Louise Dény Pierson
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Rue de Villedommange, située hors de l’agglomération principale, nous ne voyons rien de ce qu’il se passe aux abords nord de la ville. Un matin d’accalmie je pars chercher du lait à la ferme de la Maison-Blanche, comme je le faisais plusieurs fois par semaine. En revenant, et alors que je me trouvais à la hauteur de ce qui est aujourd’hui la porte principale de l’hôpital, une troupe de cavaliers, habillés de gris arrive au pas l’un d’eux un officier, probablement, dont je me rappellerai toujours le magnifique manteau à revers rouges recouvrant la croupe du cheval, me demande : «Où est le pont de Fléchambault ? »
Terrorisée, je grimpe sur le talus de la route et ne peux que lui dire : « Là-bas, en bas… ».
La troupe s’éloigne et je cours jusqu’à la maison. Je venais de voir les premiers Allemands entrés à Reims et je suis persuadée, aujourd’hui qu’ils savaient très bien où était le pont de Fléchambault puisqu’ils venaient vraisemblablement de le traverser.
Ce même jour, je crois, on entend encore le canon tout proche et des obus tombent sur la ville, autour de la mairie et de Saint-Rémi, puis vers Sainte-Anne, une jeune-fille est tuée devant le Familistère, où est maintenant un bureau bancaire. Le bombardement cesse. C’était une erreur… paraît-il. Les jours passent, il y a peu d’Allemands dans le quartier, et l’on s’habitue à leur rare présence.
La mère d’une amie habitant en face de chez nous me demande, un après-midi, si je veux bien aller avec eux chercher de l’herbe pour leurs lapins. Je les accompagne et arrivées, toujours au même endroit, près de la Maison-Blanche, nous voyons un groupe de civils occupés à découper de la viande sur le corps d’une vache allongée, morte dans un champ.
Notre voisine s’approche et en fait autant, découpant plusieurs morceaux de viande. A ce moment, un officier allemand s’avance vers nous et dit : « Non, non pas ça… Pas bon pour chiens ! »
Nous revenons à la maison, rapportant chacun un morceau de viande et je répète à mon père les paroles de l’officier allemand. Mon père qui avait travaillé un certain temps à l’abattoir dit : « Nous allons en juger demain… » et il met la viande dans un seau d’eau froide vinaigrée. Le lendemain elle était toute verte, elle fut enterrée dans le jardin. Nous n’avons pas mangé de viande ce jour là.
Louis Guédet
Mardi 1er septembre 1914
9h1/2 soir Samedi et la veille vendredi exode toujours déprimante des émigrés qui fuient l’Invasion. Mais pourquoi donc ne pas parquer ces gens-là !
Je pars avec Robert à St Martin vers 3h. Bousculade, empilade ! Et mauvaises nouvelles à l’horizon… Nous attendons 3 heures à Châlons. Pas de nouvelles intéressantes.
Avant de partir j’avais donné l’ordre à Heckel mon caissier de m’envoyer une dépêche au cas où l’armée allemande progresserait vers Reims afin que je puisse revenir à mon Poste. Durant le trajet de Reims à Châlons nous avons voyagé avec la femme d’un officier d’artillerie de La Fère qui disait que les Prussiens avançaient fortement de ce côté. La Coulée de l’Oise sur Paris.
Arrivons à St Martin vers 8h. Tout mon petit monde va bien. Ma pauvre femme s’inquiète. Nous causons le soir de ce qu’il faudrait faire en cas d’invasion sur Reims et Châlons. Je n’hésite pas : Fuir avec ses 5 enfants vers Granville (Manche) chez les Paul Bataille, par Vitry-le-François, Troyes, Orléans, puis de là vers Granville.
Le dimanche matin nous envoyons une dépêche pour demander à Berthe Bataille si elle reste à Granville. Nous recevons réponse lundi que « nos lits sont prêts ». Dimanche pas de nouvelles d’Heckel ! Lundi matin vers 8h j’entends le canon pendant une heure, cela m’inquiète. Ma pauvre Madeleine croit que ce sont des exercices de tirs du camp de Châlons. Je la laisse dans cette croyance mais la suite me dit que je ne me trompais pas. On approchait de Reims et de Rethel.
Journée lourde de chaleur, du reste comme depuis l’ouverture des hostilités ! A 2h1/2 dépêche d’Heckel : « Revenez d’urgence avec famille » Affolement de ma femme et angoisse des enfants qui sentent qu’une heure grave approche peut-être. La fuite éperdue… vers l’inconnu. Je les quitte pour prendre le train. C’est peut-être la dernière fois que je les vois… d’ici longtemps. Madeleine pleure, mes petits m’embrassent avec des yeux apeurés… ils ne comprennent plus… ils ne comprennent pas… si ils comprennent qu’il se passe quelque chose qui fait le vide devant eux. Jean et Robert m’accompagnent jusqu’à Châlons « aux nouvelles ». A Vitry-la-Ville, mauvaise impression des Gendarmes qui sont avertis de se tenir prêts à partir. A Châlons semblant de meilleures nouvelles, je rembarque mes 2 grands à 6h11 en leur recommandant leur Mère et les 3 petits. Le calme et d’attendre de mes nouvelles. Je pars de Châlons plus calme à 7h13, nous arrivons à 10h1/2. Reims morne est là, j’apprends que le canon a tonné près de Rethel et Vouziers et même vers Tagnon.
