Louis Guédet

Mardi 3 septembre 1918

1453ème et 1451ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Je pars donc à 5h1/2 d’ici et arrive à Troissy vers 8h1/2. Je me trouve en plein champ de bataille. Port à Binson, Vincelles, etc… en ruines. Le Prieuré de Binson en ruines, rappelant des ruines à la Gustave Doré. Châtillon sur Marne rasé ou presque. Les ruines du château !! n’ont rien !! de même la structure colossale d’Urbain II qui n’a pas une égratignure. Descendu à la station de Troissy qui est encore debout, je prends la route de Troissy à bicyclette à travers les trous d’obus. Troissy est fort abîmé, mais encore debout. L’Église et le Temple protestant fort amochés. La tour de l’Église parait intacte. Je tourne à droite pour filer à L’Amour-Dieu. En quittant la grande route de Dormans pour remonter à cette ferme, à l’angle à droite 2 tombes allemandes dont l’une des croix avec les noms indique que l’un des gisants avait la Croix de fer.

De l’Amour-Dieu (ancienne abbaye cistercienne de 1232 à 1791) qui formait un quadrilatère régulier tous les bâtiments nord-ouest et sud sont rasés incendiés. Il n’y a que la partie est qui n’ait rien, ce sont du reste les anciens bâtiments restants de l’abbaye. La chapelle qui servait de grange est intacte, ainsi que la maison d’habitation à un trou d’obus près dans la toiture. Dans la cour un tas de cendres, d’une couleur particulière, c’est ce qui reste des morts allemands incinérés là. Du reste il n’y a aucune tombe que les 2 tués en arrivant qui existaient dans les environs de la ferme. Je visite les caves qui avaient été transformées par les allemands en postes de secours. Ils avaient percé les murailles des fondations qui ont par endroits 3 mètres d’épaisseur pour aménager deux sorties. Des débris de toutes sortes, le vrai spectacle d’un champ de bataille. J’admire un vieil escalier en bois du Xe siècle, dernier vestige de l’antique abbaye, intact… Là je vois Maurice Lepitre et sa femme, Edith Lepitre et M. Juget père de la femme de Maurice. Nous réglons rapidement notre acte et il faut déjà songer au retour. Je les quitte vers 10h1/2 et suis à Châlons vers 1h1/2. J’en profite pour aller dire à l’Intendance ce que j’ai fait pour mon installation à Vitry. Je suis reçu par Raux qui me dit que le Commandant Colombié est furieux de ce transfert et ne parle rien moins que de faire annuler le Décret et en faire un autre pour que mes justices de Paix retournent à Épernay. Il ne doute de rien. Je le vois et comme je lui exprimais ma surprise et lui disais que cela ne me semblait pas possible, tout en protestant contre ses prétentions (de se mêler de ce qui ne le regardait pas) le citoyen Colombié s’emballa, le pris de très haut et me signifia que je n’avais qu’à me taire, le laisser parler, que la demande serait faite par son Grand Chef Directeur, et qu’il obtiendrait mon renvoi à Épernay, etc…  rien que cela ! Bref il traite le Garde des Sceaux, les Procureurs Généraux, le Procureur de la République de Reims, et…  le juge de Paix de Reims comme le dernier de ses « Riz-pain-sel » ! (Responsable d’intendance chargé de distribuer les vivres aux troupes).

Nous devons céder à tous ses caprices. L’administration judiciaire n’existe plus et c’est le nommé Colombié (un méridional du reste) qui dirige et décrète les déplacements des tribunaux selon son bon plaisir !! C’est le comble ! J’espère bien qu’on le mouchera et qu’on lui fera comprendre d’avoir à se tenir à sa place, à ce fantoche galonné-là !

Je quittais le citoyen sans plus, Raux passablement molesté, et à qui j’ai dit ce que je pensais de son supérieur !! et notamment que je n’avais aucun ordre à recevoir de lui. (Rayé).

Rentré à St Martin à 5h très fatigué. Je décide cependant de retourner le lendemain 4 septembre à Épernay faire enregistrer mon partage, et en même temps j’accompagnerai Robert et Marie-Louise jusque là.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Mardi 3 – Visite d’un Aumônier militaire m’annonçant la visite de la Directrice du Foyer du Soldat, Madame Cahen. Visite de M. l’Aumônier militaire Prunay (?), de M. l’Aumônier militaire Mortin du 22e Colonial. Visite du Capitaine Gautherot, professeur à l’Institut Catholique, qui part pour la Palestine. II m’a dit qu’à la 5e Armée on me considérait comme faisant partie de la 5e Armée (allusion à mon discours à Ay et à celui d’Avenay)

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mardi 3 septembre

Nos troupes ont pris pied au nord de l’Ailette, dans les bois à l’ouest de Coucy-le-Château, au sud de la rivière, et nous nous sommes emparés du village de Crécy-au-Mont.
Le total des prisonniers faits par nos alliés et par nous aux Allemands depuis le 15 juillet dépasse 128.000.
Les troupes australiennes ont pris Péronne, après avoir repoussé les contre-attaques ennemies au mont Saint-Quentin. Elles ont continué leur avance, en s’emparant des positions allemandes à l’ouest et au nord de Péronne, tandis que de violents combats se livraient dans les rues et les maisons en ruine.
Elles tiennent Flamicourt et Saint-Denis et ont avancé sur les éperons du mont SaintQuentin.
Les troupes de Londres, attaquant au sud-est de Combles, ont enlevé Bouchavesnes et Raucourt, ainsi que les hauteurs qui dominent ces villages et sont parvenues aux abords du bois de Saint-Pierre-Vaast. Elles ont fait 2000 prisonniers.
Nos alliés ont encore repoussé l’ennemi des hauteurs de Morval, pris Beaulencourt et la crête à l’est de Beaucourt et de Fremicourt. Ils sont dans le Transloy et ont conquis Bullecourt et Hendecourt-les-Cagnicourt. Ils ont fait là plusieurs centaines de prisonniers.

Source : La Grande Guerre au jour le jour