Louis Guédet

Mardi 31 juillet 1917

1053ème et 1051ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Nuit assez calme. Temps lourd qui s’est terminé à partir de 1h par une pluie battante. Triste et lugubre journée. Je suis allé à l’Hôtel de Ville où en route j’apprends par Beauvais la décoration de la Croix de Guerre de Marcelot (chef fontainier du Service des Eaux), Speneux, Melle Luigi que je connaissais déjà, et celle de Palliet, pas enchanté, il aurait préféré le ruban rouge et du du Docteur Gaube (Joseph Gustave Raoul Gaube (1858-1950))!!! C’est raide quand on voit de Docteur Hoël mis de côté, lui qui n’a jamais quitté Reims, tandis que le Docteur Gaube lui s’est sauvé à l’arrivée des allemands, et n’est rentré que…  très tard !!! Enfin on en voit de drôles…

En arrivant je me heurte à Palliet que je félicité, alors de dire qu’il est furieux qu’on ait rien donné à ses subordonnés, etc…  etc…  criant même contre le Maire. Est-ce comédie ou réalité, on ne sait jamais avec ces policiers !! Je vois le Docteur Langlet, avec Raïssac, à qui je conte mon affaire de justice de Paix de Bossu qui a empêché à Leroux et Herbaux de me donner le soufflet de nommer un juge titulaire comme on essayait de leur faire faire. Il a parfaitement compris pourquoi je ne voulais pas quitter Reims et je crois qu’il m’en est reconnaissant. Il sait que si je tiens c’est pour que les quelques dirigeants restés ne se désagrègent pas petit à petit, et que le cœur de Reims palpite encore. Il m’apprend une bonne nouvelle, c’est que la question de l’évacuation de Reims est complètement et définitivement abandonnée par l’autorité militaire, sauf pour les indésirables. Je le quitte, et passant à la Poste j’y trouve Houlon qui me reconduit jusqu’à ma porte. Il grogne toujours contre le ridicule des décorations d’hier. (Rayé) qu’ayant ce qu’ils voulaient (rayé) vraiment trop (rayé)! et de fil en aiguille il me conte que la nouvelle décoration de Melle Luigi est la suite d’un conflit de l’autorité militaire avec Poincaré. Celui-ci avait décoré, comme on le sait, de la Croix de Guerre Melle Luigi et Mme Tonnelier, des Hospices, l’autre jour. Or ceci ne plut pas à nos galonnards à qui on n’avait pas, parait-il, soumis l’affaire. Alors pour faire sentir à mon Poincaré qu’il avait outrepassé ses droits, l’autorité militaire a fait paraître à l’Officiel la citation de Melle Luigi qui se trouve maintenant à la tête de 2 Croix de Guerre (rayé) en guise de (rayé). Quant à Mme Tonnelier, de ce fait se trouve avoir la Croix de Guerre sans l’avoir. Quelle comédie encore !

Mais quelle mesquinerie de tous ces autocrates galonnés !! Tu as décoré 2 femmes sans nous le dire de la Croix de Guerre, dont nous seuls avons le…  droit !!?? de disposer ? Eh bien ! tiens mon vieux Poincaré, nous n’en décorerons qu’une et te laisserons l’autre pour compte !…

Après-midi simple police à 1h1/2 avec Palliet comme ministère public. 79 affaires, dont 26 pour défaut d’autorisation de circuler à bicyclette. Il y en avait 3 qui étaient intéressantes, c’est que les gendarmes avaient saisis à Villemet et les 2 Goérand leurs bicyclettes, contre tout droit, mais elles leur avaient été rendues 15 jours ou 3 semaines après…  sans leurs accessoires qui avaient été barbotés !!! Malheureusement ces jeunes gens, tout heureux d’avoir leurs machines ne songèrent pas à faire des réserves pour leurs accessoires volés…  par les Pandores !! J’étais désarmé ! Une affaire Ménard, employé d’octroi, dont le chef, prévenu par téléphone que l’autobus Reims – Épernay était en panne à Montchenot, était prié d’aviser la Place pour qu’on envoyât du secours. Il demande à Ménard d’y de courir à la Place prévenir, et pour aller plus vite lui dit de prendre sa bicyclette à lui. En débouchant du Pont de Vesle mon Ménard tombe sur 3 Pandores, Toureng (à vérifier), Caen et Rossignol qui l’arrêtent, lui demande son autorisation de circuler à bicyclette dont il n’était nullement muni, puisqu’il n’avait pas de machine à lui ! Subséquemment on le gratifie d’un procès-verbal, bien qu’il explique que c’était pour le service et pour l’autorité militaire, Pandore fut impitoyable ! J’ai acquitté, cela va de soit. Le procès était du 15 juillet 1917.

