Abbé Rémi Thinot

7  SEPTEMBRE : Poirier court une aventure terrible en voulant faire un tour dans le vignoble. Engagé dans des troupes, il est arrêté à Louvois, séparé de sa voiture et de son chauffeur et durement traité, à Fontaine, un officier supérieur le déclare en règle et le laisse partir.

Épernay est intacte, mais remplie de blessés. Le canon tonne sans discontinuer au sud d’Épernay et de Chalons

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Lundi 7 septembre 1914

6h1/2 matin  Nuit tranquille, une des premières depuis longtemps. Temps magnifique. Il est à remarquer du reste que depuis l’ouverture des hostilités nous avons joui d’un soleil splendide et aussi par contre d’une grande chaleur, mais pas une goutte d’eau. Les nuits sont assez fraîches.

Hier M.M. Charles Heidsieck et Pierre Givelet, des verreries de Courcy, me disaient qu’il y avait eu un grand combat il y a juste 8 jours à Tagnon (Ardennes). (C’était le bruit du canon que j’entendais à St Martin où j’étais près de mes chers aimés pour la dernière fois !) et qu’il y avait eu de nombreux morts et blessés de part et d’autre. Il paraîtrait même que ces derniers étaient encore là sans secours !! C’est la loi de la guerre, diraient nos allemands, mais qui l’a établie cette loi, si ce n’est vous, Bandits !!

Deux de nos adjoints M.M. Chappe et Lesourd ont fui, déserté le 2 septembre. Et quand j’ai vu Chappe ce matin du 2 septembre vers 9h devant chez lui et que je lui demandais s’il pouvait me donner un moyen de prévenir ma pauvre femme pour lui dire de se mettre en sûreté à Granville avec ses petits et qu’il m’a dit, en levant les bras au ciel, de m’adresser à Georges Ravaux, chauffeur militaire, dont la voiture automobile était arrêtée devant sa porte, il allait chercher ses derniers effets ou valeurs pour se sauver avec lui. M. Georges Ravaux ne se sauvait pas, il rejoignait mais lui il se sauvait !! Il n’était pas nécessaire de plastronner comme il le faisait pour finir sa plastronnade de cette façon ! Nous en verrons encore bien d’autres !

M.M. de Bruignac et Émile Charbonneaux ont été nommés adjoints provisoires en lieu et place de ces 2 lièvres. C’est du bon travail.

9h1/2  Je suis allé à la recherche des affiches apposées depuis l’occupation, je les ai à peu près toutes (Vieille passion, il avait rassemblé une magnifique collection d’affiches et de journaux relatifs au siège de Paris en 1870, cette collection a été vendue aux enchères à Paris en 1970). J’en ai parlé à Jolly, 21 rue Gambetta, à l’Express, rue Chanzy n°79, j’irai au Courrier de la Champagne cet après-midi, on dit qu’il ferait paraître un petit journal, j’irai voir.

Je suis allé à l’Éclaireur de l’Est, tout est broyé dans les bureaux. Les machines ont peu de chose. Repassé à la Cathédrale où je rencontre M. l’archiprêtre l’abbé Landrieux. Il me raconte ses promenades sous les bombes du Courrier à chez lui et à la Cathédrale. Là, au coin du parvis de l’ancien archevêché rue du Cardinal de Lorraine il hésita beaucoup car toute la place était noire de fumée et de poussière, alors que faire ! puis me dit-il : « Je me suis dit si tu écopes ce sera aussi bien où tu es que plus loin, alors j’ai porté ma carcasse jusqu’à la cathédrale, j’y suis rentré et suis resté une 1/2 heure devant de St Sacrement à la réserve en attendant la fin du bombardement.»

Il m’a affirmé que les allemands qui tiraient (du parc ?) du château des Mesneux de M. Brulé-Luzzani (Émile Brulé (1853-1930), époux d’Adèle Luzzani (1857-1931) Maire des Mesneux), auraient répondu à celui-ci qui leur faisait observer qu’il savait que Reims ne se défendrait pas : « Nous avons des ordres, nous les exécutons ! ». Donc pas d’erreur possible.

Il y a eu hier 28 enterrements de victimes à St Remi. On parle de 50/60 morts et autant de blessés ou éclopés.

Place du Parvis de la paille tout autour de la statue de Jeanne d’Arc, mais la garde a disparu. Dans toutes les rues on ne marche que sur des verres cassés ou du plâtras. Le « Chat perçant » au coin de la rue Carnot et des Deux Anges a une oreille traversée par un éclat d’obus qui a incendié Matot.

