nous baissons tous la tête, et, en même temps que m’est venue la pensée : « C’est pour nous », le choc formidable auquel nous nous attendions, ainsi qu’une explosion terrible ébranlent la maison, alors qu’au-dessus nous entendons le fracas de matériaux projetés violemment et de vitres brisées. Je regarde l’heure : minuit 40.

Craignant les effets d’un obus incendiaire, car l’immeuble a été touché, ce n’est pas douteux, j’ouvre la porte du sous-sol pour aller immédiatement me rendre compte de ce qui est arrivé, mais un épais nuage de fumée toute noire l’a déjà envahi et cache complètement à ma vue l’escalier vers lequel je voulais me diriger. A tâtons, je m’y retrouve enfin et remontant lentement, je me dirige vers la cour après avoir jeté, en passant, un rapide coup d’œil dans le vestibule et, de là, j’aperçois tout de suite l’énorme brèche faite par l’obus dans le mur mitoyen avec la maison où je reçois l’hospitalité de la part de M. et Mme Ricard depuis le 30 novembre.

Fixé sur ce qu’il en est à la maison n°10, je sors pour aller au n°8 et j’ai la douleur de voir que le projectile, démolissant une grande partie de la cuisine, a éclaté après avoir, de ce côté, troué le mur de 0.60 de celle-ci et causé d’importants dégâts dans les deux propriétés.

Le bombardement est toujours aussi serré. Tandis que je suis remonté « chez moi », je m’avise cependant d’aller ouvrir la petite porte en fer du jardin, donnant sur la rue du Petit-Arsenal, afin de jeter simplement un coup d’œil sur les environs ; je reconnais vite qu’il ne ferait aps bon s’attarder là ou ailleurs. Les sifflements et les arrivées toutes proches continuent si bien, qu’au moment où je juge prudent de rentrer et de refermer vivement cette porte, des éclats viennent s’y heurter avec force. Je redescends donc au sous-sol de l’immeuble n°10, faire part de mes constatations.

Les sinistres qui ont été allumés par des obus incendiaires, vers la rue Courmeaux et l’esplanade Cérès, paraissent progresser ; j’ai remarqué leurs fortes lueurs au cours de mon inspection rapide.

A 1 h 50, nouvelle secousse. Un projectile vient d’entrer avec fracas dans la maison n°3 de la rue Bonhomme, éclatant à l’intérieur après avoir pénétré dans la maçonnerie, au-dessus de la porte sur rue. Nous entendons encore le bruit des vitres brisées, des éclats, des pierres retombant lourdement sur le pavé à la suite de leur projection en l’air, par l’explosion.

Vers 2 h 1/2, le tir se ralentit enfin. Il a duré cinq heures et demie sans discontinuité, à une moyenne de quatre à cinq coups à la minute. Tous, nous goûtons le calme attendu si longtemps, au cours de cette nuit infernale et nous avons grand besoin de repos.

Je remonte un peu plus tard, les sifflements ayant complètement cessé et, par précaution, avant de rentrer pour me coucher, je vais regarder où en est l’incendie de la rue Courmeaux, m’assurer de l’importance des autres sinistres du quartier, de la direction du vent et à 3 h, je suis allongé dans mon lit où je sommeille jusqu’à 6 heures.

La nuit tragique du 21 au 22 février fera époque pour les malheureux Rémois, qui en sont à se demander ce qui leur a valu un bombardement aussi férocement destructeur. Pour les témoins de ce vandalisme exacerbé, il était manifeste que les Allemands assouvissaient leur rage sur la cité de Reims et sur ses habitants – les civils.

Pourquoi ? Oh ! l’épouvantable fléau de la guerre.

Pendant ce bombardement atroce, une vingtaine de maisons ont brûlés, rue Courmeaux, esplanade Cérès, rue des Trois-Raisinets, rue du Marc, impasse Saint-Jacques, place des Marchés, rue des Capucins, etc. Quantité d’autres ont été démolies ; nombreuses sont celles qui ne l’ont été qu’en partie.

Une vingtaine de personnes ont été tuées – hommes, femmes surtout, et enfants – la plupart dans leur lit.

A ajouter, parait-il, aux victimes, le colonel du 42e d’artillerie, atteint, avec un autre officier, auprès du pont, avenue de Paris.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

 Cardinal Luçon

Dimanche 21 – Nuit tranquille. Aéroplane, canons, bombes (?)

Nuit terrible : de 9 h à 2 h. bombes. Une chez nous ; 18 incendies flambent en ville. On parle de 1500, 1800 ou 2000 obus. Nos canons sont muets ou à peu près.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

21 – Dimanche. Temps gris. A 8 h du matin, tout est encore dans le calme le plus complet, l’après-midi, violente canonnade et bombes à 8 h 1/2 du soir, j’étais déjà au lit et j’étais même endormi lorsque le bombardement le plus terrible depuis le commencement du siège se déclenchait. Obus, bombes incendiaires de toutes sortes jusqu’à 10 h du soir. C’était terrible. Un obus par seconde ; de 10 à 11 h, un peu moins et alors ça recommence mais moins fort jusqu’à 1 h 3/4 du matin. 3100 obus environ sont tombés en ville causant des dégâts considérables. 5 incendies impasse Saint-Jacques, rue Buirette, place d’Erlon, des tués et des blessés. De 8 h 1/2 du soir à 2h 1/2 du matin, nous sommes restés dans la cave tenant sur les genoux les enfants que l’on avait pris aux lits. Un obus au n°94 de l’avenue de Paris. Le reste de la nuit assez calme.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy


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Rue Courmeaux, Collection Gallica-BNF autochrome

Dimanche 21 février

Les Allemands bombardent Nieuport et les Dunes, mais nous contrebattons efficacement leurs batteries. Ils ont subi de grosses pertes dans leur attaque contre nos tranchées à l’est d’Ypres, leurs réserves ayant été prises sous le feu de notre artillerie. Combats d’artillerie de la Lys à l’Oise et sur l’Aisne.
Notre action continue en Champagne, et nous occupons, au nord de Perthes, un bois que nos adversaires avaient fortement organisé. Aux Eparges (Hauts-de-Meuse, sud de Verdun) nous avons repoussé une série de contre-attaques, puis, à notre tour, prononcé une attaque grâce à laquelle nous avons élargi le terrain conquis par nous. Nous avons enlevé trois mitrailleuses, deux lance-bombes et fait 200 prisonniers. Combats dans les Vosges, près de Lusse et à l’ouest de Munster.
La flotte franco-anglaise, sous les ordres de l’amiral Carden, a bombardé les forts de l’entrée des Dardanelles. Ceux de la côte d’Europe, vigoureusement canonnés, ont été réduits au silence. Des hydravions, par leurs reconnaissances, ont contribué à l’efficacité de notre tir.
On croit qu’un troisième zeppelin s’est perdu au large de la côte danoise.
Un steamer anglais a été coulé par un sous-marin dans la mer d’Irlande. Un charbonnier norvégien a heurté une mine et a sombré sur la côte d’Écosse. Le chancelier de Bethmann-Hollweg est venu conférer à Vienne avec le baron Burian, ministre des Affaires étrangères.

Source : La Grande Guerre au jour le jour