Abbé Rémi Thinot

13 DECEMBRE – samedi –

Les allemands maintenant lancent des boulets plins ! [ ?]

Faut-il dire que je n’ai pas réentendu le canon avec déplaisir ? La vie grave d’ici me plaît autrement que la vie à Paris, quoique je doive reconnaître que la capitale, mise à part la question des théâtres, se tient bien.

Un mouvement se prépare toujours ; on fait reculer les services qui n’auraient jamais dû se tant rapprocher (ambulances etc..) et les munitions affluent tous les jours. On attend surtout qu’une quantité suffisante de munitions ait été réunie.

Entre 1 heure et 3 heures, beaucoup de boulets du coté de St. Remi. « Grave décision » Je vais faire comme les autres après avoir bien hésité ; je vais garder ma barbe !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédét

Dimanche 13 décembre 1914

92ème et 90ème jours de bataille et de bombardement

9h soir  Même nuit, même journée, même canonnade. Cela devient un « leitmotiv ».

Dans la matinée préparé tous les documents pour aller à Paris, reliques de Mareschal, etc…  soleil jusqu’à midi. Je rentre déjeuner quand vers midi 20 Bompas arrive comme un coup de vent : « M’sieur ! M’sieur ! Voulez-vous voir le Président de la République qui vient d’arriver à la Ville ? Venez ! Venez ! il est peut-être déjà parti ! » J’avale ma dernière bouchée de ma maigre pitance (un haché de bœuf bouilli avec des carottes de la veille !) et je file avec lui ! J’arrive sur la place de l’Hôtel de Ville par la rue des Boucheries – place déserte !! – 2/3 personnes, 2 autos contre l’Hôtel de Ville, entre la porte côté Consuls et l’urinoir, c’est tout.

On ne se douterait pas que le Président de la République est ici !!!! Bompas me quitte devant les marches de l’escalier de l’entrée de l’Hôtel de Ville. J’entre, personne. Je vais à la salle d’attente à gauche en entrant précédant la salle du Maire et des adjoints. 2 ou 3 agents de la Police Présidentielle, les employés de la Sous-Préfecture, tout le monde muet, silencieux. J’aborde M. Martin secrétaire de la sous-préfecture, nous causons. Le Président est bien là ! Il est midi 29 ! Pas de mouvement, pas de bruit. Et le brave M. Martin me dit, assis l’un contre l’autre : « Si les allemands savaient que le Président de la République est là !! Quelle dégelée !! » J’approuve du bonnet ! « Oui ! quel déluge de bombes sur notre pauvre Hôtel de Ville !! »

Tout à coup j’aperçois un petit homme sec, nerveux, encore plus petit parce qu’à côté notre Maire développe sa longue et maigre silhouette ! C’est le Président de la République, M. Poincaré qui surgit du cabinet du Maire et s’avance au milieu d’un silence complet vers la petite salle d’appariteur puis disparait, se dirigeant vers le perron par la sortie Mars vers son automobile !

Un commandement : « Portez, Armes !! Présentez Armes ! Garde à vous ! » et l’auto présidentielle s’en va par la rue Colbert ! Voir nos Ruines !! Pourvu que ce soit les dernières !

Le bas de page du feuillet a été découpé.

C’est fini. Je rentre finir de déjeuner !

Et voilà comment en l’an 1914 le 13 décembre, entre midi et midi 1/2 le Président de la République est venu rendre visite à notre Ville de Reims, la Ville martyre ! la Ville qui meurt ! la Ville Morte !

L’après-midi je vais voir le Président et le Procureur de la République pour me mettre en règle avec eux au sujet de mon voyage à Paris. Accueil cordial, charmant dans le parc de La Haubette. J’ai toutes les libertés pour aller voir mes aimés !! Je crois que vraiment on me trouve très crâne ! En tout cas, c’est de la crânerie du Devoir !!

A Dieu vat !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Canonnade assez violente et bombardement.

– Dans Le Courrier, sous le titre « Correspondance » et le sous-titre « Ne pas confondre censure militaire et censure civile », nous lisons ceci :

Monsieur,

Je ne viens pas à mon tour entamer de polémique au sujet de la censure civile qui me semble vous tenir et avec raison tant à cœur. Tout le monde reconnaît que certains excès de zèle doivent prêter légitimement à récrimination. Mais il faut que le public sache bien que la censure militaire, elle, est une nécessité impérieuse du temps de guerre. Au point de vue militaire, la plus grande prudence doit être de règle et il vaut mieux prendre en patience certains abus que de s’exposer à des dangers qui sont loin d’être imaginaires.

En voulez-vous un exemple ?

Un jour, un certain nombre de projectiles tombaient en un endroit que je désignerai pas. il était évident pour moi que l’ennemi visait un but qui avait pour lui quelque importance. Le tir en ce cas aurait été très précis en direction, mais il y avait quelque erreur, faible d’ailleurs, en portée. Si vous aviez le lendemain désigné les immeubles atteints, le renseignement eût été très utile aux Allemands pour régler leur tir, qui eût été cette fois certainement plus précis. Je sais bien qu’ils ont assez d’espions pour connaître bien des choses dans notre pauvre ville, mais du moins ce n’est pas à nous de favoriser leur besogne.

Veuillez agréer, Monsieur, mes sincères salutation.

Un de vos lecteurs.

– Plus loin, on remarque dans le journal, l’emplacement d’un article dont il ne subsite que le titre « Dans Reims ». Tout le reste a été caviardé.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Dimanche 13 – Nuit tranquille. Prières publiques pour la France (voir Lettre collective, n° 73, p. 307). Assisté à la messe rue du Couchant, quand je n’étais pas appelé ailleurs parmi les soldats.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

13 – Dimanche – Grand vent. Nous profitons de l’accalmie pour moi et Lucie pour aller chez Paul y chercher quelques marchandises. Départ à 7 h du matin ; à 9 h du matin nos grosses pièces commencent le bal, alors nous déguerpissons de chez Paul au plus vite dans la crainte de la riposte, ce qui en effet ne se fit pas attendre longtemps car à 10 h les obus pleuvaient sur la ville mais nous étions de retour à La Haubette.

A 2 h 1/4 du soir, quand j’écris ces lignes nos grosses pièces tirent toujours, mais pour le moment pas de réponse, il ne faut cependant pas s’en réjouir outre mesure car, d’un moment à l’autre, ça peut changer.

Nuit assez Calme, mauvais temps, grand vent.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy