Abbé Rémi Thinot

29 SEPTEMBRE – Mardi –

7 heures soir. Je rentre de Fismes, où je suis allé en auto avec le capitaine Delouvin. J’ai croisé en quittant le faubourg de Paris toute la population rémoise qui, le jour, par crainte des bombes, campe dans les champs et le long des routes aux environs du Pont de Muire, et qui, le soir, regagne le nid. Curieuse et triste exode quotidien d’une ville qui souffre sans se plaindre un sort très pénible, car encore aujourd’hui, la ville a été bombardée.

Après Muizon, ce sont les campements extraordinaires des différents services de l’arrière ; approvisionnements, ravitaillement, munitions. Toute une armée derrière l’autre armée, qui habite en files pittoresques de voitures les plus diverses, réquisitionnées dans les pays les plus variés, le long des routes, le flanc des coteaux, l’étendue des terres cultivées.

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louis Guédet

Mardi 29 septembre 1914

18ème et 16ème jours de bataille et de bombardement

8h matin  A partir de 10 heures du soir plus rien entendu, nuit calme et ce matin quelques coups de canon espacés et au loin. La Ville reprend sa physionomie d’antan avec en plus ses ruines et ses queues devant les boutiques !! On ne nous donne plus depuis deux jours que du pain de troupe. La Ville en a reçue 80 000 et ne veut pas livrer de la farine aux boulangers tant qu’ils n’auront pas écoulé ce stock.

Une belle journée d’automne se prépare ! Qu’il ferait bon de se promener, d’arpenter les plaines, un fusil en mains !! Le referais-je jamais ce rêve !! Ne nous attristons pas, je m’ennuie déjà assez de tous les miens, de mon pauvre Père !! Que devient-il ? Qu’est-il devenu ?

Allons aux nouvelles…

3h1/2 soir  A 9h, sortant  de chez moi, j’aperçois Loeillot au Petit Paris, je l’accoste et il me dit que l’on se bat à Montcornet (la patrie de notre illustre député Camille Lenoir), que Bétheny et La Neuvillette, pris et repris, n’existent plus. Le Linguet rasé par la batterie de son frère, de même pour Witry-les-Reims. Un tour vers le gare et j’apprends que tous les jours je puis remettre des lettres aux surveillants, près de la sortie de la gare et qui sont menées à la Poste.

Je rentre, l’abbé Andrieux est à ma porte, nous causons de choses et d’autres et nous convenons de visiter ensemble les désastres de la Cathédrale à 9h du matin, demain mercredi. Il me raconte que le cardinal aurait dit que lors de l’arrivée des allemands à Meaux nos gouvernants auraient été disposés à proposer à l’Allemagne de traiter la paix moyennant 10 milliards et la cession de l’Algérie !!!

Ce n’est que sur la résistance de Millerand, Sembat et Delcassé que ce projet aurait été abandonné !!

Appelé par Madame Collet-Lefort, une voisine, pour un renseignement sur son testament, je suis retenu chez elle jusqu’à 11h1/2, quand je rentre je trouve mon Beau-père avec une lettre de ma chère femme du 23 septembre 1914.

Le paragraphe suivant, illisible, a été rayé.

La lettre de mon épouse Madeleine est du 23, et elle me dit qu’elle n’a encore reçu que ma carte postale, envoyée avec la dépêche du 17 par Price. Pourvu qu’elle ait reçu mes autres lettres depuis le 23 qui l’auront tranquillisée sur notre sort, car elle sait l’incendie et le bombardement de Reims. Je vais lui écrire par tous les moyens que je pourrai pour la tranquilliser. Pourvu qu’elle ait reçu mes lettres précédentes.

Trouvé aussi carte de Lefebvre d’Ay, mon confrère de Chambre. Je regrette beaucoup de l’avoir manqué. En ce moment, 4h1/2, quelques coups de canon, rien de plus.

Nous avons déjeuné chez moi, Charles Heidsieck et Maurice Mareschal. Celui-ci heureux de trouver une maison hospitalière. On a bavardé, causé, et Charles Heidsieck nous a causé assez longuement de l’affaire des parlementaires du 3 septembre de La Neuvillette. Les 2 officiers se nommaient Von Arnim et Von Kummer ! Histoire fort obscure et où Léon de Tassigny a du jouer un singulier rôle. On est toujours sans nouvelle de lui et de Kiener qui lui, a joué un rôle au dessus de tout éloge.

8h1/2 soir  Après-midi quelques obus du côté de la rue Coquebert. Ce soir aucun bruit. Quelle sérénité auprès du bruit et de vacarme d’hier à pareille heure ! Je me l’explique assez, car en ce moment il fait un clair de lune qui ne peut convenir à des chacals comme les allemands, ces oiseaux de nuit n’aiment que les ténèbres !

