Louis Guédet

Lundi 4 mars 1918

1270ème et 1268ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Parti par la neige à 9h. Je quitte la maison de la rue des Capucins 52 où j’ai tant souffert, le cœur en sang. Adèle pousse la petite voiture sur laquelle j’ai mis mes valises emportant mes derniers objets et papiers, moi poussant à la roue, fouetté par la neige tourbillonnante. Dans l’autobus Lelarge et l’abbé Dupuit, curé de St Benoit, ce dernier quittant Reims. Route longue et triste, lugubre jusqu’à Épernay. Arrivé ici à 10h3/4. Je vais au Parquet ou le Procureur m’enjoint encore d’aller me reposer. Il a raison ! Je n’en puis plus ! Comme je m’accusais et que je lui disais que j’espérais qu’il ne prenait pas mon voyage à St Martin pour une défection ! Il protesta et me dit : « Vous n’y pensez pas, mon cher juge de Paix, vous avez fait plus que vous ne pouviez, que vous ne deviez, et je ne permettrais à qui que ce soit d’oser avoir semblable pensée sur vous. Je vous enjoins à nouveau d’aller vous reposer ! » – « Et attendez nos ordres ! Car il est probable que vous ne rentrerez pas à Reims qui sera évacué entièrement, même ceux avec lesquels vous pensiez rester jusqu’à la fin ! »

Je le quittais les larmes aux yeux !! J’étais brisé.

Vu de Mun, notre député au buffet de la Gare (Bertrand de Mun, homme d’affaires et politique, mobilisé comme capitaine dans un régiment de Dragons (1870-1963)), qui est fixé sur la délicatesse des Galonnés qui nous régissent !! Il songe à demander qu’on dégomme le commissaire du Gouvernement, le fameux Capitaine La Montagne, une brute méridionale de la plus belle verrue !

En attendant le train une malheureuse évacuée qui me connaissait me conta qu’avant-hier, ayant reçu l’ordre de partir aujourd’hui, et ayant son beau-père à la mort, elle alla voir cette brute de La Montagne pour le prier de l’autoriser à rester quelques jours pour assister ce moribond et veiller à ses obsèques. Ce gredin lui répondit : « Vous partez. Votre beau-père mourra bien sans vous, et on l’enterrera. Allez. Foutez-moi le camp ! (Sic) » Il n’y a pas à insister sur de tels faits.

Voilà comment le malheureux peuple rémois est traité depuis 42 mois !

J’arrive à Vitry-la-Ville et à St Martin vers 5h, anéanti, broyé, brisé, en loques. Je ne puis à peine parler.

En pièce jointe un ticket vert du Service Automobile Reims – Épernay, daté du 4 mars 1918.           Reims à Épernay        Prix : 6 francs

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

4 mars 1918 – Le défilé, à la mairie, n’a toujours pas cessé. Nous remarquons encore dans la rangée de personnes qui passent, quelques victimes des gaz. L’ensemble du spectacle est navrant.

A ce jour, il a été évacué 1 915 habitants.

La journée est calme. Vers midi, nous voyons arriver à la mai­rie, M. le ministre des Beaux-Arts, accompagné de M. Lenoir, dé­puté et du capitaine Linzeler.

Sur la fin de l’après-midi, on vient déposer à la mairie, une vingtaine d’appareils à utiliser contre les effets des gaz. Ces appareils ressemblent, comme aspect, à ceux employés pour le sulfatage, dans le vignoble.

Bombardement en arrosage, le soir.

Le communiqué reproduit aujourd’hui, sur le journal, mentionne assez longuement l’attaque sur Reims qui a eu lieu dans la nuit du 26 février au 1er mars :

Paris, 2 mars, 15 h — L’action agressive de l’ennemi s’est violemment manifestée dans la région au nord-ouest et au sud-est de Reims. En fin de journée, des forces allemandes ont tenté de déboucher sur les saillants de Neufchâtel. Nos feux, déclenchés avec précision, ont désorganisé l’attaque. Des frac­tions ennemies qui avaient réussi à pénétrer dans nos postes avancés, en ont été chassés par nos contre-attaques. A la même heure, des détachements ennemis ont tenté d’aborder nos lignes, en face de la Pompelle, mais, sous nos feux ont dû précipitamment regagner leurs tranchées de départ. Après ce dernier échec, l’ennemi a relancé une nouvelle attaque plus violente dans la même région. Malgré ses efforts répétés, il n’a pu atteindre le fort de la Pompelle. Seuls, des éléments ennemis ont réussi à prendre pied dans la partie nord d’un petit ouvrage situé à l’ouest du fort. En même temps, une tentative ennemie, plus à l’est, au sud de la Bertonnerie, n’a pas obtenu de résultats.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Lundi 4 – Nuit tranquille à Reims. 0°. La neige tombe et couvre la terre. Nous embarquons dans un fourgon pour les évacués par chemin de fer les effets en réserve pour les pauvres. Midi, à la Cathédrale, Décoration de M. Sainsaulieu par M. Lasserre, qui m’y a fait inviter hier personnellement par M. Sainsaulieu lui-même, M. Lasserre désirant instamment que je sois présent. A 9 h. quelques coups de canon. Visite d’adieu de M. Charles.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

source : http://www.reims.fr/925/les-remois-en-1918-de-levacuation-au-retour.htm

Lundi 4 mars

Deux tentatives de coup de main ennemis, au nord du Chemin des Dames et dans le bois de Malancourt, ont échoué sous nos feux.
Bombardements assez vifs sur le front du bois Le Chaume.
En Lorraine, au nord-est de Reillon, nos tirs d’artillerie ont empêché une attaque en préparation de sortir de ses lignes.
Sur le front britannique, un coup de main a été exécuté avec succès sur les lignes allemandes au sud-est d’Armentières.
Des détachements ont été rejetés avant d’avoir pu aborder les lignes de nos alliés, au nord-ouest de Saint-Quentin et à l’est d’Arleux-en-Gohelle.
Une troisième tentative sur les tranchées britanniques de la région de Pontruet a échoué à la suite d’un corps à corps avec les patrouilles alliées. L’ennemi a subi des pertes importantes.
Un certain nombre de prisonniers sont restés aux mains des Anglais. Sur le front italien, échec d’une tentative ennemie dans le val Frenzela.
Canonnade réciproque sur le reste du front.
Les maximalistes ont signé à Brest-Litowsk une paix qui prend date du 3 mars.
Les Allemands ont débarqué dans l’archipel finlandais d’Aland. Ils ont notifié leur décision à la Suède.

Source : La Grande Guerre au jour le jour