Paul Hess
Ce jour de l’Assomption, à la grand’messe de la cathédrale, presque toutes les stalles du chœur sont occupées par des soldats ; ce sont, pour la plupart, des prêtres des diocèses de Vannes et de Quimper. L’assistance aux offices solennels de la journée, présidés par le vénéré cardinal Luçon, est très nombreuse et des plus recueillie.
La procession, à la suite des vêpres, est suivie par quantité de militaires ; le sérieux de leurs physionomies frappe, émeut et donne à la cérémonie un caractère de gravité inaccoutumée.
Sur la fin de l’après-midi, en nous rendant au cimetière du sud, mes fils, Jean, Lucien et moi, nous amusons un instant, en passant boulevard de la Paix, à regarder un conducteur algérien de voiture automobile qui divertit ses camarades en mimant la danse du ventre et en chantant à l’imitation des tunisiens que nous avons vus si nombreux aux foires, à certaine époque. Il est monté sur une sorte de petite estrade, installées derrière un ligne de poids lourds, et les autres tringlots-chauffeurs – une vingtaine – assis sur l’herbe autour, l’accompagnent en mesure, suivant le rythme, en choquant leurs cuillers et leurs fourchettes. Ces réservistes se désennuient aussi gaiement que des enfants ; ils rient bien tous et le tableau laisse une belle impression d’insouciance.
Plus loin, boulevard Victor Hugo, nous remarquons une quarantaine d’autobus au repos. Au retour de notre promenade, par le canal, nous voyons encore des véhicules automobiles près du cirque et à d’autres endroits qui servant de garages Au Boulingrin, il s’en trouve plus d’un cent. Nous en avons compté ainsi au-delà de cinq cents cet après-midi et ce n’est qu’une partie de ce qui passe en ville, car, pour le service de ravitaillement de l’armée, une autre partie du matériel est en route pour revenir à Reims, centre de réception. Toutes ces voitures font ainsi le va-et-vient par convois et à tour de rôle, depuis le début de la mobilisation.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Juliette Breyer
Mon Charles,
En rentrant hier soir avec papa, Ô bonheur ! Il y a avait une lettre sous la porte. Tu penses, quelle joie !
Aussi moi qui n’avais pas pleuré quant tu es parti et qui n’avais pas pleuré depuis, la joie m’a fait couler des larmes et je me suis sentie soulagée.
Tu me dis que tu es dirigé sur Longeville et que cela va très bien. Tant mieux mon pauvre Lou. Je souhaite pour toi que cela aille ainsi jusqu’à la fin de la guerre. La chaleur est un peu forte aussi. Il vaut encore mieux cela que les froids rigoureux.
Paul part aujourd’hui pour Berry au Bac.
Enfin je te quitte. Bons bécots de loin.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Samedi 15 août
Excellentes nouvelles de la frontière. En Alsace, nous avons repris Thann, que nos troupes avaient évacué.
Nous poussons nos avantages dans la vallée de la Bruche, où le général von Deimling, le commandant du corps de Strasbourg, le protecteur des officiers de Saverne, et dont l’insolence a été proverbiale à notre égard, a été grièvement blessé. En outre, nous avons pris un drapeau et ce fait d’armes provoque une satisfaction profonde chez tous les Français.
En avant de Lunéville, au point qui paraissait le plus exposé de notre frontière, nos soldats ont refoulé tout un corps d’armée bavarois, enlevé des localités à la pointe de la baïonnette, et capturé de nombreux prisonniers.
Enfin, nos aviateurs, survolant Metz, ont jeté des bombes sur les Hangars des Zeppelins, de ces fameux dirigeables qui devaient semer la mort, déverser des explosifs sur nos grandes villes.
La journée est donc bonne à tous égards.
A l’extérieur, une seule nouvelle mais des plus intéressantes : le tsar Nicolas II a décidé de donner l’autonomie à la Pologne russe. Il convie les Polonais de Prusse et d’Autriche, ceux de Posen et de Cracovie, à rejoindre leurs frères de Varsovie pour reconstituer avec eux une nation de 25 millions d’hommes. On peut-être sûr que cet appel sera entendu dans tout le slavisme. Le grand duc Nicolas, généralissime de l’armée russe, a exprimé la pensée de l’empereur dans une vibrante proclamation
Source : La Grande Guerre au jour le jour