Affolement, débandade, panique de toute la « Gentry » Rémoise. (Deux lignes de rayées) malgré les instructions… (rayé)
Ce matin 1er septembre, nouvelles plutôt lugubres, on me dit tout ce qui s’est passé ici : une débandade de 10/15 000 nobles Rémois me dit-on. Les dames de la Croix-Rouge et non des moindres ! Mmes Werlé, Pierre de la Morinerie.
Ce soir des nouvelles plus calmes… mais encore peu rassurantes.
Quelle journée !! Je commence à me décourager, surtout quand je me pose la question de savoir si je dois faire partir les miens à Granville. J’ai envoyé une dépêche pour dire d’attendre, mais de se tenir prêt. Bref ! J’ai souffert terriblement de cette incertitude. Que sera demain ?!
Mon désir est de patienter jusqu’à la toute extrémité, car déclencher le mouvement de départ de mon petit monde et 2 jours après apprendre la Victoire !!
Quel point d’interrogation ! Quelles angoisses !! Que sera demain ??
Toutefois notre droite dirigée par le Général Pau qui était à Tagnon hier soir encore a refoulé, bousculé les Prussiens, mais ceux-ci glissent toujours sur notre gauche sans pouvoir nous tourner, tout en progressant vers Laon… Soissons… vers Paris !!
Mouvement très curieux s’il est voulu de nos chefs !! qui s’il s’orientait selon leurs vues amènerait l’acculement des allemands sur Paris et leur encerclement. Alors ?? (Raisonnement enfin compris par l’État-major allemand et qui aboutira à leur retraite précipitée…)
Attendons ! Demain nous dira si c’est un Sedan allemand qui se prépare !! Quel anniversaire tragique. Pour ce pauvre Wilhem !! le Petit, le Klein !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Depuis plusieurs jours, la gare est assiégée pour les départs de Reims. La nuit passée, des gens qui n’avaient pas pu prendre le train, faute de place, ont dormi dans les promenades afin de pouvoir partir dès la première heure, aujourd’hui.
– Le journal L’informateur de Reims, en date de ce jour, porte en manchette : Les Français continuent de supporter le choc des Allemands et leur infligent des pertes considérables, et ceci est suivi simplement du communiqué qui dit, entre autres choses… Des forces allemandes se sont avancées dans la région de Rocroi, marchant dans la direction de Rethel. Actuellement, une action d’ensemble est engagée dans la région comprise entre la Meuse et Rethel, sans qu’il soit possible d’en prévoir l’issue définitive.
Paul Hess dans La Vie à Reims pendant la guerre de 1914-1918
Marcel Morenco
Épernay, mardi 1er septembre 1914
Après une nuit blanche, je renonce à aller au bureau de recrutement de Châlons-sur-Marne et je reprends à bicyclette la route de Reims. Pendant 30 Km, je ne croise que convois de vivres et de munitions, qui à toute allure se replient de Reims à Épernay. Mon voyage s’effectue dans un nuage de poussière et mainte fois je risque d’être écrasé. A Reims, les grands services sont arrêtés: chemin de fer, banques, postes ne fonctionnent plus. Beaucoup de Rémois ont profité des derniers trains pour fuir. Journée d’angoisse, les Allemands approchent, les forts ne tirent pas, on ne se bat pas.
Marcel Marenco
Paul Dupuy
Visite de P.D. au 16 de la rue du Carrouge une femme d’en face, qui secoue ses tapis, le regarde d’un œil inquisiteur et soupçonneux. Il ne s’en effraie pas, et entre hardiment dans l’immeuble que la foule du matin semble avoir évacué.
Suivant le conseil d’un écriteau trouvé sur les marches de l’escalier, il ferme le compteur à gaz ; pour celui à électricité, dont il ne connaît pas le maniement, il demandera à Félicien de venir faire le nécessaire.
Le parcours de tout l’ensemble n’ayant rien accusé d’anormal, il se retire enlevant comme prises de guerre un artichaut et trois tomates au profit du 23 de la Rue de Talleyrand.
Dans l’après-midi, les hommes des N° 22 et 23 s’en vont.
Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.
Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires
Mercredi 1er septembre
Violente canonnade sur l’ensemble du front, où nos batteries opèrent efficacement contre les tranchées ennemies.
Ces actions d’artillerie sont particulièrement vives en Belgique (Hetsas), en Artois (Neuville), en Woëvre septentrionale, en forêt d’Apremont et au nord de Flirey.
L’ennemi a lancé encore, sur Arras, quelques obus de gros calibre.
Les Allemands, au front oriental, livrent de violents combats sur les positions à l’ouest de Friedrichstadt, et vers Dwinsk, où les Russes, en plusieurs points, sont passés à l’offensive. Dans l’ensemble, l’armée russe continue à battre en retraite régulièrement couverte par de fortes arrière-gardes. Celles-ci ont arrêté une grande offensive sur le front Proujany-Gorodetz.
Les Italiens ont occupé, après un brillant assaut, la Cima Cista, dans le Val Sugana. Ils ont repoussé, en Carnie, une attaque autrichienne contre le val Piccolo: dans le bassin de Plezzo, ils ont dépassé cette localité, ils ont progressé dans le secteur de Tolmino, et enlevé des tranchées dans le Carso. Leurs avions ont bombardé plusieurs gares et campements.
Un aviateur a détruit le grand hangar de Gand.
Les Italiens qui n’avaient pu encore s’échapper de Turquie sont retenus comme otages.
Le Vorwaerts, journal socialiste de Berlin, dit que l’Allemagne court à une guerre civile.
L’aviateur Pégoud est mort au champ d’honneur.