Louis Guédet

Jeudi 11 octobre 1917

1126ème et 1124ème jours de bataille et de bombardement

11h  Lettres des enfants qui sont au repos pour 15 jours. Robert nous confirme sa Croix de Guerre, la liste des citations données par son capitaine aurait été égarée. Pauvre Robert, il doit être bien heureux. Jean va mieux. Heureusement il l’a échappé belle.

St Martin

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Jeudi 11 – + 6°. Nuit tranquille – (Visite du Général Gaucher et du Co­lonel de Combarieu apportant photographies de Champigny) – sauf canon­nade française vers 2 h., si je me rappelle bien. Pluie.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Semaine du 11 au 17 octobre

POLITIQUE ET DIPLOMATIE

La question d’Alsace-Lorraine. – Dans un discours récent au Reichstag, le sous-secrétaire d’Etat M. von Kühlmann a affirmé avec force que jamais l’Allemagne ne ferait de concession d’aucune sorte à la France en ce qui concerne l’Alsace-Lorraine. Le 11 octobre, M. Lloyd George, Premier ministre britannique, a au contraire déclaré solennellement que l’Angleterre combattrait auprès de la France jusqu’à ce que celle-ci ait délivré ses enfants opprimés. Ces deux manifestations ont pris un sens particulier lorsque M. Ribot, ministre français des Affaires étrangères, au cours d’une intervention à la tribune de la Chambre sur la politique étrangère, le 12 octobre, a laissé entendre que l’Allemagne faisait  » murmurer » que, si le gouvernement français voulait s’aboucher avec elle, nous pourrions compter sur la restitution de l’Alsace-Lorraine. Ainsi le discours de M. von Kühlmann n’aurait plus été qu’une manifestation de dépit, après que la France avait refusé de tomber dans le piège diplomatique qu’on voulait lui tendre. Les révélations de M. Ribot ont provoqué une vive émotion, d’autant que les paroles du ministre ont paru, au Journal officiel, sous une forme que certains ont cru juger différente de celle où elles avaient été prononcées. Au nom du groupe socialiste, M. Mayéras a, le 15 octobre, interpellé le gouvernement à ce sujet, mais le débat a eu lieu en comité secret. Il a duré près de quatre heures. Il a été clos par le vote de l’ordre du jour pur et simple, adopté par 313 voix contre 0, les autres députés s’étant abstenus.
La Révolution russe. – Le gouvernement russe, reconstitué sur de nouvelles bases par Kerensky, a publié le 10 octobre un manifeste-programme. Il y affirme à la fois son désir ardent de la paix et sa volonté ferme de poursuivre la guerre, auprès des Alliés, tant que l’exigeront les intérêts vitaux de la patrie et les engagements pris. Il énumère également quelques unes des solutions provisoires qu’il compte apporter aux difficultés intérieures, jusqu’à ce que la réunion de la Constituante permette à la Russie de choisir elle-même sa politique économique et sociale.
Une Crise politique en Allemagne.- Devant l’opposition grandissante qu’il rencontrait au Reichstag, l’Amiral von Capelle, ministre de la Marine allemand, a donné sa démission.
Nos Diplomates – M.Joseph Thierry, ancien ministre des Finances dans le cabinet Ribot, a été nommé ambassadeur de France à Madrid. On sait que M. Noulens, ancien ministre, est déjà le représentant de la France à Petrograd. Ainsi s’affirme la tendance de confier, pendant la guerre, nos intérêts nationaux chez les neutres ou les alliés à des personnalités qualifiées n’appartenant pas à la carrière diplomatique.
M. Painlevé à Londres. – M. Painlevé, président du Conseil, accompagné de deux de ses collègues du Cabinet, s’est rendu à Londres la semaine dernière afin d’y conférer avec M. Lloyd George. Il y a passé plusieurs jours.

