Abbé Rémi Thinot

15 NOVEMBRE – dimanche –

M. C.. a assuré ce matin que le Carmel avait reçu une bombe d’aéroplane, qui n’a pas éclaté, et qui porte, comme indication, en allemand ; bombe incendiaire. Je tâcherai de voir ce document ; au point de vue diplomatique, il est important. On n’a pas le droit de se servir de ces engins

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Dimanche 15 novembre 1914

64ème et 62ème jours de bataille et de bombardement

11h matin  Nuit calme. J’ai cependant mal dormi. On souffre tant, on est tellement inquiet de ce calme, que malgré soit on se demande ce qui pourrait bien nous arriver après ce calme !

Actuellement on canonne par intermittence. Est-ce que ce serait tout de même la retraite pour les allemands et enfin bientôt… tout de suite la délivrance !

4h1/2 soir  Déjeuné au Cercle avec Charles Heidsieck. Là était avec nous : M. et Mme Léon Collet, Robert Lewthwaite, Théret (cave Pommery), Georget, Lelièvre (usines) d’Angers, arrivé après le déjeuner. Robert Lewthwaite, toujours aussi gai et entrain, nous a appris la libération et le retour en France de Léon de Tassigny et du capitaine Louis Kiener, les parlementaires envoyés pour retrouver les fameux 2 parlementaires prussiens du 4 septembre, Von Arnim et Von Kummer.

Vers 2h nous sommes allés, M. Heidsieck et moi à Clairmarais voir l’abbé François Abelé (1881-1949) qui nous a appris une triste nouvelle avec la disparation (tué, blessé ou prisonnier) de Louis Abelé, son frère, que j’ai marié à Roubaix en mars dernier (Louis Abelé 1883-1962, prisonnier de guerre, avait épousé Félicie Delattre), dans l’affaire de Vailly-sur-Aisne qui a été fort chaude. Le 332ème de ligne a été surpris une nuit par 15 000 allemands, et il y a eu une reculade de 20 kilomètres sur l’Aisne et le canal que nos troupes ont repassé en déroute !! Pauvre petite jeune femme, après 8 mois de mariage ! Choc d’autant plus pénible que l’on n’est pas fixé sur son sort.

Comme M. Heidsieck désirait aller voir M. Gindre au Collège St Joseph, rue de Venise, je l’ai quitté sur le boulevard pour rentrer chez moi, fort fatigué. Tout cela me brise.

8h1/4 soir  Je fais un effort, je regarde par ma fenêtre voir, non pas si le temps sera beau demain, mais si nous pourrons dormir à peu près tranquille. Car mon pauvre cœur commence à battre trop souvent et trop fort la chamade, et pour toute la nuit !!

J’ouvre : nuit sombre, pluie torrentielle, j’attends car il fait noir comme dans un four ! il faut que mes yeux s’habituent à la nuit. Peu à peu le ciel s’éclaire ! Soudain, c’est le canon qui tonne, c’est un des nôtres ! Il pleut ! Il pleut comme chez les loups, disait ma pauvre Mère !! Ne nous attendrissons pas !! Nous ne savons pas ce que sera demain !!

8h3/4 soir  C’est extraordinaire comme on reprend confiance à sa vie coutumière. Voilà à peine deux nuits que nous sommes à peu près tranquilles, et je me reprends…  à vivre…  à prendre plaisir de…  vivre mon train-train de vie. Ah ! si cela pouvait continuer, que de choses j’écrirais, je confierais à ces Pages Vécues tragiquement, douloureusement vécues !

Mais « Gott mit uns »  le permettra-t-il déjà ! Ah ! Dieu Saint !! Quand donc pourrais-je crier à pleine voix non pas : « Deutschland über alles ! », mais « Deutschland unter alles !! »…

Ce sera la délivrance et 1870 sera rayé de l’Histoire lugubre imposée à la France pendant 44 ans par les Sauvages, les Bandits, par Guillaume II, le Hesse ! Attila le second !…  et dernier !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

Un aéroplane allemand est signalé, l’après-midi, par un coup de clairon donné à l’usine des Longaux. De différents côtés, on lui fait la chasse à coups de 75. Les enfants qui jouaient dans le jardin ont entendu le signal ; eux aussi se hâtent de rentrer à l’abri.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Dimanche 15 – Nuit du 14-15 assez tranquille. Bombes assez loin. Lecture de la lettre de Benoît XV à la Chapelle du Couchant. Assisté à la grand’messe. Bourgeons de neige à 10 h, fondante. Dans la nuit canonnade de très gros canons.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

15-11 Usant de l’installation préparée hier, c’est à la cave et cette fois dans un lit de fer garni en conséquence que j’ai passé la nuit écoulée ; pour couvertures, j’ai emprunté au magasin celles en consigne qui ont servi à notre fabricant d’Orléans pour emballer son dernier envoi, et ayant bien chaud j’ai pu reposer mieux que je ne l’aurais fait au premier étage, puisque des passages de troupes ont réveillé Père, alors que dans mon trou je n‘ai rien entendu.

Autrement, la nuit a été assez calme.

La matinée est sombre et glaciale, et à 11H apparaissent les premiers flocons de neige, auxquels succède bientôt une abondante et froide pluie qui fait de ce dimanche un jour de mortel ennui.

Mme Jacquesson elle-même était toute morose, et n’apportait qu’une attention distraite au pourtant délicieux lapin qui, pour la première fois depuis la dispersion de la famille, variait si agréablement notre ordinaire.

Une lettre de Marie-Thérèse l’attendait (13 9bre) ; pour moi, le courrier n’a apporté que d’affectueuses condoléances de Marguerite Heitz, réfugiée à Prefailles.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


Hortense Juliette Breyer

Dimanche 15 Novembre 1914.

Pas de changement, toujours la tristesse et pas de nouvelles. Le bombardement continue toujours. Je m’ennuie, vois-tu, de ne pas être chez nous. J’avais descendu tes effets à la cave en cas d’accident, mais j’ai été forcée de les remonter car ils commencent à avoir des taches d’humidité. C’est long pour tout.

J’ai écrit ces jours-ci à la femme du parrain. Je lui ai annoncé le bébé à venir et j’attends une réponse. Nous sommes allées au magasin tous ces jours-ci avec Marguerite et hier ça bombardait tellement que nous avons du rester une demi-heure appuyées au mur du coin de la rue de Beine et du boulevard Saint-Marceau. Ensuite nous avons fait le grand tour par l’esplanade et le Barbâtre. Que veux-tu, tout autour de Walbaum il y a plein de batteries ; c’est pour cela que le quartier est si dangereux. Je ne prendrai plus Marguerite avec moi, je ne veux pas l’exposer ; j’irai seule. Elle est courageuse et plus tard je saurai la récompenser.

Je ne suis plus si pressée non plus pour aller chez nous car ton parrain me dit toujours que je suis trop hardie et qu’il ne faut pas m’aventurer dans la rue. Enfin, tu vois, je n’y pense pas.

J’arrête encore pour aujourd’hui. Tout mon cœur à toi. Je t’aime.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


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