Ma chère maman,
J’ai eu hier les deux lettres avec les photos ; je t’en remercie bien. Je voudrais aussi avoir la tienne, celle de Raoul, Suzanne, Jean et quelques-unes d’Élisabeth et moi à Paris au mois de juillet. Veux-tu aussi m’envoyer une serviette éponge, du cirage, des conserves, du tabac ou cigarettes et surtout une pipe droite ordinaire car la mienne que j’avais depuis deux ans et demi a été écrasée. Ce sont bien des choses, mais je ne trouve plus rien ici. Nous sommes toujours au bivouac dans un pré. Nous avons déployé les petites tentes car il pleut à torrents depuis 3 jours, le canon tonne bien en ce moment et nous attendons toujours les moments propices, en tout cas, il y a déjà un beau travail de fait.
Nous allons de temps en temps chercher des prisonniers, ils ont de sales bobines, mais n’ont pas l’air fâchés d’être avec nous, les cochons, qui gueulent tout le temps : « Kamarad, Kamarad ». Leur colonel surtout avait l’air arrogant mais a changé de ton assez rapidement, c’est la Légion étrangère qui les a chipés en grande partie mais pas la Légion. d’Afrique, elle qui est engagée pour la durée de la guerre. Il y a de tout là dedans, mais tous casse-cou..
Ne t’étonne pas de m’avoir vu une bague au doigt. Nous en faisons […] avec l’aluminium des obus boches mais c’est long à faire quand on n’est pas du métier, je t’assure. As-tu envoyé des photos à Élisabeth qui m’en demande ? Et Suzanne, que dit-elle ? Jean ne m’écris plus non plus.
Il y a longtemps que je dois une lettre à Raoul. Dis-lui de m’excuser, mais pour l’instant, ce n’est guère commode. J’ai les reins cassés car notre tente a à peine un mètre de haut et il ne faut pas y toucher, sans cela, l’eau traverse.
Écris-moi souvent, et ne n’exige pas […]. J’ai rencontré M. Proudière il y a trois semaines environ. Je n’ai guère pu lui causer car nous étions en marche, en train de changer de cantonnement.
Raoul devrait aller voir M. Lamoureux, il serait bien gentil. Ma jument n’est pas encore teinte, heureusement, elle est bien mieux au naturel que sur la photo où elle est très mal placée.
Je n’ai reçu que 25 photos, les 15 autres, comment sont-elles s’il vous plaît ?
Au revoir, je vais aller à l’abreuvoir (3 kilomètres), les chevaux n’arrivent que ce soir.guère …
Je vous embrasse tous,
Jacques