Abbé Rémi Thinot

30 SEPTEMBRE – mercredi –

6  heures matin ;

Toute la nuit, la bataille s’est développée1 au front de Reims, les « 120 » longs faisaient dans la nuit un bruit formidable. Décidément, on ne se bat plus que la nuit.

6  heures soir ;

La bataille reprend ce soir comme les jours précédents, au-delà du faubourg de Laon, mais tous les jours un peu plus tôt…

Je suis allé prendre quelques photos au château de la Marquise de Polignac. Au fond, les dégâts ne sont pas énormes ; les obus avaient à faire à forte partie ; la construction est solide !

Extrait des notes de guerre de l'abbé Rémi Thinot. [1874-1915] tapuscrit de 194 pages prêté à ReimsAvant en 2017 pour numérisation et diffusion par Gilles Carré.

Louise Dény Pierson

30 septembre 1914 ·

Fin septembre ; à Reims, le ravitaillement est difficile, les trains n’arrivent plus en gare, de toutes façons….
Les besoins de l’armée priment tout. Nous apprenons que des cuisines militaires installées dans la ferme de Murigny distribuent des repas chauds aux civils.
Malgré la distance, j’y vais à plusieurs reprises avec des voisins, cela nous permet d’attendre une amélioration dans l’arrivée des vivres.

Ce texte a été publié par L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson ainsi que sur une page Facebook dédiée :https://www.facebook.com/louisedenypierson/

 Louis Guédet

Mercredi 30 septembre 1914

19ème et 17ème jours de bataille et de bombardement

7h matin  Ce matin à 4h les mitrailleuses crépitent, on se bat jusqu’à 5h. Coups de canons intermittents en ce moment. J’achève ma lettre pour mes aimés et vais la porter à la Pharmacie de Paris. Puisse-telle leur parvenir. A 9h j’irai voir les dégâts de la Cathédrale avec l’abbé Andrieux.

11h  Je suis allé à 9h porter ma 1ère lettre à la Pharmacie, ensuite la seconde à la Gare. En revenant je rencontre l’abbé Abelé qui arrivait de Châlons, et va à la clinique Mencière ou est Maurice Mareschal, il me donne des nouvelles de Touzet qui se porte très bien et est à Châlons, il sera ici demain ou après. Je cours au 164 rue des Capucins chez son beau-père M. Pion (à vérifier), ou je trouve Madame Touzet et toute sa famille, leur annonce cette bonne nouvelle. Ils sont enchantés. Je rencontre M. Hébert qui me dit qu’on a établi un service postal rue Libergier 32, à l’École des Filles. Je remonte, vois mon boulanger Metzger rue des Capucins 34, qui est fort fâché contre Goulet-Turpin qui se serait fait délivrer sur réquisition 100 sacs de farine, tandis qu’aux autres boulangers on leur refuse cette farine tant qu’ils n’auront pas écoulé les 80 000 boules que Paris a envoyé à Reims. Reims paiera donc toujours pour Paris.

Je vais à 9h exactement trouver l’abbé Andrieux et nous entrons dans notre pauvre Cathédrale ! Des débris de toutes sortes, poutres à demi-consumées, vitraux épars brisés, fondus, plomb fondu et réduit en poussière, en grenaille. Les chapelles du pourtour de l’abside n’ont pas trop soufferts, la nef non plus. Dans le chœur le trône du cardinal est à demi-consumé. La Jeanne d’Arc de M. Abelé est enfumée seulement. Les stalles de Chanoines, du côté de l’Évangile, sont entièrement brûlées, celles de l’Épitre ainsi que le petit orgue sont sauvés. L’horloge à personnages, près des Grandes Orgues, ainsi que ces dernières, paraissent intactes. Les deux chaires, celle de la nef et celle du cardinal qui vient de l’ancienne église St Pierre, les deux je crois sont sauvées. Un ou deux grands lustres sont à terre, les autres sont restés suspendus et n’ont semblés n’avoir rien. Les 2 grands tambours du Grand Portail sont consumés, et le feu a abîmé les jolies statuettes qui tapissent la partie intérieure du Grand Portail autour des deux petites portes. Les statues qui sont à droite et à gauche des 2 grandes portes et au-dessus sont intactes, notamment les 2 chefs d’œuvres : le moine donnant la communion à un chevalier et celui-ci sont absolument saufs.

