Louis Guédet

Lundi 15 juillet 1918

1403ème et 1401ème jours de bataille et de bombardement

11h matin  Nuit agitée, à minuit une terrible canonnade s’est élevée et a duré 2 heures  devant nous vers Suippes et Mourmelon, puis ensuite a paru remonter vers Reims. Je suis allé avec André et Marie-Louise jusqu’à la Côte de la Voie des Vaches où j’y ai trouvé la fille de notre fermier, Melle Albertine Olips, M. Thévenot l’instituteur et M. Martinet, de Châlons, marié avec une demoiselle Jacquin d’ici (Victor-Jules Martinet, né en 1847, époux de Marie-Lucie Jacquin (1892-1951). Le ciel était illuminé par les éclairs des canons, depuis Reims vers Massiges, surtout vers ce point (André, mon père, parlait souvent de cette scène-là qui l’avait vivement impressionné). Nous redescendîmes vers 1h1/4 regardant devant nous notre chemin ou l’heure avec nos lampes électriques, ce qui nous valu de la part du garde-barrière nommé Chamaragne de ce bout de village des réflexions assez vives : « On vous a bien vu avec vos lampes ! etc…  etc… » Un peu plus il nous aurait accusé de faire des signaux aux Boches avec ces malheureuses lampes de poches ! Au premier moment j’ai cru qu’il plaisantait, mais quand j’ai vu qu’il parlait sérieusement je lui ai ri au nez et l’ai remis à sa place en lui disant qu’il n’était pas permis d’être aussi froussard ! Et que dans ce cas s’il avait si peur il n’avait qu’à éteindre son phare de position de passage à niveau qui lui, faisait bien plus de lumière que nos malheureuses lampes. Je l’ai remis rudement à sa place, espèce d’imbécile que j’aurai à l’œil ! Il n’a qu’à se bien tenir car je ne le raterai pas.

Rentré j’ai veillé jusqu’à 3h du matin, et comme la canonnade s’éloignait je me suis couché, mais le roulement a duré jusqu’à 6h du matin où il a cessé subitement.

De 1/4 d’heure en 1/4 d’heure, puis de 7/8 minutes en 7/8 minutes des détonations avaient lieu vers Châlons. J’ai appris ce matin à Vitry-la-Ville où je suis allé aux renseignements que c’était un canon à longue portée allemand qui tirait sur la ville. On m’a dit que les habitants avaient couché dans les caves (je connais cela) et on me signala 2 points de chutes vers la caserne Corbineau, route de Suippes, et derrière l’hôtel du Renard rue Lochet, dont la façade est sur la place de la République. Il y aurait eu là 18 victimes, m’a déclaré un lieutenant américain qui y était cette nuit couché et revenait à Vitry-la-Ville rejoindre son groupe d’autos qui s’est replié de La Cheppe où ils étaient fortement bombardés.

On parle d’une attaque de notre part et d’une riposte des allemands par artillerie, l’infanterie n’aurait pas donnée, on dit…  rien de sûr comme conclusions. Des racontars et des faux-bruits toujours alarmants, hélas ! Ce qu’il y a de semeurs de panique ! et des gens qui semblent être très renseignés et inconstants. Il ne faudrait pas qu’il m’en tombe un sous la main, je l’arrangerais de la belle façon.

5h soir  Retourné à Vitry-la-Ville pour expédier 3 caisses de linge sur Troyes, avec mes archives. Appris là à la Gendarmerie et à la Gare que c’était les allemands qui avaient attaqué, et un automobiliste venu de Châlons aurait su à la 4e Armée qu’on était satisfait du résultat de cette nuit. On aurait su par des prisonniers que l’attaque devait se déclencher à minuit, et que le tir de l’artillerie viserait surtout les réserves pendant 2 heures, et qu’ensuite l’attaque se produirait. Alors nous aurions mis de suite en 1ère ligne nos réserves, en sorte que le barrage a tapé dans le vide. Et quand l’attaque s’est déclenchée, elle est tombée sur un « bec de gaz » » On aurait fait une hécatombe d’allemands. La bataille continue et dans de bonnes conditions.