On a apposé de petites affiches un peu partout où on annonce que les transfuges peuvent rentrer dans leurs foyers situés dans les Ardennes et la Meuse (excepté la région de Verdun). Prendre son passeport aux commissariats de Police sur production de pièces d’identité et pour visas par l’autorité militaire allemande au Lion d’Or.

11h1/2  Le canon tonne toujours. Monsieur Français me dit qu’on s’est battu terriblement hier vers Montmirail. Ma pauvre femme, mes pauvres enfants, pourvu qu’ils soient loin et ne soient pas pris dans le flot de nos armées. Mon Dieu ! Aurez-vous pitié de moi, et ne me ferez-vous pas donner quelques nouvelles rassurantes d’eux. Ayez pitié d’eux. Sauvez-les ! Je viens de voir Gobert du Courrier de la Champagne qui va faire reparaître son journal. Il m’a demandé de lui faire une note sur l’affaire de l’usine Deperdussin d’hier. J’ai accepté, cela m’occupe et m’empêche de trop penser à mes chers disparus !

6h10  8 jours que j’ai quitté ma pauvre femme et mes enfants, et Jean et Robert à Châlons à pareille heure !! Oh ! que je souffre ! Quelle angoisse de chaque instant.

Je suis parti vers 3h1/2 faire un tour du côté de Courlancy, rue de Vesle puis de St Jacques. Je vois quantité de voitures diverses qui paraissent revenir assez vivement du côté de la Haubette. On dit qu’on s’est battu furieusement vers Champaubert et Montmirail. Depuis deux jours nous avons entendu beaucoup de canon. Et il parait que de nombreuses voitures seraient remontées vers l’est depuis midi. Ils auraient de très nombreux blessés 15 à 17 000 affirme-t-on. Par les Tilleuls je me dirige vers l’hospice Roederer. La bonne Supérieure a été bien effrayée mais tous les obus sont passés au-dessus de leurs têtes le 4 septembre. Comme moi elle assure que l’on a tiré d’au moins 3 côtés, des Mesneux, de St Thierry et La Pompelle. Elle me dit aussi qu’il y a eu au moins 200 coups de tirés, elle croit en avoir comté au moins 190. Repassé par Ste Anne, une maison démolie à la hauteur de la Chaussée St Martin. Revenu par la rue de Venise, au Collège St Joseph rien, rue du Jard chez les Sœurs de l’Espérance qui en ont reçu 4 dont 3 éclatés et avec quel désastre ! Rentré à la maison, harassé et sans nouvelles saillantes. Je n’ai pas la force d’aller voir mon Beau-Père pour en apprendre.

Le Conseil Municipal s’est réuni cet après-midi et on a nommé adjoints définitivement de Bruignac et Émile Charbonneaux. C’est bien ! en remplacement de Chappe et de Lesourd les transfuges !!

Bref du Conseil Municipal se sont sauvé, pour ne pas dire ont fui, c’est synonyme : Chappe ! (il ne fera plus de mariages !!!) Lesourd ! Lecat, (le brave avoué à tous crins !) Tissier, le soutien du socialisme, le pilier de la Colonne triangulaire et de la Libre Liiibbbrrre (Brave Armoire) Pensée Pensée e e e e !! Mabille !!! en tout 5 (cinq), à combien le Paquet !! comme en 1870 pour Badinguet !

Sainte Vierge protégez ma femme ! mes petits, mes grands, mon Momo !  Demain je verrai à comment aller à St Martin pour…  savoir !!?? Mon Dieu que je les revoie !! Vierge des Victoires, donnez-moi la Victoire pour la France !! pour les miens et…  s’il en reste un peu pour…  moi !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Dans la matinée de ce jour, je ne puis résister au désir de faire une promenade. Après être passé par la place du Palais de justice, où j’ai vu la maison Jules Matot (papeterie de la mutualité) complètement détruite par un incendie consécutif au bombardement, la curiosité me pousse vers le quartier Saint-Remi, dévasté aussi et, par là, j’apprends que l’obus tombé rue Saint-Sixte, dans une maison habitée par un entrepreneur de maçonnerie, aurait tué cinq personnes. La brasserie Veith, a reçu deux obus. Au coin de la rue Féry et sur la place, du côté du petit portail de la basilique, plusieurs obus sont tombés également. Un obus est entré dans l’église, de ce même côté, pour éclater à l’intérieur, au pied des marches d’entrée. Un autre projectile a éclaté sur la droite du grand portail, en haut de l’escalier extérieur. Rue Saint-Bernard, une maison est démolie ; une autre l’est aussi à l’angle des rues Chantereine et Tournebonneau. En remontant cette dernière rue, j’en remarque une, détruite encore, à gauche. La maison de retraite a été touchée une ou deux fois. Rue Saint-Remi, il y a une maison effondrée, toujours du fait du bombardement du 4.

