Louis Guédet

Dimanche 26 mars 1916

561ème et 559ème jours de bataille et de bombardement

4h soir  Cette nuit canonnade et bataille fort vive de 11h1/2 à 2h du matin. Peu dormi. Ce matin calme, vent très fort avec pluie et giboulées de neige fondue. Il fait très froid. Mon cœur est aussi glacé que le temps. Je n’ai pas les idées gaies après une nuit qui a été loin de les rendre couleur d’azur. Je marche toujours difficilement, et mon pied est fort gonflé…

Appris par Claude Helluy du « Courrier de la Champagne » que Louis de Granrut (Louis de Bigault de Granrut, caporal au 94ème RI, né en 1894 et décédé le 22 mars 1916 à Vadelaincourt (55)), fils de Charles de Granrut, directeur des verreries de Loivre, ami et camarade de classe de mes fils Jean et Robert, avait été tué à Froides-Terres près de Douaumont, aux derniers combats autour de Verdun. Voila un coup terrible pour le pauvre de Granrut, son fils unique, il ne lui reste plus qu’une fille, sur lequel il fondait toutes ses espérances d’avenir pour reconstruire et relever ses verreries de Loivre qui sont saccagées par les allemands et sont sur la ligne de feu. Je me demande même s’il songera maintenant à relever, à reconstruire cette usine ! qu’il ne voulait rebâtir que pour son fils à cause du nom. Maintenant lui disparu !!

A sa place je crois que laisserai disparaître cette usine. Ce sera malheureux pour notre région, mais comme il a une belle fortune et que le voila seul avec une fille qui certainement ne se mariera pas avec un verrier (Jeanne (1893-1969) épousera Joseph Savary de Beauregard et aura une nombreuse descendance). Alors !!! Voilà une industrie qui disparaitra de Reims sans aucun doute. Il est particulièrement atteint, il est également propriétaire de 1200 ha de bois en forêt au Four de Paris, au bois de la Gruerie (en Argonne), etc… !! Saccagée encore cette belle forêt où j’ai chassé maintes fois, qu’il conservait et avait pris en partage justement pour ce fils qui vient d’être tué ! Sa femme d’un autre côté détestait Loivre, ce gentil château des Fontaines. Je me demande même s’il ne quittera pas la région pour aller se retirer en Avignonnais, au château de Barbentane, pays d’origine de Mme de Granrut, qui est une Barbentane. Je le plains de tout mon cœur, il était devenu un bon ami pour moi quoique n’étant pas mon client ; mais il me consultait souvent et je voyais qu’il m’aimait. Je vais lui écrire en attendant que je le voie à Paris en avril quand j’irai.

Il pleut toujours à torrent, quelle triste et lugubre journée pour moi.

6h soir  M. Lesage, l’aide de M. Ravaud pharmacien, me quitte. Il vient de me faire passer 2 heures bien agréablement à bavarder de choses et d’autres. Il vient de m’apprendre que l’attaque de la nuit dernière avait été faite par les nôtres avec emploi de gaz asphyxiants. Opération qui avait très bien réussie. Il tenait cela d’un officier qui avait assisté à l’attaque. Il y avait beaucoup de cadavres d’allemands asphyxiés dans leurs tranchées. Il y a longtemps qu’on aurait dû déjà employer ces moyens-là avec ces sauvages.

Il m’a appris aussi la maladie, l’état assez grave du docteur Harman, 82 ans (1834-1922)!! C’est le seul docteur, professeur à l’École de Médecine, qui soit resté à Reims (occupation et siège) ! C’est un bien brave homme, mais original en diable !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Dimanche 26 – Nuit bruyante autour et au loin de Reims, du cote du sud-est. Combat d’artillerie, éclairs continus et nombreux a l’est et au sud-est. Donne lettre pour le Président du Comité hispano-américain. Départ de M. Compant pour Paris, où il va voir le Président, pour avoir et faire passer des nouvelles en Ardennes ; de M. Cousu pour Tours. Retraite du mois. Canonnade, au loin, on pense vers Berry-au-Bac.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Berry-au-Bac
Berry-au-Bac

Dimanche 26 mars

En Belgique nous bombardons les tranchées ennemies à l’est de Boesinghe et aux abords d’Het-Sas. En Argonne, actions d’artillerie assez violente aux alentours du Four-de-Pmis, des Courtes-Chausses et de la Haute-Chevauchée. Activité d’artillerie à l’ouest de la Meuse sur nos deuxièmes lignes, à l’est dans la région de la côte du Poivre et de Douaumont, en Woëvre dans le secteur des Côtes-de-Meuse. Aucune action d’infanterie au cours de la journée écoulée. Les Russes ont fait une trouée dans les ligues allemandes près de la Dvina et Guillaume II s’est transporté à Vilna pour surveiller les opérations dans ce secteur. Les Anglais ont accompli de sérieux progrès dans l’Afrique orientale allemande. M. Milioukof, chef de l’opposition libérale à la Douma, a prononcé un important discours sur la question des Détroits. Il a, en même temps, critiqué la politique russe en Bulgarie. M. Haase, député socialiste, a fait une violente sortie au Reichstag, en préconisant une paix rapide. Le vapeur Sussex a été torpillé entre Folkestone et Dieppe: cinquante victimes.

Source : La Grande Guerre au jour le jour