Louis Guédet

Lundi 18 juin 1917

1010ème et 1008ème jours de bataille et de bombardement

6h matin  Hier soirée orageuse, lourde, nuit étouffante, énervante, on ne pouvait dormir, puis ajouté à cela le canon et les obus. Orage formidable vers 2h du matin qui nous a encore empêchés de dormir avec son tonnerre. La température est un peu rafraîchie. Et à 5h1/2 un obus tout proche arrive en hurlant. Au 3ème je me lève pour être prêt à descendre. En ce moment ils continuent à tomber à assez larges intervalles, mais ils paraissent s’éloigner de notre quartier.

Hier vers 8h du soir, des soldats ivres firent du tapage à ma porte, et comme ils continuaient, je les attrapais, mais 2 sous-officiers du 118ème (un adjudant et un sous-lieutenant, Croix de Guerre s’il vous plait) s’en mêlèrent comme je leur demandais d’intervenir pour faire cesser ces braillards avinés, or eux-mêmes, passablement  avinés, sentant l’alcool et l’absinthe et éméchés, se mirent à m’attraper et à la fin prétendant que j’avais insulté leur régiment : Le Dix-huitiêêêêême !! Criaient-ils et me menaçaient d’en référer à leur colonel pour me faire…  expulser. Rien que cela !! Le papa Morlet et sa femme et un autre ménage étaient outrés de la scène. Allez donc compter sur des officiers pareils pour sauver la France, et nous délivrer !…  Tout cela est bien triste.

6h10  Cela paraît être fini. Inutile de se recoucher. Je vais faire ma toilette et m’habiller définitivement, mais pour quoi faire ?? Mon courrier est à jour, et pas de travail pour aujourd’hui. Le désœuvrement me fatigue et me déprime autant que le bombardement.

7h1/4  L’orage reprend depuis une demi-heure, et les éclatements du tonnerre se mêlent à celui des obus en sorte qu’on ne sait lequel des deux qui éclate près ou au-dessus de vous. Quelle vie ! La pluie tombe comme à regret, cela rafraichirait cependant un peu l’air qui est brûlant. C’est le tonnerre sans eau ou à peine. Tout se coalise pour nous détruire. A l’instant même un coup strident et l’éclair en même temps. La foudre vient de tomber tout proche, sur les arbres de chez Benoist probablement, très près. Cela m’a fait sursauter. L’air, du reste est chargé, surchargé d’électricité. Et pas une goutte d’eau ! C’est à se demander si ce n’est pas la fin du monde. Je suis tout bouleversé. Extrêmement fatigué d’une nuit presque blanche et des 3 précédentes.

6h1/2 soir Bombardement toute la matinée, des victimes rue des Moulins, etc…  Dondaine est venu me voir et m’apporter des pièces diverses.

Vu à 10h Beauvais qui m’a conté comment les remises de décorations d’hier ont eu lieu. Le Président de la République était accompagné de Vallé, Bourgeois, Lenoir, de Mun, du Général Micheler et du Général Fayolle, du Général Cadoux de la Place. Entrevue très cordiale avec le cardinal, qui a été décoré le premier, puis de Bruignac, Charbonneaux, Beauvais, Harman (absent) (remise au maire), Dramas et Martin. Croix de Guerre Mmes Luigi et Tonnelier, citations diverses mais avec des oublis criants et déplorables aux dires mêmes de Beauvais, qui a esquissé une pointe pour moi à laquelle je n’ai répondu que par l’indifférence. Ah ! non alors, je n’ai qu’un désir, c’est d’être décoré bientôt à la barbe de tous ces politiciens et radicaux par le Ministère de la Justice, et le faire sentir que je ne leur dois rien, tandis que je leur ai rendu des services.