La moitié de la Grande Rose du côté nord, qui avait été entièrement refaite par M. Paul Simon il y a quelques années n’existe plus comme vitraux, l’ossature en pierre est indemne.

Nous montons ensuite par le transept nord au sommet de la Cathédrale, au-dessus du Petit Portail et de la Galerie des rois, nous regardons le combat qui se déroule vers le champ d’aviation. Duels de canons. Toute la plaine est constellée de tranchées et de levées de terre. Nous allons sur le sommet des voûtes, à l’endroit où était le carillon, plus rien, toute la charpente a été consumée et ne forme plus que des cendres, pas dix fragments de poutres à demi-consumées ne subsistent. Cette forêt de charpente a brûlé comme un feu de paille !! Nous redescendons, moi fort impressionné de ce que j’ai vu !

Cet incendie de la Cathédrale est un désastre, mais j’estime que l’on pourra la réparer, sauf bien entendu ses nombreux détails de sculptures, les statues détériorées, brûlées ou brisées qui sont irréparables ! Nous ne sommes malheureusement plus au Moyen-âge, et n’avons plus ni la patience ni le sentiment et l’esprit de l’art de cette époque. Chaque ouvrier sculpteur de ce temps était un artiste qui travaillait beaucoup et coûtait peu. Ce n’est plus de saison à notre époque : on travaille pour de l’argent et non pour des siècles l’Art pur d’une époque !! et pour les siècles !!!

5h3/4  On se bat toujours ! Je suis découragé. Sans nouvelles ou à peu près des miens et sans nouvelles de mon pauvre Père. Ce que je souffre est intraduisible. Je n’ai plus la force d’espérer. Je suis complètement anéanti, moi qui résistais au bruit du canon.

Je tressaille, je m’énerve à chaque coup, je n’en puis plus !! Voila 1 mois qu’on se bat autour de nous, sans compter l’occupation prussienne et saxonne avec toutes ses souffrances et ses angoisses. Je n’en puis plus !!

Il y a en effet un service des Postes établi à l’École Maternelle de la rue Libergier, il faut que les lettres soient mises à la Poste avant 3h. J’écrirai demain à ma chère femme et à mon bien aimé Père, s’il existe encore !! Oh ! Quelle torture !!

J’ai reçu cet après-midi du Parquet une notification à marchage à faire !! Je vais donc instrumenter sous les bombes. Pas moyen de déléguer un confrère puisque je suis le seul notaire qui ne se soit pas sauvé  (rayé) Je suis resté ! et probablement on ne me saurait imbu de reconnaissance ?!

6h05  Voilà la bataille de nuit qui commence ! Mon Dieu ! Quand donc ce sera fini ! Ce n’est pas de la peur ! Oh non ! mais c’est de la lassitude !! Quelle vie !! Quel martyr !! Je n’ose plus espérer ! Je désespère de revoir Père, femme, enfants !! et mon cher St Martin !! si calme ! si tranquille !! où je me retrempais, où je retrouvais des forces pour penser à nouveau quand j’y allais !!

7h50 soir  A 7h plus de mousqueterie ! mais à l’instant deux coups de grosse artillerie qui font trembler la maison. On tire de St Charles et j’entends les obus siffler au-dessus du faubourg de Laon. Voilà le duel d’artillerie qui va recommencer, du reste il n’a pas cessé de la journée !! On me racontait ce matin un fait assez amusant accompli par un caporal et 2 soldats. C’était du côté de Merfy, sur les 10h du matin. L’officier qui commandait une des tranchées françaises désirait être fixé sur une tranchée ennemie qui possédait une mitrailleuse fort gênante pour nous. On demande à 3 hommes de bonne volonté pour aller reconnaître cette tranchée. Un caporal et 2 soldats se présentent ! Ils s’affublent de gerbes de paille et en rampant ils arrivent inaperçus sur la tranchée visée, pleine de prussiens. Quelques coups de baïonnettes lancés à droite et à gauche par nos lascars mettent en fuite nos allemands qui n’aiment pas la fourchette (du reste ils ne se servent que de leurs couteaux pour manger… même la soupe !!) Nos trois troupiers, maitres de la tranchée, ne perdent pas de temps et retournent la fameuse mitrailleuse qui intriguait tant leurs officiers sur nos prussiens et se mettent à déchirer de la toile sur leur dos, en veux tu en voilà !!

