Louis Guédet

Jeudi 23 décembre 1915

467ème et 465ème jours de bataille et de bombardement

6h soir  Beau temps. Pas de canon proche, mais lointain. J’ai eu mon audience ce matin, conciliations, réquisitions et jugement. Hayon (contre Racine) cf. Autorité militaire. Je me déclare incompétent, sans aucune arrière-pensée. Je fais tous mes préparatifs de départ. Demain à 6h je filerai sur St Martin. Qu’est-ce qui m’y attendra. Je suis si las et si découragé…  Voilà donc les derniers mots que j’écris et prends pour 1915 ! Année lugubre, épouvantable, terrible et dure au dernier chef pour moi…  J’envisage l’arrivée de 1916 sans intérêt, comme sans goût, sans espoir. Je deviens indifférent à tout, à quoi bon faire des projets, songer à l’avenir…  Je ne puis qu’avoir des peines, des douleurs, des malheurs. Aussi que 1916 soit ce qu’il veut. Peu m’importe. «Ανἀγκη » Fatalité. Dégout de la Vie. Aucun espoir de joie ou de bonheur pour moi. C’est le malheur de quelque côté que je me retourne. Dieu m’a abandonné. Dieu m’abandonne. (Rayé). Alors, à quoi bon !! Espérer et croire. Il n’y a pas de justice, pour les malheureux, les parias comme moi. Aux autres bonheur et joie, à moi Malheur et malédiction. S’il n’y avait que moi encore qui souffre, mais ma pauvre femme ! mes pauvres enfants !!…

Je quitte 1915 sans regret ! J’entrerai dans 1916 sans espoir…  de chance, de bonheur, de Paix, de réussite pour moi et pour nos aimés !! Je crois que je suis maudit… ! 1916 dira !! Oui ou non ! si j’ai droit comme les autres au bonheur, à la chance et à la Prospérité.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

 Cardinal Luçon

Jeudi 23 – Nuit tranquille – + 5 degrés – Pluie. Visite du Général qui vient demander de prendre les cloches(1) pour servir à avertir de batterie en batterie de l’émission du gaz par les Allemands.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume
(1) Il semble qu’il y ait une constante dans l’attirance exercée par les cloches sur les armées, que ce soit pour les fondre ou les faire sonner en guise de tocsin. En l’occurrence, des douilles d’obus vides feront parfaitement l’affaire pour diffuser l’alerte aux gaz.

Jeudi 23 Décembre 1915. La femme de ton parrain est revenue avec ses enfants dans sa maison. Elle s’ennuyait trop. Mais comme disait le parrain depuis quelques temps, c’est tranquille. Les voilà revenus. Le bombardement va peut-être reprendre.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


Jeudi 23 décembre

L’avance que nous avons effectuée à l’Hartmannwillerskopf, nous avait valu la capture de 1300 Allemands dont 21 officiers, mais nous avons reperdu une partie des tranchées occupées par nous.
Canonnade intense en Belgique (Hetsas et Boesinghe).
Nous avons effectué des tirs heureux au sud d’Arras, près de Beaurains. Une de nos mines, en explosant, a endommagé une tranchée ennemie.
Près de Roye, à Dancourt, nous avons mis en fuite une forte patrouille allemande.
Sur les Hauts-de-Meuse (bois Bouchot), nous avons provoqué l’explosion d’un dépôt de munitions.
L’artillerie belge a canonné les positions allemandes sur la rive gauche de l’Yser. Elle a achevé la destruction d’un blockhaus au nord de Dixmude.
Les Anglais ont infligé de sérieuses pertes aux Allemands près de Loos.
Le Conseil fédéral suisse a déclaré, en réponse à une interpellation, qu’il ne pouvait prendre, au moins pour le moment, l’initiative d’une intervention en faveur de la paix.
Le président du groupe parlementaire socialiste d’Allemagne, M. Haase, a donné sa démission de son poste, après avoir voté contre le
s crédits de la guerre.

Source : La Grande Guerre au jour le jour