Abbé Rémi Thinot

14 NOVEMBRE – samedi –

Ce malin à 6 heures, je suis allé sur la tour Nord prendre le drapeau de la Croix Rouge que le vent dépeçait. C’est celui que 1’administration a envoyé le vendredi 13 septembre, qui n’a pas été atteint – pas plus que ses voisins – par les flammes, le 19.

M. le Curé me dit que le Cardinal a reçu une lettre lui disant que l’invasion allemande est la punition du fait d’avoir introduit la prononciation romaine du latin – ce bafouillage teuton ! – quelle mentalité !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Samedi 14 novembre 1914

63ème et 61ème jours de bataille et de bombardement

10h matin  Nuit tranquille. Mais à 9h 2 obus viennent tomber dans notre quartier nous rappeler à la triste et sombre réalité ! Il fait cependant un si beau soleil dont il serait si bon de jouir ! Que nous sommes inaccessibles ! Et avec cela sans une lueur d’espoir de savoir quand nous serons délivrés ! et qu’un jour nous pourrons dire : c’est fini, nous pouvons nous promener, agir, sans l’obsession qu’un obus peut venir nous assassiner. Car c’est de l’assassinat et non de la guerre que ce bombardement sauvage sans rime ni raison, sans but, sans donnée stratégique sauf le plaisir de détruire, pour rien, tuer des innocents, des gens qui n’ont même pas le droit de se défendre, de répondre aux coups qu’on leur donne ! Voilà notre situation, notre vie depuis plus de 2 mois.

6h soir  Reçu la visite toujours bienvenue de M. Charles Heidsieck qui a bavardé une bonne heure avec moi au coin de mon feu. Tous les siens vont bien. Nous avons causé longuement de notre triste situation. Comme moi il trouve qu’on ne fait rien pour délivrer notre pauvre cité et de plus il croit que la guerre sera longue. Je souhaite que nous nous trompions.

Je dois aller déjeuner avec lui au Cercle de la rue Noël et nous passerons sans doute une partie de l’après-midi ensemble. Ce sera une journée à marquer d’une pierre blanche, elles sont rares pour moi. Mais nous sympathisons beaucoup ensemble et nous avons beaucoup d’idées communes. C’est un homme !!

8h1/4 soir  Je ne puis résister au désir de consigner le dernier « ragot » qu’on vient de me rapporter (voyez d’ici la logique du dernier tuyau !)

« Les allemands ont arboré le drapeau blanc sur Brimont, partout, et on a amené des quantités de troupes dans le quartier du faubourg de Laon, rue du Coq (?)(Interrogation légitime, cette rue du Coq n’a jamais existée) pour voir s’ils se rendent bien !! On a même fait évacuer les habitants de ce quartier de la rue du Coq ! »

Les allemands se rendent ! Si on fait évacuer un quartier de rue pour…  les recevoir ? Et combien d’autres du même genre !!

Dans une demi-heure, une heure, je serai malheureusement fixé sur cette grande nouvelle par la voix du canon qui grondera, ou par le sifflement des obus ! En ce moment on est trop tranquille. Pas un bruit, pas un souffle depuis 4h du soir ! Gare ! la casse !! Ce silence n’est pas naturel et me…  me dit rien qui vaille !

Dormirai-je dans mon lit ?!

8h35 soir  Je regarde à ma montre l’heure ! 8h35, dans 1/4 d’heure, 1/2 heure le canon va gronder. Voilà, maintenant le sablier qui règle notre vie ! En regardant l’heure, on se dit : Oh ! dans tant de temps il peut nous arriver quelque chose !! Sur ce moment je dois me dire que dans 1/2 heure le canon va gronder ou je vais entendre les obus siffler au-dessus de la maison ou éclater autour de moi !! Jolie perspective !…  Perspective qui dure depuis 61 jours !!…  Matin et soir ! et soir et matin !…  Non ! ceux qui n’y ont pas passé, qui n’y auront pas passés ne saurons jamais tout ce qu’il y a de douloureux, de pénible, d’angoisses, de tortures dans ce geste inconscient que l’on fait à chaque instant du jour en tirant sa montre pour savoir l’heure, et que l’aiguille fatidique, tout en sautillant, vous dit : « Il est telle heure, dans 1/2 heure, dans 1 heure, sache-le bien, Humain Mortel ! ce sera la voix du canon, la bombe et qui peut-être te tueras, et peut-être…  la Mort !!…  là ! au coin de ton feu…  pendant que tu écris ! ».

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Les obus arrivent déjà vers 8 h 3/4, tandis que je me dirige vers le bureau, à la mairie.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Samedi 14 – Matinée assez tranquille. Bombes assez loin.

Visite à Courlancy et à l’École Saint-Joseph, où une bombe est tombée jeudi soir à 10 h. Les lits des vieillards-hommes des Petites Sœurs des Pauvres ont été couverts d’éclats de verre ; mais personne n’a eu de mal. De 9 à 10 h, 57 bombes en une heure autour de Saint-André.

Écrit au Saint Père pour le remercier de sa lettre, mais envoyé la lettre le soir seulement.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

Paul Dupuy

Et à 6H1/2, la lumière brillait encore !

Par l’explication donnée dans la matinée par Mme Bellevoye, nous apprenons que nos craintes de la veille étaient sans fondement.

La femme chargée de la garde de l’appartement y procédait à une inspection, à 17H, quand le passage d’une bombe l’effraya ; fuite rapide, en oubliant d’éteindre l’électricité, et voilà, réduit à des causes moins tragiques, un incident qui a révolutionné quelques maisons du quartier.

Il prouve qu’il n’y a pas lieu de prendre à la lettre les règlements municipaux qui enjoignent l’extinction des feux pour 19H puisque, au centre même de la ville, un appartement peut rester illuminé toute une nuit sans que personne en prenne ombrage.

14H, bonne lettre d’Henri, du 12 9bre

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


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Boulevard Lundy, l’ancienne école