Les camarades arrivent à la rescousse, et dans le tohu-bohu tuent pas mal de prussiens et font nombre de prisonniers !! Notre cabo (caporal) a attrapé la Médaille Militaire du coup, ainsi que ses 2 hommes. Ceci montre bien l’initiative innée de nos soldats. Les allemands n’auraient certainement pas pensé à cela !! Renvoyer le panier par l’ange !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

On reparle beaucoup de la nuit du 28 au 29. Peu de gens ont dormi à Reims. Il s’agissait d’une engagement important, du côté de Cernay, sur lequel nous n’avons aucun renseignement.

– Les batteries installées ans le Champ de grève sont en pleine activité, dans la matinée de ce jour.

– L’après-midi, je sors pour aller aux nouvelles, place Amélie-Doublié. Du pont de l’avenue de Laon, je commence à entendre les arrivées des obus qui ne cessent de tomber vers le Port-sec et sur la gare du CBR (Jacquart), où sont placées des pièces de 75. Cela me fait hâter le pas pour arriver chez mon beau-frère… où je ne trouve personne. Je m’empresse alors de revenir, car la promenade est dangereuse aujourd’hui, dan ce quartier, dont les rues sont désertes.

A mon retour rue du Jard, nous percevons, du jardin, une série de détonations qui commence vers 18 h et se prolonge longtemps ; elles sont tellement serrées et nourries qu’elle produisent un bruit comparable à celui du passage d’un train, entendu dans la campagne.

Vers 18 h1/2, le canon venant se mêler à ce vacarme effroyable, nous nous demandons comment va encore se passer la nuit.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Toute la nuit (passim 29-30) combat ; intervention des mitrailleuses, à 4 h. pendant une demi-heure ou 3/4 d’heure sans arrêt. 9 h. canonnade et bombardement.

2 h. Visite de M. Abelé, Curé du Sacré-Coeur ; il m’apprend que M. Béguin est à Reims, Clinique Mencière.

3 h. Visite à la Clinique Mencière.

6 h. Explosion du Parc d’Artillerie (1), incendié par les Allemands, il n’y avait rien d’utile à l’armée dedans. C’est de règle, et le Allemands auraient dû commencer par là. Je pense qu’on dit cela pour ranimer notre confiance bien déprimée?. 8 h. soir, grosses pièces, vers 3 h. nuit, (…) 5 h. Silence.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Travaux de l’Académie Nationale de Reims

(1) L’ancien parc d’artillerie de la garnison, rue de Neufchâtel et situé trop près du front, ne contenait semble-t-il que des artifices et des munitions périmées. La remarque du Cardinal montre quel es esprits ne sont pas encore prêts à admettre un conflit de longue durée.


Gaston Dorigny

Aujourd’hui, les Allemands n’ont même pas attendu qu’il fasse jour pour nous cribler de leur mitraille. Dès quatre heures ½ du matin les obus pleuvent sur la ville et particulièrement encore dans le quartier de Cernay. Gérard de la maison Bouchez est tué chez lui ainsi que sa femme au moment où s’étant levé il se disposait à se mettre à l’abri à la cave.

La matinée passe au son du canon.

Vers 1 heure ½ du soir un envoi continu d’obus commence qui doit continuer plusieurs heures. Nous allons voir chez Truxler (1), qui est rentré depuis quelques jours et en rentrant à cinq heures, nous entendons en suivant le canal un bruit qui ressemble à des mitrailleuses. Renseignements pris, c’est tout autre chose, un obus allemand est tombé dans l’arsenal rue de Neuchâtel où, fait inouï dans une ville assiégée, l’autorité militaire avait laissé des munitions.