Une bien bonne arrivée à un nommé Neu, de la Maison Krug. On le charge d’une course pour la Place, pressé-pressé. Des gendarmes qui cantonnaient à la Maison Krug, entendant cela, lui dirent qu’il n’arrivera jamais à temps, et lui offrent une de leurs bicyclettes. Il l’enfourche et au tournant d’une rue, Paf ! le voilà sur un Gendarme ! « V’savez autorisation d’circuler sur machine ? Hein, civil ? » – « Non ! » – « Ah, alors procès-verbal, scrogneugneu !! » – « Mais c’est un de vos collègues qui m’a prêté sa machine ! » – « M’en fout ! et puis pas de plaque, deux procès j’vous réitère !!… » Je n’ai qu’un regret, c’est que le Pandore n’ait pas suivi la machine. Têtes des confrères de la Maison Krug !! si cela fut arrivé !

Un autre est arrêté au Pont de Muire par le gendarme qui lui demande s’il a une autorisation de bicyclette. Il répond négativement. Le gendarme ne lui dit rien et le laisse partir pour Pargny. A son retour le même gendarme l’arrête de nouveau et lui donne Procès-verbal !! comme si celui-ci n’aurait pas dû arrêter l’homme lorsqu’il sortait de Reims en le prévenant que s’il sortait quand même il verbaliserait ! mais c’eût été trop simple, et…  trop honnête !…

Demain matin j’irai visiter cette pauvre Cathédrale qui, parait-il, a été fort abîmée encore hier…

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Mardi 31 – + 16°. Nuit tranquille en ville. Au loin et sur les batteries, activité. Journée pluvieuse, assez tranquille. Vers 2 h. à 5 h. bombes au loin. Visite à la Visitation ; la Supérieure est venue de Paris, où les Sœurs sont réfugiées. Il n’en reste que trois ou quatre à Reims. Visite à l’Enfant- Jésus incendié la veille. Écrit au Vatican. Visite de M. Brousse, aumônier.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Mardi 31 juillet

Lutte d’artillerie très vive dans la région Cerny-Craonne.
Les Allemands ont prononcé sur Hurtebise une attaque que nos feux d’artillerie et d’infanterie ont fait complètement échouer. Vive activité de l’artillerie sur la rive gauche de la Meuse, particulièrement dans la région de la cote 304.
Canonnade sur une partie du front italien. Nos alliés ont fait un certain nombre de prisonniers.
Leurs hydravions ont laissé tomber des bombes et des mines sur les hangars de Presea, puis ils sont rentrés indemnes.
Un sous-marin allemand est entré avarié à la Corogne. Le gouvernement espagnol a décidé qu’il serait interné au Ferrol.
Les milieux militaires allemands manifestent une inquiétude croissante au sujet du bombardement qui se poursuit en Flandre. Gand a été bombardé par les aviateurs alliés.
Les troupes russo-roumaines ont encore avancé de quelques kilomètres entre les vallées du Cosinu et de la Putna. 6 nouveaux villages ont été occupés par elles. De nouveaux prisonniers ont été faits; une batterie d’obusiers a été capturée.
On annonce que von Kuhlmann aurait été nommé ministre des Affaires étrangères d’Allemagne.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Source : collection Patrick Nerisson