LES OPÉRATIONS MILITAIRES

LA BATAILLE DES FLANDRES

Le 12 octobre, à 5 h. 25 du matin, les troupes britanniques ont pris une nouvelle offensive au Nord-Est d’Ypres. C’était la sixième fois, depuis le 31 juillet, qu’elles procédaient à une entreprise de vaste envergure dans les Flandres. Les autres journées mémorables furent celles du 15 août, du 20 septembre, des 4 et 9 octobre. Toutefois, si l’on tient compte d’une opération moins importante, effectuée le 10 août, et des combats du 26 septembre qui le furent, en réalité, que le glorieux épilogue de l’action engagée le 20, l’attaque anglaise du 12 octobre peut être considérée comme la huitième, dans un étroit secteur, depuis moins de deux mois et demi.
Elle s’est étendue, cette fois-ci, sur une dizaine de kilomètres depuis la voie ferrée d’Ypres à Roulers jusqu’au point de contact avec l’armée française, à la lisière Sud de la forêt d’Houthulst. Sur 1’ensemble de ce front, un grand nombre de localités organisées, de fermes, de points d’appui bétonnés sont tombés entre les mains de nos alliés. La lutte a été particulièrement violente sur la pente de la crête principale, à l’Ouest de Passchendaele. D’ailleurs, un temps exécrable est venu interrompre en plein développement, l’opération entamée. Les Anglais, qui ne pouvaient plus avancer dans une véritable mer de boue, n’ont tenté aucun nouvel effort pour atteindre leurs derniers objectifs. Le nombre des prisonniers faits s’est élevé à 943, dont 41 officiers.

FRONT FRANÇAIS

Quelques attaques allemandes se sont produites pendant la dernière semaine en plusieurs points de notre front. Elles ont parfois été assez vives.
Une lutte toujours active a animé le secteur de l’Aisne. En particulier, dans la nuit du 11 au 12 octobre, des tentatives acharnées ont été faites contre nos positions d’Hurtebise-Chevreux. Malgré son effort, l’ennemi a réussi seulement à prendre pied dans quelques éléments avancés. Le 16, il a renouvelé son assaut au sud de Courtecon et au sud d’Ailles, sans plus de succés.
Un autre épisode a eu pour théâtre la région de Champagne. Pendant la nuit du 11 au 12, d’importants effectifs ont, après un bombardement de trente-six heures, essayé d’aborder nos tranchées vers Souain-Auberive. Ils sont revenus trois fois à la rescousse, mais sans succès.
Sur la rive droite de la Meuse, au Nord de la cote 344, les Allemands ont, le 11 octobre, lancé une attaque qui leur a permis de s’établir momentanément dans une de nos tranchées. Ils en ont été bientôt rejetés. Sur la rive gauche, une entreprise au Nord de la cote 304 a été repoussée le 16.

LA GUERRE AÉRIENNE

Les Allemands ont continué à bombarder par avions la ville de Dunkerque et la région avoisinante. Le 16 octobre, à la tombée de la nuit, ils ont effectué une expédition sur Nancy, ou il y a eu une dizaine de tués et une quarantaine de blessés. Par contre notre aviation de bombardement a jeté de multiples projectiles sur des établissements militaires de l’arrière-front et des usines de guerre d ‘Allemagne. Au cours de combats aériens, dans les seules journées des 15 et 16 octobre, où l’état atmosphérique a permis de reprendre l’air, cinq appareils ennemis ont été abattus et vingt sont-tombés désemparés dans leurs lignes.

