Paul Hess

14 janvier – Nuit calme. Bombardement dans le cours de la matinée et de l’après-midi.

– Le bombardement qui à dater de ce jour commence un cinquième mois, a obligé la municipalité à faire procéder, depuis son début et au fur et à mesure des dégâts qu’il a occasionnés d’une façon ininterrompue, à la consolidation, à l’étalement ou à la fermeture sommaire des bâtiments communaux endommagés seulement ou partiellement détruits, comme des immeubles particuliers dont les propriétaires ou les habitants sont absents. il n’était pas possible de laisser des maisons, des boutiques éventrées ou des murs de clôture avec des brèches ouvertes à tout venant.

Un entrepreneur de charpente, M. Cl. Geoffroy et un entrepreneur de maçonnerie sont chargés d’exécuter les travaux nécessaires, de prendre les mesures de préservation qui s’imposent et journellement, ils ont à faire boucher des ouvertures produites pour les éclatements des obus ou à faire maintenir des ruines menaçantes pour la sécurité publique.

Pour la garantie provisoire des immeubles dont les toitures sont ouvertes, des bâches peuvent être délivrées en location aux propriétaires par le service du « Ravitaillement », moyennant le prix de 0.18 F le mètre carré, par mois.

– Il est curieux d’avoir à noter que depuis plusieurs mois les rues de Reims sont plus propres qu’elles ne l’étaient à l’ordinaire. La circulation y est devenue d’abord presque nulle ; mais ceci tient surtout à ce que le service de la voirie emploie comme auxiliaire un certain nombre d’ouvriers sans travail, de nécessiteux ayant charges de famille, pour l’enlèvement des ordures ménagères et le nettoiement de la vie publique.

Ces hommes, occupés tous les jours, circulent dès le matin par équipes, avec des voitures à bras remplaçant les tombereaux des éboueurs et après chaque séance de bombardement s’efforcent, sous la conduite des cantonniers municipaux, de ranger les matériaux qui obstruent les passages. Par exemple, ils ont eu beaucoup à faire pour le déblaiement extérieur des quartiers incendiés le 19 septembre et jours suivants, afin de rendre à la circulation toutes leurs rues encombrées de pierres calcinées.

De plus, ils sont occupés au balayage et ces travaux, en leur procurant un gagne-pain, permettent de tenir, d’une manière générale, la ville dans un état de netteté contrastant avec ruines qui, en bien des endroits, la feraient ressembler à un veste chantier de démolitions.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Jeudi 14 – Nuit tranquille. Canons Français ; bombes allemandes vers 11 heures.

Ecrit une lettre à M. Maurice Barrès, publiée dans Echo de Paris (Recueil, p. 91)

 Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

 


Eugène Chausson

14 Jeudi – Même temps et toujours très violente canonnade dans la même direction. On se demande toujours quand ça finira. Nuit assez calme.

 Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy

Rue Cérès
Rue Cérès

Octave Forsant

Les jeudi 14, vendredi 15 et samedi 16 janvier, j’ai parcouru la ville et visité la plupart des caves des maisons de champagne. Parmi celles qui sont libres, trois seulement se prêtent à l’in­stallation d’écoles. Ce sont : les caves Pommery, Champion (place Saint-Nicaise) et Munm (rue du Champ-de-Mars). Chez Pommery nous serons à dix mètres sous terre, par conséquent très en sécurité; nous occuperons trois couloirs où auront lieu la classe, la récréation, les exercices physiques, car nous ne saurions négliger l’éducation physique dans une école ouverte sous le patronage du créateur du « Parc des Sports » et du « Collège d’athlètes de Reims. » Chez Champion, nous nous installerons dans le bas-cellier, laissant inoccupés les deux autres qui sont au-dessus : trois caves superposées permettront en cas de danger de s’abriter immédiatement. Ces celliers n’ont encore jamais été utilisés; la construction n’en est même pas complètement achevée.

