Louis Guédet

Samedi 1er juin 1918

1359ème et 1357ème jours de bataille et de bombardement

4h soir  Temps magnifique. Je me remets de mes aventures d’hier ! Quelle journée !

Parti à 5h1/2. Je prends le train à Vitry-la-Ville. A Châlons nous ne savons pas si nous pouvions continuer sur Épernay. Enfin à 8h nous partons. Nous arrivons à Épernay (tout le monde descend !!) à 9h1/2.

Je cours au Palais où je trouve le Procureur de la République qui causait avec M. Dupuy, notaire à Ville-Dommange qui était arrivé dans la nuit de Ville-Dommange qui était évacué ! Il avait pu sauver ses archives qui étaient au Palais de Justice d’Épernay en attendant qu’il les évacue plus à l’arrière. Nous conférons avec le Procureur et M. Bouvier, Vice-président, et nous décidons, malgré les nouvelles rassurantes émanant de la Place, d’évacuer toutes les archives des Études Harel, notaire à Reims, Lefebvre notaire à Aÿ, Labitte notaire à Verzy, les miennes et celles de la Chambre des Notaires… (Je lui ai envoyé une lettre officielle dans ce sens ce matin) et il allait s’en occuper de suite pour les faire évacuer soit par camion automobile, soit par chemin de fer, en principe vers Sézanne ! Je les quitte à 11h, déjeune rapidement au buffet. Les trains venant de Paris par Gretz, Coulommiers, Sézanne et Épernay et continuant sur Châlons (la ligne étant coupée de Château-Thierry à Épernay) devant partir à 12h10, j’attends jusqu’à 7h du soir. A ce moment j’acquiers la certitude que le train de Paris n’arrivera pas. Je me remue, et grâce à un employé de la Gare de Reims qui est de service à celle d’Épernay, et des officiers qui veulent arriver à Châlons coûte que coûte, nous pouvons en secret aller prendre un train à 1 kilomètre de là qui venait de débarquer un bataillon du 409e de Ligne et qui retournait à vide à Châlons.

Durant mon attente j’assiste à l’exode navrant des populations du Fismois et du Tardenois qui fuient devant l’ennemi ! Des trains les emmenaient vers Nevers !

Nous partons à 8h et nous sommes à Châlons vers 9h1/2. Là, difficulté pour tâcher d’obtenir un train du même genre qui s’arrêterait à Vitry-la-Ville. Je m’adresse au chef de gare de Châlons qui tout d’abord me reçoit assez mal. Je parlemente, j’explique mon cas, les causes et circonstances de mon voyage, et mon ennui d’être obligé de faire 25 kilomètres à pied pour rentrer à St Martin tranquilliser les miens. Bref  j’arrive à obtenir du chef de Gare qui se radoucit qu’il m’autorise à monter dans un train en formation pour Bar-le-Duc, et il donne l’ordre au chef de train et au chauffeur d’arrêter à Vitry-la-Ville une seconde pour me permettre de sauter du train et rentrer enfin chez moi.

Je saute à 11h3/4 dans le train en catimini et je pars. Entretemps alerte d’avions. Mais c’était vers Épernay qu’ils se dirigeaient et qu’ils ont bombardé.

A minuit j’arrive à Vitry-la-Ville. Je descends, serre la main au chef de train et je me dirige à pieds vers St Martin, heureux de pouvoir rentrer. Pas un chat ! mais la nuit est assez claire. Je traverse Vitry-la-Ville, j’entre dans Cheppes quand au milieu du village, au tournant entre Vitry et St Martin en S, surgit de l’ombre un soldat qui me pose le canon de son fusil sur la poitrine en criant : « Halte ! » Je crie : « Français, juge de Paix ! » mais il me répond par un grognement. Est-ce à un ivrogne ou à un fou que j’ai à faire ? Je parlemente encore, puis tout à coup il relève son fusil en me faisant signe tout en grognant de passer. 2 pas plus loin je rencontre deux autres soldats qui ne me disent rien. Je continue ma route, tout en me demandant à qui j’avais à faire, en tout cas il y avait des troupes cantonnées arrivées de la journée. Comme je réfléchissais à cela, soudain, en face de la dernière maison de Cheppes vers St Martin surgit d’une haie un autre soldat qui me plante encore le canon de son fusil sur la poitrine. Je pare avec ma canne et relève l’arme en disant : « Français ! et vous, Anglais ? » Grognements comme le précédent. Les Boches ne sont cependant pas là ! Je lui crie tout en cherchant  à distinguer la nature de son casque : « England ? American ?! » – « Polsk ! » me répondit-il en grognant et en me laissant passer ! J’avais le mot de l’énigme. C’était des Polonais qui étaient cantonnés à Cheppes et à St Martin ! Enfin j’arrive à 2h1/4, on m’attendait anxieusement. Quelle journée !

Au Parquet le Procureur était très inquiet sur le sort de Bruneteau, notaire à Fismes, et Colin notaire à Ville-en-Tardenois dont on n’avait aucunes nouvelles, non plus que de Legrand juge de Paix de Ville-en-Tardenois !

