Louis Guédet

Jeudi 15 février 1917

887ème et 885ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Toujours même température, avec dégel progressif lent. Beau temps, beau soleil. Il gèle encore cependant toutes les nuits. Rien de bien saillant, le calme…  Testament à faire à l’Hôpital Noël-Caqué rue Chanzy, 88, (ancien St Marcoul) vers le début de l’après-midi. La malheureuse testataire en a pour peu de jours. Cela vous embrume toujours l’âme ces séances. En sortant de là pour secouer ma mélancolie couru un peu les rues, causé avec l’un ou l’autre puis rentré à ma tâche. Bref journée falote.

7h25 soir  Comme je finissais de dîner, un sifflement bref, le coup de départ et l’éclatement !!  tout près. Je sursaute, tout tremble. Est-ce que c’est le commencement d’une séance !! Personne de la maison ne bouge. Ni Jacques, ni Adèle ne montent ou crient, donc ce n’est pas « chez nous ». Ceci n’empêche que je me tiens sur mes gardes ! Mais à quoi bon ? quoique je fasse, si un obus arrivait ici, ce serait la mort !! Quelle impression immédiate, on revit en un éclair les angoisses, les affres, déjà vécues et passées ! Une foule de pensées et de scènes se développent dans un éclair de l’intelligence. Tout y passe, souffrances, douleurs, larmes, angoisses, tortures, anéantissement, impuissance contre le fait brutal, indifférence maladive presque…  peu d’éclaircies gaies ou drôles… hélas nous ne cessons de vivre dans les ruines, les larmes et le sang !! Comment trouver sur le chemin de notre calvaire de 30 mois un rayon de joie, de bonheur, de quiétude même ?

Et cependant tout à l’heure aussitôt le coup, je revis en pensée une scène drôle de ma jeune enfance en 1875 ou 1876, que c’est loin ! pourquoi ceci, celle-ci plutôt que cela, celle-là ? Je ne puis le dire, mystère de l’Intelligence et de l’âme humaine, psychie ou télépathie, je ne sais. Bref je revis cette scène dans la cour de mon vieux collège de St Étienne à Châlons-sur-Marne où est en ce moment mon André en 3ème latine, qui venait d’être fondé (car notre cour de récréation était un jardin) dans les anciens locaux de la maison Jacquesson et Fils Champagne. Dans la cour, dis-je, se trouvait un très vieil acacia quasi-centenaire, encore vigoureux mais fendu de-ci de-là à sa base…  fentes et crevasses augmentées par nous à coups de canifs ou de couteaux. Or c’était la fête de notre vénérable Supérieur, l’abbé Eugène Patoux. Donc la mémoire se précise, 13 juillet 1875, on nous avait permis de tirer des pétards, des fusées et des grenades. Oh ! grenades bien innocentes à 10 centimes la douzaine !! et pour que nos pétards…  « pètent » plus fort, nous les fixions dans les fentes ancestrales du fameux tilleul, çà claquait plus fort, mais d’autres…  « vexaient », et la charge, au lieu de partir dehors, se développait dans les fentes de l’arbre dont l’intérieur n’était que bois vétuste, amadou…  A force de…  ratés…  un incendie se déclara dans le fameux acacia qui avait bien 1m50 de diamètre !! Affolement…  on mobilise seaux et brocs, on arrose le pied de l’arbre, mais il fumait toujours par la cime. Après une grande conférence la Supérieure décida de conjurer le fléau à l’intérieur, et Sœur Marie, qui existe toujours et est toujours dans le collège, arriva gravement accompagnée du « Surpin » (Surveillant Principal) avec un clysopompe (pompe à lavements)…  introduisit la…  canule au bon endroit et lâcha tout…  mais le clystère (le lavement) fut impuissant…  enfin on recouru aux pompiers et arriva la pompe (sérieuse celle-là) et les pompiers, mais on manquait de bras, vous pensez si les volontaires ne manquèrent pas, c’était une joie pour nous de…  pomper, mais l’un de nous, Lagnier, ne se trouvant sans doute pas harnaché suffisamment, s’était éclipsé, nous revenait quelques minutes après, éperons aux talons et cravache au poing !!! Vous dire l’hilarité qu’il provoqua je ne puis vous la décrire, mais la Mère Supérieure en lâcha son clysopompe ! Et voilà ce qu’une bombe envoyée par les Vandales du XXème siècle en l’an de grâce 1917, 15 février à 7h35 du soir vers la rue du Jard, vient de remémorer et de cinématographier dans mon esprit !!…  dans l’esprit d’un juge de Paix de Guerre !!… Conclusion pratique, le temps que je viens d’écrire a vu s’écouler presqu’une heure, il est 8h35…  que faire, sinon se coucher…  car la fameuse bombe n’aura été qu’une…  alerte…