DANS LE GOLFE DE RlGA

Les seules opérations militaires des fronts russes d’Europe dignes d’attention, ont été concentrées, après débarquements allemands dans l’île d’oesel, qui barre l’entrée du golfe de Riga, entre ses deux portes maritimes d’accès.
L’île d’Oesel, dans sa partie principale, affecte la forme d’une ellipse, inclinée du Nord-Est au Sud-Ouest, dont le grand axe mesure environ 70 kilomètres et le petit un peu moins d’une quarantaine. Cette ellipse est prolongée au Sud par un appendice péninsulaire, la presqu’île de Sworbe, d’une longueur de 28 kilomètres, qu’un isthme étroit unit à la grande terre.
La capitale, Arensbourg, située sur le rivage du golfe, est une petite ville et station balnéaire de 5.500 habitants. A l’extrémité septentrionale de l’île, une digue, surmontée d’une chaussée, relie aux environs d ‘Orisar, Oesel à l’île Mohn, voisine. Celle-ci est séparée de la côte d’Esthonie par le Mohn-Sund. A la pointe de la presqu’île de Sworbe se trouve le port de Zerel, dont les batteries peuvent battre le détroit d’Irben, au delà duquel s’allonge le littoral de Courlande.
Sur la côte occidentale d’Oesel et en son milieu s’ouvre une baie profonde, semblable à un estuaire, la baie Tagelacht. C’est là, que le 12 octobre, des forces allemandes, estimées à deux divisions et commandées par le général d’infanterie von Kathen, ont pris terre  » avec une rapidité extraordinaire « , selon les constatations du communiqué russe.
Sitôt débarquées, ces forces, précédées à grande distance par des détachements de cyclistes et de motocyclistes, se sont avancées dans l’île en deux colonnes distinctes. Celle du Nord a pris pour objectif Orisar et la digue de l’île Mohn: Celle du Sud s’est dirigée vers Arensbourg, avec mission de rejeter les troupes russes de défense dans la presqu’île de Sworbe.
Nos Alliés n’avaient pas été surpris par les événements. Dès les premiers jours du mois de septembre, l’état-major général avait reçu de multiples renseignements sur les préparatifs de l’ennemi en vue d’un débarquement dans les parages septentrionaux du golfe de Riga. Cependant, il ne semble pas que la résistance sur terre ait été en rapport avec les précautions sans doute prises en, vue des éventualités attendues. Dès le 12 au soir les motocyclistes allemands apparaissaient devant Orisar. Le 13 et le 14, sans même attendre leur artillerie, les fantassins et les cyclistes de l’envahisseur avaient parcouru la majeure partie de l’île, atteint les environs d’ Arensbourg et occupé l’isthme de la presqu’île de Sworbe, dans laquelle avaient reflué les éléments russes.
Le 15, Arensbourg était pris, et toute la portion principale de l’île tombée au pouvoir de l’ennemi. La situation des troupes russes retirées dans l’île Mohn et vers la pointe de Zerel demeurait très critique. Les Allemands annonçaient la capture de 2.400 prisonniers et d’une trentaine de canons.
Le développement des opérations futures prête à plusieurs hypothèses, tout en demeurant, de manière générale, dominé parla tardiveté de la saison.

EN ARMÉNIE ET EN PERSE

Une certaine activité s’est à nouveau manifestée sur les fronts russes d’Asie. Bien qu’elle ne se soit traduite que par des escarmouches sans résultats appréciables, elle permet de préciser les positions adverses sur un vaste théâtre, perdu de vue depuis de longs mois.
Le 11 octobre, à 25 kilomètres au Sud-Ouest d’Erzindjan, un bataillon turc a attaqué les tranchées russes, et en a été rejeté après un vif engagement.
A 85 kilomètres au Sud-Est d’Erzindjan, auprès du village de Kighi, des fusillades ont eu lieu entre les avant-postes.

Dans la région de Van, une attaque kurde a été repoussée.
A la frontière de Perse, à l’Ouest d’Ourmiah, les Russes ont enlevé deux villages, dans les journées des 2 et 3 octobre. Les Turcs se sont enfuis sur la rive occidentale du Grand Zab, en détruisant les ponts.
De même, à 75 kilomètres au Sud d’Ourmiah, l’ennemi a été rejeté hors de ses positions du mont Chatak, sur la direction de Revandouz. Enfin, en Perse même, un combat a mis aux prises des détachements avancés dans la région de la ville de Senné.

FRONT MACÉDONIEN

Sur l’ensemble du front de l’armée d’Orient, les luttes d’artillerie ont pris parfois un certain caractère d’intensité, tandis que les avions effectuaient de fréquents bombardements.
Dans la matinée du 14 octobre, les troupes écossaises ont réussi un brillant coup de main contre le village de Homondos, à environ 8 kilomètres au Sud-Ouest de Sérès. Après une vive lutte, 143 prisonniers et 3 mitrailleuses ont été capturés.

