Louis Guédet

Dimanche 3 février 1918

1242ème et 1240ème jours de bataille et de bombardement

9h matin  Il a gelé très fort, nous allons avoir encore une journée magnifique. Hier rafale d’obus vers 6h pendant un quart d’heure. A 6h1/4 je vais au 72, rue de Vesle retrouver les joueurs enragés de la Manille chez l’Homme d’osier : Lenoir, Rousseau, Guichard, Condreux, Beauvais, Happillon, Capitaine Giraud, Dor et Charles receveur municipal, très gais tous. Singulière physionomie que cette petite réunion de gens modestes et politiciens ! On chante, on joue ferme et on boit encore plus sec. Tous très bons enfants entre eux. Lenoir avait visité dans l’après-midi toutes les écoles. En sortant Beauvais m’a parlé qu’on voudrait bien décorer Melle Grandet, quoique cléricale, mais le moyen serait qu’il faudrait qu’elle fut présentée par l’abbé Camu ou même genre. Nous devons en recauser.

Nous parlons avec Lenoir du bombardement de Paris qui a été bien arrosé, et un peu partout. Lenoir lui-même disait que ce n’était pas une mauvaise chose pour les Parisiens qui savent un peu par là ce qu’est la Guerre. Cela les fouette et ils penseront un peu moins à leurs amis et à leurs plaisirs durant quelques jours.

Ils ont trouvé mon Champagne délicieux, je leur devais bien cela. Tous ont encore eu pour moi des mots charmants. Nous nous sommes quittés à 8h3/4 du soir. En rentrant chez moi 3 obus vers Fléchambault dont j’ai vu (place Clovis (place Gaston-Poittevin depuis 1946)) les éclatements. Hélas ! toujours la Guerre ! Quand en verrons-nous la fin. Quand donc aurais-je près de moi ma pauvre chère femme, pauvre martyre et mes chers enfants.

5h soir  Déjeuné chez Houlon et sa fille. Causé de bien des choses, des gens qui nous entourent et qui s’agitent. Comme je lui disais que Beauvais m’avait appris que Lenoir était brouillé avec Mignot, Houlon me conta la source de l’article du Petit Rémois lancé contre Emile Charbonneaux et qui confirme la brouille Mignot – Lenoir. Le Petit Rémois accuse Charbonneaux d’avoir enlevé de la houille des soutes de la Compagnie du Gaz à Reims pour son usine du centre. Alors charge à fond contre Émile Charbonneaux. Et qui mieux est le contremaitre de Mignot a vendu ce dernier en menaçant de cet article Grandin qui est le bras droit de Charbonneaux pour le ravitaillement. En résumé la houille industrielle du Gaz a été réquisitionnée et expédiée à Châlons sur ordre du Préfet qui en a disposé pour les usines du centre mais par contre le Préfet a vendu la même quantité à la Ville mais en houille ménagère. Voilà la grande affaire, mais ce n’est pas cela qui remettra du lubrifiant dans les relations de Mignot avec Lenoir, Charbonneaux et le Maire. (Rayé).

Après avoir quitté Houlon, je suis allé à Courlancy voir mon expéditionnaire et revenu ensuite travailler à mon courrier assez chargé en pièces et actes à classer, compléter et mettre au point. Le calme.

8h1/4 soir  Je lis ce soir un article d’Ernest Daudet (Ecrivain et journaliste (1837-1921) frère ainé d’Alphonse Daudet) dans l’Écho de Paris sur une scène du Duc d’Aumale à propos des mémoires du Duc d’Orléans, devenu Louis-Philippe, où il scrute la conscience de ce dernier quand il a accepté la royauté. Et Daudet termine son article en disant l’intérêt que ces souvenirs du passé, venant progressivement à maturité pour l’Histoire, apporte à notre époque si tourmentée, et il ajoute, tous ces vieux papiers se révélant tragiques ou héroïques, grandioses ou courageux, sont toujours un trésor historique pour la Gloire et la Grandeur de la France. Bonnes ou mauvaises, je serais heureux que mes notes deviennent ce trésor pour l’Histoire et la Gloire de ma chère Cité Rémoise.

Le petit-fils aura payé sa dette à ses aïeux Champenois (Et ton petit-fils aussi).

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

3 décembre 1917 – Bombardement après-midi, qui reprend le soir, à 19 h 3/4.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Lundi 3 – 0°. Nuit tranquille, ciel sans nuage. On recommande les mas­ques … gaz asphyxiants. Visite de deux prêtres de Belley. Visite de M. Abelé, qui me montre une image dont le sujet est l’archevêque de Reims et la ville de Paris. Obus vers 7 h. soir : 6 dans le voisinage de M. Abelé, rue de la Justice, dont 2 ou 3 dans sa maison pendant qu’il soupait dans la cave.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Lundi 3 décembre

Au sud de Saint-Quentin et au nord-ouest de Reims, nous avons réussi des coups de main et fait des prisonniers.
L’activité de l’artillerie a continué, très vive, sur la rive droite de la Meuse, sans action d’infanterie.
En Haute-Alsace, vers Ammerzwiller, nous avons repoussé diverses tentatives de coups de main sur nos petits postes.
Les Allemands, au front britannique, ont répété leurs attaques sur les positions de nos alliés, à Masnières, Marcoing, Fontaine-Notre-Dame, Bourlon et Moeuvres. Ils ont été repoussés. Des détachements ennemis avaient réussi à prendre pied dans le village les Rues-Vertes, sur la rive ouest du canal de l’Escaut. Ils en ont été délogés par une contre-attaque.
En Macédoine, activité moyenne de l’artillerie sur l’ensemble du front, plus vive vers Doiran et dans la région de Monastir-Cerna. Rencontres de patrouilles sur la Strouma et dans la haute vallée du Scumbi. L’aviation britannique a bombardé Rahova (vallée du Vardar).
Sur le front italien, la canonnade reste intense du plateau d’Asiago à la Piave inférieure. Nos alliés ont pris sous le feu de leurs batteries des troupes ennemies en marche sur la route du mont Ciemon au val de Los. Ils ont obtenu un succès par coup de main au mont Pertico.
Une attaque d’une flottille autrichienne, près de Pesaro a échoué.

Source : La Grande Guerre au jour le jour