De ma visite chez Mumm je devais emporter une impres­sion qui ne s’effacera plus de ma mémoire. L’administrateur, M. Robinet, me faisait visiter divers celliers où il pensait qu’on pouvait installer une école, et qui d’ailleurs ne me parurent pas assez sûrs, en sorte que je leur préférai les caves mêmes. En parcourant ces celliers, j’eus sous les yeux un spectacle lamentable. Nous étions au début du « siège » de Reims. Beau­coup de malheureux Ardennais, descendus de Mézières et de Rethel, et de Rémois qui avaient quitté temporairement leurs domiciles bombardés, croyant à la délivrance prochaine de la ville, étaient venus mettre en sûreté leur « berloquin » dans ces celliers où on leur avait généreusement offert l’hospitalité. Ils étaient bien deux cents dans un des plus vastes, devenu une véritable courtes Miracles. Quand on y pénétrait, une odeur âcre vous prenait à la gorge. Par quelques imprécises allées on avait bien cherché à diviser en compartiments ce grand espace de 50 mètres sur 20, mais on n’avait en réalité constitué que des compartiments factices et il fallait souvent, pour avancer, enjamber des couchettes étendues à même le dallage, ou faire le tour des lits, écarter des chaises et des fourneaux à pétrole. Ces pauvres gens avaient apporté là matelas ou paillasses. Sur des cordes tendues d’un pilier à l’autre se balançaient des bas troués, quelques étoffes rapiécées et du linge encore humide. Nous ne circulions que difficilement, courbant le dos pour franchir ces obstacles tendus à hauteur de nos têtes. Près de la couchette, unique souvent pour la mère et plusieurs enfants, un anémique fourneau à pétrole enfumait plus qu’il ne chauffait la casserole où était censée cuire la soupe du soir, et, par-ci par-là, pendaient aux piliers de l’édifice une cage à oiseaux vide de ses captifs, une vieille glace étoilée, un coucou grinçant ou un œil-de-bœuf n’ayant plus qu’une aiguille, pauvres souve­nirs qu’avait en partie épargnés le bombardement et qui res­taient encore précieux pour ces pauvres gens.

Des femmes, pour la plupart débraillées et mal coiffées, avec des enfants accrochés à leurs jupes, allaient et venaient dans ce vaste hall, bien heureuses encore d’y trouver un asile. Ceux qui n’ont pas vu quelles souffrances physiques et morales endu­rèrent, pendant les premiers mois de la guerre surtout, les malheureux émigrés obligés de fuir devant l’envahisseur, ne savent pas à quel degré le fléau de l’invasion peut éprouver les âmes même les mieux trempées. J’avais hâte d’éloigner les enfants de ce milieu aussi peu propice a leur santé physique qu’à leur éducation morale et je pensais qu’en ouvrant l’école dans un local tout proche, la maîtresse pourrait,’ par ses leçons, ses conseils et même les exigences réglementaires au point de vue de la propreté et de l’hygiène, contribuer à améliorer la con­dition non seulement des enfants, mais peut-être aussi des parents touchés indirectement. J’ouvris donc le 22 janvier l’école « Joffre. »

Source 1 : Wikisource.org


Jeudi 14 janvier

Notre artillerie tire efficacement sur les ouvrages ennemis près de Nieuport et d’Ypres.
Un violent combat, au cours duquel nous avons eu des alternatives d’avance et de recul, s’est développé autour du fameux éperon 132, au nord-est de Soissons. Les Allemands ont mis de ce côté en ligne l’effectif d’un corps d’armée. Nous faisons sauter des batteries ennemies entre Soissons et Berry-au-Bac. En Champagne, des duels d’artillerie très actifs ont eu lieu entre Reims et l’Argonne, et spécialement autour de Souain.
Les opérations en Pologne n’ont pas changé de caractère. Ce sont toujours des contre attaques allemandes repoussées coup sur coup.
En Arménie, les Russes ont capturé encore 2000 Turcs environ. Mais l’armée ottomane a pénétré en Perse, ce pays n’étant pas défendu, et son avant-garde est arrivée jusqu’à Tabriz.
Le comte Berchtold, ministre des Affaires étrangères d’Autriche-Hongrie s’est retiré : il a été remplacé par un Hongrois, le baron Burian. Depuis quelques semaines déjà on parlait de ce départ du comte Berchtold qui, depuis son arrivée au pouvoir en février 1912, n’avait subi que des échecs. Il est intéressant de constater qu’un Hongrois va diriger la diplomatie de la double monarchie. François-Joseph aura voulu par là rallier l’opinion magyare, de plus en plus lasse de la guerre.

Source : La Grande Guerre au jour le jour