Abbé Rémi Thinot

2 DECEMBRE – mercredi-

8 heures 1/2 soir ; Je rentre d’une promenade au clair de lune dans les ruines. Clair de lune magnifique.

Je prends M. le Curé et nous partons par Place Royale, rue Cérès, de la Grue, St. Symphorien, des Filles-Dieu, des Trois-Raisinets… Godinot, St.Pierre-les-Dames…

Les échappées, la fuite des plans, l’étagement des pans et des ouvertures, les perspectives plantées de cheminées solitaires sont fantastiques.

Nous n’avons rencontré personne, personne ! à peine deviné quelques lumières à un soupirail. Un chat noir a remué entre deux pierres, rue des Filles-Dieu, quelle désolation !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Mercredi 2 décembre 1914

81ème et 79ème jours de bataille et de bombardement

…Ensuite signature des certificats de Vie à la Mairie. Après-midi correspondance pour les messes pour Maurice Mareschal, 100 Fr à l’abbé Landrieux curé de la Cathédrale, 200 Fr au chanoine Colas, ancien curé de Trigny, et rentré pour écrire à ma chère femme que je désespère presque de revoir ainsi que mes enfants et mon pauvre Père. Je n’en puis plus ! J’ai peur de tomber malade et de mourir de chagrin, d’ennui. Je ne peux plus !!

9h1/2 soir  Je n’y puis résister. Je souffre trop de coucher à la cave, dans cette atmosphère humide qui me pénètre jusqu’à la moelle des os. La nuit et le matin, quand je me réveille, j’ai de l’eau sur la figure et mes draps près de ma tête sont comme trempés de brouillard. Non ! Je n’en puis plus. Je couche ce soir ici dans le lit de Jean. Je reprends ma triste vie mais je suis seul, chez moi, et je n’ai plus cette promiscuité avec cette pauvre Adèle qui est une brave fille, mais non ! J’ai un autre sang dans les veines, et la brave fille ne saura jamais ce qu’elle m’aura fait souffrir, et cependant…  elle n’était pas gênante.

Désormais si je redescends à la cave où est mon lit de réserve ce ne sera que si je ne puis faire autrement.

Mon Dieu, quelle vie atroce !! Si seulement déjà je pouvais dormir loin d’ici en attendant la délivrance ! Espérons toujours, et à la Grâce de Dieu ou du Diable…  J’en ai assez. Mon Dieu protégez-moi ! mais il n’est pas permis d’abuser des forces humaines comme cela !! Vous devez nous délivrer de suite de ce cauchemar allemand, et enfin nous accorder la paix, la tranquillité, la joie et le bonheur de revoir bientôt ma femme, mes enfants…  et mon Père ! Et reprendre notre vie commune ici dans notre maison indemne, saine et sauve. Pour retravailler et continuer moi à faire du bien et à me dévouer pour les autres.

Bénissez-moi mon Dieu ! et que comme Turenne ou Napoléon je dorme tranquille, calme, à la veille de la victoire, de la délivrance et du retour de tous mes aimés ! Bientôt, demain, tout de suite.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Entendu, au milieu de la nuit, une très forte détonation qui m’a réveillé en sursaut. Ma première impression a été qu’un « gros calibre » était tombé tout près. N’entendant plus rien et ne sachant quoi penser, je me suis rendormi m’imaginant cette fois que probablement le vent avait fait tomber un mur, dans les ruines d’à coté. Mais ce matin, tout le monde parle de l’explosion formidable qui a fait vibrer jusqu’aux extrémités de la ville. Il en est qui affirment que c’est un parc à munitions allemand, installé à l’usine SCAR de Witry-les-Reims, qui a sauté ; d’autres disent que c’est le fort de Brimont. On parle aussi de tranchées minées – et personne ne sait rien.

– canonnade et obus.

Le Courrier de ce jour, publie ceci en gros caractères :

Avis aux familles qui désirent quitter notre ville

Un assez grand nombre de familles seraient désireuses de quitter Reims en raison de la situation actuelle de la ville, mais elles n’ont pas le moyens d’effectuer le voyage.

L’administration municipale s’est préoccupée de cette situation et a décidé d’aider effectivement les familles qui se trouvent dans ce cas, en prenant à sa charge leur transport.

Les demandes doivent être faites à l’hôtel de ville, en présentant les laissez-passer obtenu de l’autorité militaire, indiquant la voie à prendre.

– Plus loin, le journal parle ainsi du bombardement :

Le Bombardement (78e jour de siège)
Les obus ont été envoyés hier matin et dans l’après-midi sur notre ville, avec une régularité méthodique.

Ils ont occasionné des dégâts sur l’importance desquels il ne nous est pas loisible de renseigner nos lecteurs.

Qu’il nous soit permis d’espérer que, grâce aux précautions recommandées à notre population, il n’y aura à déplorer aucune victime.

 Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Le CBR
Le CBR

Cardinal Luçon

Mercredi 2 – 8 h visite du Général Rouquerol (1), venu pour répondre à ma lettre relative aux obsèques des 4 officiers, dont M. Maréchal, et qu’il n’a connu qu’hier. Il reviendra me voir. Il fa proposé le Dr d’Halluin pour la Légion d’Honneur. Vers 4 h aéroplane. Nuit très tranquille.

 Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(1) Général Rouquerol. A sauvé la situation du 3e Corps d’Armée de la Ve armée (Lauzerac puis F. d’Esperey) sur la Sambre le 22 août 1914 alors que le général commandant le corps d’armée et ses généraux de division sont introuvables sur le champ de bataille.


Eugène Chausson

2/12 – Mercredi – Assez beau temps, violente canonnade et très peu de réponse des Allemands (calme complet jour et nuit). Le temps est très beau, le soir a changé, la nuit car le matin, il avait tombé de l’eau.

Carnet d'Eugène Chausson durant la guerre de 1914-1918

Voir ce beau carnet visible sur le site de petite-fille Marie-Lise Rochoy