Louis Guédet

Vendredi 2 novembre 1917

1148ème et 1146ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 matin  Les Morts !! Journée triste et sombre, la température est plutôt douce, il a plu une partie de la nuit. Bataille formidable dans le lointain vers Courcy, Loivre qui m’a empêché de dormir. Messe à 7h1/2, peu de monde. Rentré travailler. Encore une journée bien triste à traîner.

5h soir  Reçu lettre de ma chère femme m’annonçant l’arrivée de Robert mardi dans la nuit. Je pars donc demain, non à 9h car il n’y avait plus de place, mais à midi par l’autobus. J’en serais quitte pour ne pouvoir m’arrêter à Épernay. Vu le sous-préfet, mis au point diverses questions d’allocations, organisé mon voyage, je laisse Lise seule jusqu’au retour d’Adèle qui doit avoir lieu demain soir ou dimanche, ma femme lui a écrit du reste de revenir. Revu Beauvais après-midi qui m’a dit que le Préfet de la Marne Chapron avait donné un avis nettement défavorable au transfert de mes justices de Paix hors de Reims, et à l’appui de celui du sous-préfet. Cela va donc bien de ce côté. Lenoir, député, doit venir ces jours-ci et j’ai dit à Beauvais de s’inquiéter de ce qui a été fait par lui près de la Chancellerie de la Justice. Vu le matin le Docteur Langlet qui lui aussi a été très net et a dit qu’on ne devait pas enlever à Reims et à ses concitoyens le seul représentant de la Justice dans nos murs. L’affaire me semble en très bonne voie. Il n’y a plus qu’à attendre. De la Ville cet après-midi été au cimetière du Nord, visite à la tombe de Mme Bataille pour ma chère femme (ou sera enterré Honoré Bataille, Madeleine Guédet, Maurice, Marie-Louise et Robert Guédet, ainsi que Suzanne l’épouse de ce dernier), et à celle de Maurice Mareschal.

Rencontré en route Gustave Houlon, conseiller municipal, qui m’a accompagné. Causé d’une foule de choses, sur les personnalités Rémoises restées ici. Il me disait que le Maire ne marchait plus que par Émile Charbonneaux. Beauvais vise la direction d’une école des Arts et métiers après la Guerre.. Guichard qu’Herriot Reims après la Guerre. On parle de son mariage avec Melle Luigi Directrice des Hospices !! Quant à lui, le cher ami, il serait bien heureux d’avoir le ruban rouge…  que du reste il mérité plus que tous les autres !! J’y verrai et je ferai l’impossible pour qu’on répare cette injustice le plus tôt possible. Rentré chez moi, fini ma valise.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Vendredi 2 – + 9°. Nuit tranquille ; pluie ; voyage à Châlons : service pour les soldats à la Cathédrale. Discours et reçu visite du Général Fayolle(1), du Général Gouraud ; du Préfet de la Marne. Rendu les trois visites. Visite au cimetière militaire où il y a déjà 6 000 tombes de soldats. Au retour, accident d’automobile : un cheval vient s’abattre sur notre auto, dans la forêt, un peu en deçà de Champilly (2 ou 3 km), parce que vu l’obscurité et le brouillard, notre conducteur ne voyait pas venir cet attelage, qui n’avait pas de lumière, mais qui était sur sa droite.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Général Fayolle. Ce Polytechnicien était en retraite en 1914. Il combat d’abord devant Nancy avant d’être engagé en Artois. En 1915, il s’empare de Carency puis remplace Pé­tain à la tête du 33′ Corps d’armée – En 1916 il commande la VIe puis la 1″‘ Armée. En 1917, il commande les forces franco-britanniques qui soutiennent les Italiens après leur défaite de Caporetto. En 1918, à la tête du groupe d’armées de réserve, il contient la pous­sée allemande, puis passe à la contre-offensive. Il entre à Metz le 19 novembre 1918. Il est fait Maréchal de France en 1921. Il est l’auteur de « Carnets secrets » fort savoureux.


Vendredi 2 Novembre

Lutte d’artillerie assez vive sur nos nouvelles positions en Be1gique et sur le front au nord de l’Aisne.
L’ennemi a tenté sans succès un coup de main sur nos petits postes au nord de Loivre (nord-ouest de Reims). De notre côté, nous avons réussi diverses incursions, dans les lignes allemandes, vers Berthénicourt (sud-est de Saint-Quentin), en Champagne, dans le secteur de Souain; en Argonne, dans la région de Bolante, et en Woëvre, au nord de Flirey. Nous avons ramené une quarantaine de prisonniers et infligé des pertes sérieuses à l’adversaire.
Sur le front britannique, l’artillerie allemande s’est montrée active pendant la nuit à l’est et au nord-est d’Ypres.
Nos alliés ont dispersé par leurs feux une concentration de troupes ennemies ver Passchendaele.
Trente avions allemands en plusieurs escadrilles, ont tenté un raid sur l’Angleterre. Trois seulement sont parvenus jusqu’à Londres, où l’on a compté 8 morts et 21 blessés.
Les troupes anglo-égyptiennes ont occupé Bir-Seba, en Palestine, non loin de Gaza.
Les Allemands ont continué, sur le front russe, l’évacuation de la presqu’île de Werder.
L’armée italienne, sous la protection de ses troupes de couverture, s’est retirée derrière le Tagliamento.

Source : La Grande Guerre au jour le jour