8h3/4  J’ouvre mes fenêtres, nuit splendide, il fait clair comme en plein jour, et un calme, on n’entend pas un bruit !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

La terrible canonnade commencée hier soir ayant été suivie d’arrivées d’obus, dans la nuit, il nous a fallu nous relever et nous habiller lestement.

Réunis dans la salle à manger, quelques vêtements sous la main, prêts à évacuer de chez mon beau-père, nous envisagions la question d’aller nous abriter dans la cave de la rue Brûlée, où M. l’abbé Dage nous avait offert l’hospitalité en cas de besoin, lorsque le calme étant revenu, nous nous étions recouchés ; mais à 4 heures du matin, le bruit des mitrailleuses et une fusillade intense pouvait laisser supposer que l’on se battait vers le canal, nous avait alertés à nouveau, – et cela a duré assez longtemps pour compléter une très mauvaise nuit.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

 

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Cardinal Luçon

Silence et tranquillité. Canonnade rare à 7h. Visite au Préfet de la Marne, M. Chapron ; remerciements pour assistance aux obsèques du Général Battesti. Lettre du Général Foch, qui a perdu son gendre et son fils (9) ; et qui combat quand même.

Monseigneur de Châlons, et M. le Curé de Vitry proposés pour la Croix de la Légion d’Honneur. Mgr est allé au devant du Prince de Wurtembert et a demandé que Châlons soit épargné (le Prince est catholique). Le Général Foch a été arrêté, comme moi, pour la consigne (10).

Le Préfet m’a demandé si j’avais fait part au Pape du désastre de la Cathédrale. J’ai répondu non, à cause des difficultés de communication..

5 h. Bombes allemandes.

Visite de M. de Lacroze, qui est à Cormicy.

Nuit de bataille : toute la nuit le canon tonne, les bombes éclatent. Vers 4 h. longue mitraillade (11), et terrible à entendre.

 Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(9) Le capitaine Becourt, époux de l’une des deux filles du Général et son fils, l’aspirant Germain Foch, ont été tués le même jour, 22 août 1914

(10) Remarque : phrase incompréhensible au sujet du général Foch ?

(11) La « mitraillade », sans doute produite par des tirs de fusils et de mitrailleuses, perçue au centre de Reims, montre bien la proximité de la ligne de feu (moins de 3000 mètres de l’Archevêché).

Gaston Dorigny

C’est toujours la canonnade. On finit par ne plus avoir aucun espoir. On en arrive même presque à se désintéresser de ce qui se passe tellement on est découragé. A dix heures ½ du matin un obus tombe encore dans la droguerie Lasnier causant des dégâts matériels, heureusement sans faire de victime. La journée se passe comme les précédentes au son du canon qui ne se tait que le soir pour faire place aux fusils et mitrailleuses, une fois encore. A quatre heures du matin le canon recommence. Plus cela vient et moins cela change.

Gaston Dorigny

Paul Dupuy

Agréable visite d’André Ragot, dont la Compagnie est à Trigny depuis 6/8 jours ; la santé est florissante et ne parait pas du tout se sentir des fatigues du métier.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires

 

Mercredi 29 septembre

Nous continuons à gagner du terrain en Artois, pied à pied, sur les crêtes à l’est de Souchez. Nous avons atteint un point stratégique de la plus haute importance, la cote 140, point culminant des crêtes de Vimy, et l’un de nos principaux objectifs.
En Champagne, de nouveaux progrès ont été réalisés. 800 prisonniers ont été capturés au nord de Massiges.
En Argonne, l’attaque allemande contre le bois de Bolante a totalement échoué. L’ennemi a été expulsé des tranchées de première ligne où il avait réussi à s’installer. Il a subi de lourdes pertes. Il a dirigé sur nos positions un bombardement violent et auquel nous avons efficacement répondu.
Canonnade au bois Le Prêtre et dans la région du Ban-de-Sapt.
Les Anglais ont poursuivi leur progression à Hulluch et à l’est de Loos. Ils ont capturé 18 canons, 32 mitrailleuses et 2800 prisonniers.
Les Russes ont livré des combats heureux sur l’ensemble du front et un peu partout ont pris des Allemands et des Autrichiens : le total s’élèverait à plusieurs milliers d’hommes.
La Grèce semble délibérément prendre position contre la Bulgarie, et la presse officieuse allemande invective le cabinet d’Athènes et M.Venizelos.

Source : La Grande Guerre au jour le jour