LA GUERRE NAVALE

Les opérations combinées dans le golfe de Riga. – La mise à terre d’un corps expéditionnaire allemand dans l’île d’Oesel, le 12 octobre, a nécessité le concours de forces navales importantes, cuirassés, éclaireurs et destroyers, ainsi que de tout un convoi de vapeurs chargés de troupes. Le débarquement du corps expéditionnaire et du matériel a été effectué rapidement au moyen de chalands à moteurs de faible tirant d’eau pouvant aborder au rivage. L’opération avait été précédée d’un bombardement violent des défenses de l’île par l’artillerie des cuirassés.
En même temps qu’ils prenaient pied dans Oesel, les Allemands attaquaient et réduisaient les batteries russes tenant encore sur la rive Sud du détroit d’Irben. Ce détroit, situé entre Oesel et la pointe Nord de la côte de Courlande, est le principal chenal d’accès au golfe de Riga; les fonds n’y sont pas inférieurs à 12 mètres; par conséquent, il est praticable pour les grands navires.
Une opération secondaire de débarquement a eu lieu dans l’île Dagoe. Les Allemands se sont l’embarqués, volontairement assurent-ils; contre leur gré, affirment les Russes, qui prétendent les avoir repoussés. Cet incident, simple diversion peut-être, est, d’ailleurs, sans importance, la position d’Oesel suffisant à l’ennemi pour fermer le golfe dont il a maintenant l’entière disposition.
Les renseignements sur le sort de Mohn manquent de précision. Cette petite île est reliée à Oesel par une digue construite sur des bancs émergeant à basse mer et qui ferme l’ancienne passe du Petit Sund; elle tombera aux mains de l’ennemi, si elle n’y est pas déjà. Cette opération combinée, préparée avec soin depuis plusieurs semaines, et conduite avec décision, n’a surpris personne. Les Russes s’y attendaient, ils l’avouent, reconnaissant ainsi implicitement qu’ils ne disposaient pas d’une force navale suffisante pour s’y opposer. Ils n’avaient plus dans les eaux des îles que des navires légers depuis la chute de Riga.
A proprement parler, il n’y a pas eu de combat naval. On ne peut pas donner ce nom à l’escarmouche du 14, dans le Soela-Sund, entre un cuirassé allemand et des éclaireurs russes qui se sont brillamment comportés et dont l’un, le Grom, de 1.350 tonnes, a été coulé. Le cuirassé a été obligé de se retirer. Il ne pouvait pas faire autrement, le Sœla-Sund étant obstrué par des îlots et des hauts-fonds rocheux qui le rendent dangereux pour les gros navires.
Au cours des opérations, les Russes assurent que les Allemands ont perdu un croiseur et quatre torpilleurs; les Allemands affirment que, jusqu’au 16 octobre, ils n’ont perdu que deux dragueurs de mines et un petit transport. Mais, en admettant que leurs pertes soient telles que les Russes le disent, ce ne serait pas payer cher la possession complète du golfe, base navale de premier ordre, d’où ils pourront entreprendre une nouvelle offensive dans le golfe de Finlande. La maîtrise de la Baltique leur appartient.
Les mutineries dans les flottes ennemies. – L’amiral von Capelle, secrétaire d’État de la Marine, a déclaré au Reichstag, que des mutineries graves se sont produites, en août dernier, à bord de certains navires de la flotte impériale. Il paraît que, précédemment, au mois de février, de graves désordres s’étaient déjà produits dans les équipages, on n’en avait pas dit un mot. Plusieurs hommes ont été fusillés et un grand nombre condamnés aux travaux forcés. L’ordre est rétabli pour l’instant. Les marins allemands, mal nourris, rudement menés, conscients de l’impuissance des forces navales de l’empire vis-à-vis de la Grande-Bretagne, sont découragés, et le découragement amène vite l’insubordination à bord des navires où la discipline est extrêmement difficile à maintenir, en raison de l’existence en commun que les chefs et leurs subordonnés sont obligés de mener, non sans haine parfois. Le recrutement du personnel des sous-marins, de plus en plus pressant, est aussi un sujet de mécontentement, les hommes éprouvant une grande répugnance à servir sur ces bateaux.
On annonce de Rome que les équipages de quelques navires autrichiens se sont aussi mutinés à cause de l’insuffisance de la nourriture et des mauvais traitements qu’ils endurent. A Pola, une lutte sanglante se serait produite entre des marins autrichiens et les équipages d’une flottille de sous-marins allemands dont l’arrogance était devenue insupportable à leurs alliés. Là aussi l’ordre a été rétabli par quelques punitions sévères.
Le blocus sous-marin. – Parmi les navires coulés, on signale le vapeur Médie, torpillé le 23 septembre en Méditerranée. Sur les 559 personnes embarquées, 250 ont disparu. Le nombre important des victimes est dû en partie à l’explosion des munitions dont le vapeur était chargé et qui a été provoquée par l’explosion de la torpille.

Source : La Grande Guerre au jour le jour