Dans le train militaire d’Épernay à Châlons était monté avec nous la Receveuse des Postes de Chatillon-sur-Marne, Melle Dupeu, qui avait quitté son poste le matin même ou dans la nuit, qui m’a appris que Dufour mon confrère de Châtillon avait pu partir avec ses archives vers Anglure, ainsi que Mirman, l’huissier et le Receveur de l’Enregistrement de cette commune, mais les actes de l’État-civil n’avaient pu être évacués : incurie, négligence, fuite du Maire (M. Pommier) (Jean Isidore Pommier, Chevalier de la Légion d’Honneur le 7 octobre 1918 (1845-1919))? Je ne sais !

Aujourd’hui travaillé à mon courrier, écrit à divers pour leur dire que j’étais obligé de renoncer à mon voyage à Paris et Versailles, les communications étant coupées.

Comme nouvelles les allemands exerceraient leur pression vers Château-Thierry, Jaulgonne, mais rien de sûr ni de saillant.

Hier dans le numéro du Petit Parisien, le lieutenant-colonel Bonnet avait l’air de dire qu’il y avait encore eu des fautes de commises par des généraux en chef et le Haut Commandement. Cela ne m’étonnerait nullement. (Rayé). Il admettait qu’à l’État-major Général on n’ait pas pu savoir qu’il y avait 5 à 600 000 hommes de massés devant le front entre Reims et Soissons ! Il ajoutait que 500 000 hommes ne pouvaient se dissimuler ainsi sans qu’on ne s’en aperçoive…

Épernay a été fortement bombardé cette nuit comme je le signalais plus haut : vers 10h1/2 à 11h, 70 torpilles sont tombées vers l’Hôpital Ste Marie. Pas de victimes, des dégâts seulement.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Samedi Ier – Mois du Sacré-Cœur. Sur Épernay : nuit épouvantable. Tirs de canons ; éclatement des obus étincelants dans les airs. Projections, fusées lumineuses montant dans les airs ; globules brillant comme des chandelles romaines ; lancement ou jet de torpilles qui, en frappant le sol, le font trembler. Les avions ennemis sont venus à quatre ou cinq reprises ; ont allume un incendie à la gare (d’un wagon de goudron). Visite de M. le Cure de Dizy. Relu lettre du Général Franchet d’Esperey me priant de partir. Je lui avais demandé de rendre libre pour l’automne le château de M. de Aiala. II me répond bien loin de là, je suis oblige de vous prier de quitter Hautvillers, où vous n’êtes pas en sureté. Vous pouvez être pris sous le feu des canons ennemis. C’était par bienveillance qu’il parlait ainsi. Je décide d’envoyer M. Lecomte et M. Camu à l’arrière avec la comptabilité, les papiers, les lettres, etc. du secrétariat qu’il ne faut pas exposer ä tomber entre les mains de l’ennemi qui est à nos portes. Mgr Neveux, M. Compant et moi resterons, même pendant la bataille, même si Hautvillers est pris. Je serai alors quand même dans mon devoir, comme les Évêques de Belgique, comme ceux de Cambrai et de Lille. Dans cette disposition d’esprit, je ne réponds pas au Général Franchet d’Esperey. Visite d’un aumônier du 4… qui nous apprend la mort du Père Decroix, tue dans la bataille du Tardenois, et prétend que nous tenons et arrêtons les Allemands. II faut espérer que Hautvillers restera en dehors de la bataille. Visite une heure après d’un Aumônier, vicaire de la Cathédrale de Besançon, qui parle dans un sens beaucoup moins rassurant.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Samedi 1er juin

L’ennemi a prolongé son effort sur sa droite, jusqu’à l’Oise, par de violentes attaques dans la région de l’Ailette. Nos troupes se sont repliées en combattant sur des positions au nord de la ligne Blérancourt-Epagny.
Dans la région de Soissons et plus au sud, les attaques ennemies se sont brisées contre la résistance héroïque de nos troupes, qui ont maintenu leurs positions aux débouchés ouest de la ville et le long de la route de Château-Thierry.
Au centre, l’ennemi a réussi à effectuer une légère avance dans la région au nord de la Marne.
Plus à l’est, ainsi qu’au nord-ouest et au nord de Reims, tous les efforts des Allemands ont été vains. Une contre-attaque, énergiquement menée par nos troupes, nous a permis de reprendre Thillois.
Un détachement des troupes anglaises a enlevé un poste allemand au sud-est d’Arras, et fait quelques prisonniers. Des rencontres de patrouilles au nord-est d’Ypres nous ont valu également quelques prisonniers et une mitrailleuse.
L’ennemi a attaqué un des postes allié au nord-est de Robecq.
L’artillerie ennemie a été active dans les secteurs de Villers-Bretonneux et d’Albert, et entre Festubert et la rivière Clarence.
L’aviation italienne a pris une part active aux combats sur notre front.

Source : La Grande Guerre au jour le jour