Abbé Rémi Thinot

15 JANVIER – vendredi –

Aujourd’hui, Je précipite mes préparatifs ; J’ai à déjeuner M. Hubert, qui doit m’emmener, M. le Curé et Poirier…

Je suis impressionné par l’idée de mon départ. Je l’étais hier déjà et cette nuit.

Je quitte mon milieu moral et matériel deux fois cher, puisque l’épreuve s’y est installée, dans lequel J’ai versé de moi beaucoup encore, parmi la tragédie des circonstances.

Je quitte ma chère cathédrale, la grande meurtrie.

Je quitte tout le ministère nouveau que les temps nouveaux m’avaient créé, « ma paroisse » au fond des caves Werlé etc… et Je vais vers une vie nouvelle, toute nouvelle…

Je pars à 1 heure et demie ; un suprême adieu à la cathédrale en passant devant le Palais de Justice, puis, nous roulons… ..

Je repasse en esprit ma vie, Je relis mes graves pensera de ce matin.

Mon Dieu, Je vous offre ma vie, toute ma vie nouvelle, ses souffrances, mes anxiétés, les insuccès, mes appréhensions matérielles, en expiation… puis Seigneur que je monte, que je mérite… mon Dieu, donnez-moi toutes les grâces nécessaires pour mon nouveau ministère ; que j’y voie clair, que je m’oublie bien moi-même, que j’aille de l’avant sans souci des contradictions… Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pêcheur, maintenant et à l’heure de ma mort

J’arrive à travers la boue, la nuit… Le médecin principal – M. Martin – me reçoit à l’Etat-Major ; auprès de lui, le capitaine de Castelnau, neveu du général ; on me fait conduire à ma formation.

Le médecin-chef de la formation[1], le docteur Lamisse, parent du célèbre aumônier, me reçoit à table, parmi tous ces Messieurs, et l’aumônier, l’abbé Sandret, qui me fait un accueil très cordial.

Je suis ahuri ; on me donne à dîner ; l’aumônier me conduit alors chez lui, où il a fait disposer un lit près du sien, par terre…

Je suis à Somme-Suippe

… au nord, Souain, Perthes-les-Hurlus… où est la 34ème division.

Je me couche ; le bruit incessant du canon, des fusils, de la mitrailleuse, laboure la nuit… J’ai froid ; ma couche est minable… .

[1] R. Thinot est affecté au groupement de brancardier de la 34e division
JMO en ligne : http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/inventaires/ead_ir_consult.php?a=4&ref=SHDGR__GR_26_N_I

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à Reims

Louis Guédet

Vendredi 15 janvier 1915

125ème et 123ème jours de bataille et de bombardement

  1. Robert Lewthwaite m’a remis une pendule ancienne Louis XVI (Torche, carquois, pigeons) avec 2 statuettes en reconnaissance d’un conseil que je leur avais donné vers novembre 1914 et la rédaction d’un cautionnement S.S.P. entre 8 négociants en vins de Champagne de 800 000 Fr (Charles Heidsieck(1), Heidsieck-Monopole(2), Georges Goulet(3), Olry-Roederer(4), Pommery(5), Veuve Clicquot (Werlé)(6), Krug(7), Ruinart(8)). Ils ont voulu surtout reconnaitre mon geste et surtout montrer que j’étais le seul notaire de Reims resté à son Poste et à son devoir, ce que m’a dit Robert Lewthwaite.

Je pars demain à neuf heures du matin à Épernay avec Charles Heidsieck et de là à St Martin voir mon pauvre Père. Mon Dieu pourvu que je le trouve bien portant ! Il y aura 4 mois 1/2 que je ne l’ai vu !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Vendredi 15 – Nuit tranquille Bombes dans la matinée.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Eugène Chausson

15/1 Vendredi. Même temps et toujours violente canonnade dans la même direction. A 4 h du soir la canonnade se fait intensive, très forte dans la direction de Soissons et autour de Reims. Très peu de choses dans la journée. Nuit assez calme.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet sur le site de sa petite-fille Marie-Lise Rochoy


Muizon, sur la route de Soissons
Muizon, sur la route de Soissons

Vendredi 15 janvier

L’affaire de Crouy a été très chaude. Les Allemands qui avaient fait venir de gros renforts, n’ont pu nous arrêter à gauche, ni nous enlever nos positions au centre, mais à droite, devant Vregny, nous avons dû céder du terrain. Comme la crue de l’Aisne avait emporté des ponts et des passerelles, et qu’ainsi les communications entre nos troupes pouvaient être rompues, le commandement, entre Crouy et Missy, a ramené nos effectifs sur la rive gauche. De part et d’autre, les prisonniers ont été assez nombreux : ceux que nous avons faits appartenaient à sept régiments différents. On estime, au surplus, que cette affaire n’a qu’une valeur locale et ne peut influer sur l’ensemble des opérations.
En Flandre, les troupes belges ont fait sauter à Struyvakenskerke, une ferme qui servait de dépôt de munitions à l’ennemi. Dans la région de Lens, notre artillerie a procédé à un bombardement efficace. Près de Roye, nous avons bouleversé des tranchées allemandes; en Champagne, nous continuons à désorganiser ou à prendre des tranchées, spécialement autour de Perthes.
Des sous-marins ont paru devant Douvres. Mais canonnés vigoureusement, ils ont plongé et abandonné leur entreprise.
Un aviateur anglais a jeté des bombes sur les positions allemandes d’Anvers.
La presse européenne commente abondamment le départ du comte Berchtold et son remplacement par le baron Burian, mais les interprétations de cet incident sont des plus contradictoires.

Source : La Grande Guerre au jour le jour