En somme, il résulte de ces différentes visites faites dans les quartiers bombardés, que ce que nous avions compris par intuition en entendant pour la première fois des sifflements d’obus, se trouve confirmé.

Nous nous étions parfaitement rendu compte, en éprouvant nos sensations terribles, que les buts cherchés avaient été d’abord la cathédrale puis l’église Saint-André, l’hôtel de ville et la basilique Saint-Remi, à la manière dont le tir, après avoir atteint notre voisinage, se dirigeait à gauche, puis à droite au loin, pour revenir sur nous. Les églises Saint-André et Saint-Remi avaient été touchées ; si la cathédrale n’avait pas été atteinte, toute une série de projectiles, ayant suivi la même ligne de tir allongée insensiblement, était passée à quelques mètres à peine et à gauche de sa tour nord.

– A mon retour, en faisant une tournée dans les magasins et sur les toitures du mont-de-piété, je puis mieux constater le désastre causé dans le voisinage de l’établissement et j’en suis presque effrayé plus que le jour même.

A gauche, je remarque un hangar démoli par un obus, dans la propriété du Comptoir de l’Industrie. Dans le zinc de la toiture de la maison en angle, rues d’Avenay et de la Gabelle, se voit l’entrée du projectile qui, en éclatant, l’a ouverte en deux ; le toit de la partie de maison qui abritait, avant la guerre, les bureaux de l’état-major de la 12e Division, n’existe plus et tout est brisé à l’intérieur. Un obus a tout saccagé dans la maison Buirette. Dominant cela, du point d’observation où je suis posté, je compte qu’avec les autres projectiles éclatés encore bien près, le nombre de ceux tombés là, dans un très faible rayon, est d’une trentaine. Je ramasse des éclats et trouve notamment, dans la case d’un magasin, un morceau de culot provenant d’un gros calibre. D’ailleurs, nous avons appris que le tir de ce bombardement du vendredi 4, avait été effectué par une batterie de quatre pièces de 150.

– Toute la matinée, on a entendu tirer le canon au loin, par véritables rafales – ainsi que les jours précédents.

– En me rendant chez notre administrateur, l’après-midi, je croise, rue Robert-de-Coucy, un groupe de trois soldats allemands, baïonnette au canon, entourant un civil qui me paraît être un homme de la campagne ; il est vêtu incomplètement d’une tenue de cérémonie, pantalon, gilet et cravate noirs, chapeau mou noir aussi sur la tête, mais en bras de chemise, et a les mains liées avec une corde, derrière le dos. Il marche avec assurance ; cependant la situation de ce malheureux me paraît assez inquiétante. Pourquoi a-t-il été arrêté ; où le conduit-on ? Je me le demande.

– Au moment où je rentre, une colonne de fantassins, escortée de voitures, que je vois passer de l’entrée de la rue de l’Université, débouche de la rue Cérès et arrive sur la place royale. L’officier à cheval qui la commande, se place devant la pharmacie Christiaens, de manière que les hommes qui viennent en chantant opèrent le virage en défilant devant lui, pour se diriger vers l’hôtel de ville.

Remarqué encore la beauté et la justesse des voix, dans le chœur à deux parties que ces soldats font entendre.

Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918

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Paul Dupuy

Rien de nouveau ; toute la journée on entend la canonnade lointaine.

Très peu d’animation dans les rues, et le soir, dès 19 heures, plus rien du tout.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


Lundi 7 septembre

Dans la grande action engagée entre l’armée franco-anglaise et l’armée allemande sur le vaste front qui s’étend de la région de Meaux aux approches de Verdun, tandis que nous avons dans les Vosges des succés partiels, et lorsque la reste sans changement à notre centre, l’armée de Paris livre sur l’Ourcq des combats heureux et la progression des troupes franco-anglaises s’accentue à notre aile gauche.
Le ministre de la Guerre, au nom du gouvernement et du pays tout entier, adresse aux défenseurs et à la population de Maubeuge, l’expression de son admiration pour leur attitude héroïque. Le gouverneur de la ville est cité à l’ordre du jour des armées.
Les Russes détruisent deux divisions de l’armée autrichienne de Lemberg, battent une seconde armée dans la région de Lublin, et s’emparent des puissantes fortifications de Nicolaïeff, détruisant les coupoles blindées et prenant 40 canons et de fortes quantités de munitions.
La panique grandit à vienne, où 20000 hommes sont employés à des travaux de défense. L’Autriche, aux abois, convoque en hâte ses dernières recrues.

Source : La Grande Guerre au jour le jour