Le Président a visité ensuite la Cathédrale, qui, parait-il, est dans un état lamentable. Beauvais à qui j’ai nettement dit que je ne voulais pas avoir le nez cassé m’a promis de me la faire visiter. Bref cérémonie officielle, où on critique durement le Maire. Mon pauvre papa Langlet, ton étoile pâlit. Beauvais m’amusait quand il me disait que le Maire avait fait l’éloge de ses 2 adjoints, mais il aurait dû glisser un mot pour le cardinal et…  les autres, lui et Dramas sans doute ?… ?!… En tout cas, d’après ce que je sais d’aujourd’hui. Côté Beauvais, Lelarge, Benoist et Cardinal (Mgr Neveux et l’abbé Lecomte en plus) le Président a été vraiment gracieux, et pour le cardinal a été d’une courtoisie parfaite. De plus il aurait insisté dans son discours pour dire que la liste de reconnaissance de la France pour les Rémois qui ont fait leur devoir et plus que leur devoir n’était pas close. Il n’est que temps pour les braves gens que je connais à qui on devrait donner des kilos de rubans, et certes je ne prie pas pour mon saint ! Je sacrifierais volontiers celui qu’on me destine pour que les autres qui l’ont certes aussi bien mérité que moi l’aient tout de suite.

Après-midi rendu visite au cardinal, très heureux. Vu Mgr Neveux qui m’a confirmé ce que m’avait dit Beauvais, attardé à jaser avec le fin abbé Lecomte et rentré vers 5h du soir. Avec un courrier en retard à rattraper. Sorti après dîner, porté mes lettres, poussé jusqu’au « Petit Rémois » pour dire à Etienne qui avait dit qu’il parlerait de moi à propos de ces fameuses décorations pour le prier de n’en rien faire. Le fera-t-il ? Je ne sais ? En tout cas j’ai demandé le silence qui est d’or plus que jamais. Malheureusement je ne puis les empêcher de causer s’ils le veulent.

Rencontré de Bruignac au moment où je causais avec le chef du service de ravitaillement M. Robiolle (Léon) qui (Dieu ! qu’il en a sur le cœur depuis hier !) a plutôt la langue bien pendue. Bref de tout cela et de cette journée d’hier plus de mécontents qu’on ne pense, et je dois avouer qu’il y a eu des gaffes formidables de commises ! Et il était si simple de contenter ces humbles si courageux, si admirables. Bref, Reims est en révolution, crie, hurle, s’agite et n’est pas contente. On dit « Vox populi, vox Dei », je le crois.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

18 juin 1917 – Bombardement.
M. Edmond Henry, couvreur, est tué dans la matinée, devant son domicile, rue des Moulins.

Le communiqué annonce 1 200 obus pour la journée d’hier 17.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Lundi 18 – + 21. Nuit tranquille. 4 h. Orage presque sans pluie vers 4 h.-

5 h. bombes sifflantes de fort calibre, où ? 6 h. 35, plusieurs grosses bom­bes assez près de nous. Orage violent : la foudre tombe entre l’Hôtel de Ville et la Cathédrale, pendant ma messe. 2 fois. Visite au Docteur Gaube. 9 h. 30, orage violent, grêle. Visite des Sœurs de l’Espérance. A 2 h. du Clergé, du Capitaine de Pimodan, et d’un aumônier (de Limoges), du Général de Mondésir et du Capitaine d’Aubigny. Violent, violent combat à l’est de Reims. Vers 9 h. pendant 1 heure probablement du côté de Moronvilliers.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Lundi 18 juin

Dans la région au nord-est de Cerny, l’ennemi a déclenché un feu violent sur nos positions de la Bovelle, tandis que ses détachements d’assaut se rassemblaient dans les tranchées. Notre artillerie a fait avorter ces préparatifs d’attaque et ramené le calme.

Plus à l’est, la lutte d’artillerie a pris un caractère d’extrême intensité dans le secteur d’Hurtebise. Des reconnaissances allemandes ont été dispersées par nos feux à l’est de Reims et au nord d’Emberménil.

En Woevre et dans les Vosges, à l’Helsenfurst, nous avons réussi des coups de main qui nous ont permis de ramener des prisonniers et de détruire de nombreux abris.

Sur le front britannique, canonnade près de Croisilles, aux abords de Lens et aux environs d’Ypres.

7 avions allemands ont été détruits par nos alliés.

Un zeppelin a été abattu au cours d’un raid sur l’Angleterre.

Les éclaireurs russes ont manifesté de l’activité dans la région de Lusetz. Fusillade sur le front roumain.

Activité d’artillerie sur le front Italien, en Carnie. Les batteries autrichiennes ont tiré contre les positions de nos alliés au Val Piccolo et au Val Grande. L’ennemi a subi des pertes en plusieurs rencontres partielles.

Source : La Grande Guerre au jour le jour