Les innombrables cartouches renfermées dans les magasins éclatent pendant près de deux heures. On entend même des explosions semblant provenir de gros engins.

Pour calmer l’opinion publique, l’armée raconte que l’arsenal ne contenait que des cartouches à blanc et des cartouches d’au delà 1874. Cela était peut être exact mais il n’en est pas moins vrai qu’il y a une grosse faute d’avoir laissé des munitions à portée de l’ennemi.

A peine les craquements produits par l’éclatement des projectiles de l’arsenal se sont ils tu que l’on en entend de nouveaux. C’est encore une fois une bataille qui commence.

A quand la fin ? On se sent devenir fou.

Gaston Dorigny

(1) Truxler, était un cousin de la grand-mère du petit-fiis de Gaston Dorigny (Claude Balais), – Branche Thierry – grand parent de Michel Péricard , maire de Saint Germain en Laye, membre de l’assemblée nationale en 1996 où il fût porte parole du RPR.


Paul Dupuy

17H Couturier venant des Mesneux se fait l’écho de l’inquiétude de la famille C. Lallement, que les travaux de fortification qui se multiplient dans les environs impressionnent défavorablement, et du désir qu’elle aurait de me voir arriver au plus tôt porteur de l’or retrouvé intact dans le coffre-fort.

Paul Dupuy - Document familial issu de la famille Dupuis-Pérardel-Lescaillon. Marie-Thérèse Pérardel, femme d'André Pérardel, est la fille de Paul Dupuis. Ce témoignage concerne la période du 1er septembre au 21 novembre 1914.

Source : site de la Ville de Reims, archives municipales et communautaires


Juliette Breyer

Cette fin de mois, pas de grand changement, toujours des bombardements, le feu Rue d’Alsace-Lorraine, 19 soldats tués au moulin de la Housse, 13 aux caves à louer. Chez Pommery, l’expédition, la bouchonnerie et la maison à Poirier ne sont plus que des décombres. Mais nous nous sommes bien abrités, étant dans les tunnels supérieurs.  On ne souffre pas. André se porte à merveille, on le voit changer de jour en jour et il ne t’oublie pas. Pauvre papa, où es-tu ?

Nous t’aimons tous les deux et nous t’attendons. Bons baisers et à bientôt.

Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL

De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)

Il est possible de commander le livre en ligne


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Victimes des bombardements de ce jour à Reims

  • FINCK Arsène     – 25 ans, 9 rue Noël, Caviste – célibataire Demeurant 65 rue de Cernay à Reims
  • GÉRARD Eugénie Alphonsine   – 41 ans, 107 rue d’Alsace-Lorraine, décédée en son domicile
  • GÉRARD Henri Honoré  –  46 ans, 107 rue d’Alsace-Lorraine,  Tué avec son épouse lors d’un bombardement alors qu’ils cherchaient un abri plus sûr – Employé de commerce

Jeudi 30 septembre

Le succès obtenu en Champagne a été très important. Le nombre des prisonniers faits par nous est de 23000, celui des canons capturés est de 79. De nouveaux groupes d’Allemands se sont rendus. Notre poussée continue contre les positions de repli de l’ennemi. Nous avons progressé sur les pentes de la butte de Tahure et au nord de Massiges.
En Artois, nom avons atteint, après une lutte opiniâtre, le point culminant de la crête de Vimy et nous avons maintenu toutes les positions conquises. De là nous dominons la plaine de Douai. Nous avons fait 300 prisonniers.
Canonnade au nord et au sud de l’Aisne, en forêt d’Apremont et au bois Le Prêtre.
Les Anglais ont progressé vers Lens et augmenté le total de leurs prisonniers.
Les Russes ont livré de sanglants combats vers Dwinsk, au sud de Vilna et en Volhynie.
Les Anglo-Indiens ont remporté un succès en Mésopotamie et marchent sur Bagdad.
Une crise ministérielle s’est produite à Sofia. MM. Tontchef et Bakalof estimant la politique de M. Radoslavof encore trop peu complaisante à l’égard de l’Allemagne, ont démissionné. Mais le roi a obtenu d’eux qu’ils reprissent leur démission.

Source : La Grande Guerre au jour le jour