J’oubliais de dire la fin du drame !! tragi-comique. Le pauvre acacia fut tellement arrosé qu’il en mourut. Les mauvaises langues vous diront que ce fut de vieillesse plutôt que du fait des joyeux collégiens de l’an 1875. En tout cas nous avions longtemps des morceaux de son écorce dans nos poches, nos pupitres où à nos moments…  perdus !! nous taillions dans cette matière tendre barques, galères et trirèmes qu’enfantait nos jeunes imaginations Virgiliennes !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

15 février 1917 – Arrivée dans notre ville, de la 37e Division d’infanterie (troupes d’Afrique — zouaves et tirailleurs). Une autre Division, la 14e, occupe déjà Reims où elle a relevé la 151e, celle-ci avait succédé aux 67e, 30e et 52e, qui s’étaient remplacées l’une l’autre. (La 52e Division, après avoir séjourné à Reims, une première fois pendant seize mois, était revenue en 1916).

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 15 – – 3°. Nuit assez tranquille en ville ; canonnade au loin. Aéroplanes : tirs contre eux. Forte canonnade à l’Est vers 3 h. Note du F. Ricard, réponse. Quelques bombes sifflantes, à 6 h tombent pas loin de nous.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Jeudi 15 février

A l’est de Reims, nous avons réussi un coup de main dans le secteur de Prosnes. Activité des deux artilleries dans les régions de Maisons-de-Champagne et de Saint-Hilaire, ainsi que sur la rive gauche de la Meuse, dans le secteur cote 304-Mort-Homme.

En Woëvre, nos batteries ont exécuté des tirs de destruction sur les organisations ennemies au nord de Flirey.

Des avions allemands ont jeté des bombes dans la région de Dunkerque. Il y a plusieurs tués et blessés. Nancy a été également bombardée par avions. Pas de victimes. Nos escadrilles ont jeté des bombes sur les terrains d’aviation d’Etreillers (Aisne) et de Saucourt (Somme), sur les gares d’Athies, Hombleux, Voyennes, Curchy, Saint-Quentin, Ham et sur les usines à l’est de Tergnier.

Échec d’une attaque allemande sur le front belge (Pervyse).

Les Anglais ont pris un point d’appui au sud-est de Grandcourt. Un autre raid a été exécuté avec succès au nord-est d’Arras ; 40 prisonniers ont été faits. Autres raids encore au nord de la Somme et au nord-est d’Ypres. Échec d’attaques allemandes à l’est d’Armentières et au sud de Messines. Nos alliés ont fait exploser trois dépôts de munitions près d’Armentières.

En Macédoine, les Allemands ont donné assaut, avec des forces importantes, à la cote 1050, à l’est de Pavlovo. Ils ont d’abord pris pied dans des tranchées de première ligne, mais une contre-attaque italienne les a refoulés.

La flotte anglaise a bombardé Nechori.

Brillante contre-offensive russe en Bukovine.

Échec autrichien au nord de Gorizia.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Prosnes