Châlons a bien été et est encore bombardé par des 240. Cette nuit 68 bombes : 1 place de la République, Hôtel du Renard et 1 derrière l’hôtel, rue Lochet, 1 sur la grille de la maison Sénart (à vérifier), notaire, rue Lochet, qui a rasé les 3 maisons similaires et le Temple Protestant mitoyen, 1 sur la synagogue qui serait rasée, 1 rue du Gantelet, 2 maisons, 1 rue St Antoine (actuellement rue du Professeur Paul Langevin), 1 usine électrique des tramways, derrière rue de la Marne près du canal, 1 caserne Corbineau, route de Suippes, et les autres dans des terrains vagues.

Rentré à 4h1/2 fatigué.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

3 mars 1916 – Gabio sur la Suippe

Cardinal Luçon

Lundi 15 – Minuit. Ronflement puissant au dehors ; je pense que ce sont les automobiles d’ambulance. Je crois voir des éclairs; je me lève pour voir l’orage ; ce n’était point l’orage dans le ciel, mais sur la terre. Les autos étaient tranquilles et silencieuses. Les éclairs ne venaient pas du ciel. L’offensive attendue dès la nuit du 7 au 8 se produisait dans celle du 14 au 15(1). II est minuit. L’officier d’ordonnance du Général Albricci Principe Buon Compagni… vient de la part du général me dire que c’est la bataille imminente ; qu’il faut partir. J’obtiens de ne partir que le lendemain après la population, sursis pour moi puisque à 2 h. après midi une voiture sera à ma disposition ; une autre pour les Sœurs. Je descends dans la terreur: tonnerre des canons, éclairs immenses de Château-Thierry à Main de Massiges. C’est la grande offensive attendue. Nous passons la nuit à faire des bagages, nos valises, à brûler nos papiers : il ne faut rien laisser d’écrit: tout emporter ou brûler. Peu dormi. Coucher vers 2 ou 3 h. ; levés à 5 ou 6 h. Messe, dernière ! Omne caput languidam et omne cor maerens. Dans la matinée, visite d’adieu au Général Albricci, au Général Conson (sic), au Sous-préfet. Diner à midi. A 2 h. embarquement dans une automobile du Général portant pour fanion L’écusson royal d’Italie, Regno d’Italia. Arrivée à Romilly à 5 h., à Paris à 9 h. Pas de place pour s’asseoir dans le wagon bonde ; un Américain, M. John Bryon Robinson m’offre sa place généreusement et avec les plus aimables instances. Rue d’Ulm à 10 h. 1/2. Coucher à 11 h. A 10 h. 1/2, premier coup du canon à longue portée allemand sur Paris. Rencontre à la gare M. Schmoll, du Gaulois, qui nous cède la voiture qu’il avait retenue pour lui, et qui vient nous conduire à l’Adoration Réparatrice. A 3 h. après-midi, embarquement des Sœurs pour Romilly et Paris.

(1) C’est la dernière offensive allemande, baptisée par eux « offensive pour la paix », qui menacera à l’Est de Reims Pourcy, au Sud de Marne Condé-en-Brie, et à l’Ouest de Reims sera bloquée dans la vallée de la Vesle devant la IVe Armée Gouraud.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 15 juillet

Au nord de Montdidier, actions d’artillerie locales, notamment dans les régions des bois Sénécat et de Cantigny et dans le secteur de Gournay-sur-Aronde.
En Champagne, nos reconnaissances ont exécuté plusieurs coups de main qui nous ont permis de faire des prisonniers.
Les Anglais, à l’est de Doove, ont repoussé avec pertes un coup de main ennemi.
L’artillerie ennemie s’est montrée active au nord-ouest d’Albert, à l’ouest du mont Kemmel, au sud et au sud-est d’Ypres, et la nôtre, sur divers-points.
L’aviation ennemie n’a montré aucune activité. L’aviation anglaise, en raison du mauvais temps, n’a pu exécuter qu’à de rares intervalles sa besogne de repérage. Aucun combat n’a eu lieu. Durant la nuit, les aviateurs britanniques ont jeté quatre tonnes de bombes.
Sur le front italien, les Autrichiens ont attaqué la position du Cernone (Sasso-Rosso) avec de grosses patrouilles lancées en éventail. Mais ils furent prévenus par nos alliés qui les contre-attaquèrent à la baïonnette et les mirent en fuite en les poursuivant jusqu’à leurs tranchées de départ. De nombreux adversaires restèrent sur le terrain, 2 officiers et soldats ont été capturés ainsi que 4 mitrailleuses.
Activité d’artillerie au Pasubio. Dix avions ennemis ont été abattus.

Source : La Grande Guerre au jour le jour