Du 1er juillet 1919 au 17 janvier 1920

Feuillets 1 à 35

Mardi 1er juillet 1919                                                  

6h soir  Pluie et ondée la journée. Voici cette Paix boiteuse signée !! Pourvu qu’elle dure !! Ce n’est pas cependant ce qu’on dit, même en haut-lieu.

L’abbé Andrieux que je voyais ce matin me disait qu’il avait vu samedi l’Amiral Ronarc’h qui lui avouait que nous aurions la Guerre de nouveau dans 3/4 ans (Pierre Alexis Ronarc’h, ancien commandant de la brigade des fusiliers marins à Dixmude en 1914, chef d’état-major général de la Marine depuis mai 1919 (1865-1940)) !! L’Amiral est navré des conditions de la Paix où nous sommes les « Parias… » L’Angleterre et l’Amérique tirent leurs épingles du jeu, et nous…  nous payons !! Il contait à l’abbé qu’il se trouvait au Conseil des 4 lorsque la nouvelle du coulage de la flotte allemande parvient au Conseil (Le sabordage de la flotte allemande à Scapa Flow le 21 juin 1919). Tout le monde fut atterré, sauf…  Lloyd George… (Alors Premier Ministre du Royaume-Uni (1863-1945)) qui ne parut pas autrement surpris, et l’Amiral Ronarc’h d’ajouter : « C’était à se demander s’il n’était pas de connivence avec les allemands !! » moi cela ne m’étonnerait pas.

Rien d’autre de saillant, sauf que je suis profondément triste et découragé… Le sentiment unanime est que nous devrons recommencer la Guerre avant 5 ans !! Alors !!?!! autant ne rien déposer, ne rien faire filler en Espagne ou ailleurs, et avoir au moins la Paix pour l’avenir. Car recommencer la Guerre… Non alors ! et je ne veux pas que mes enfants la refassent !!

Eté au Bon Pasteur pour leur acquisition d’une maison, 16, rue Gambetta, près du 18 où elles habitent. Et demain je dois toucher une partie du prix…  en or (20 000 Francs) Il y a encore de l’or en France !!…

Je le porterai à la Banque de France aussitôt. Rien d’autre, sauf l’inquiétude de l’avenir et le peu de confiance dans la Paix. Et ce sentiment est général, on se sent oppressé, on sent que ce n’est pas la vraie Paix.

Mercredi 2 juillet 1919

7h soir  Pluies et ondées. Journée absorbante, quantité de gens. Reçu pour Montaudon mon confrère tué, que je substitue avec Béliard, le contrat de mariage Rohard-Barré. En voilà encore 2 familles qui aiment les officiers pillards !! Ensuite été au Bon Pasteur, 20, rue Gambetta, où j’ai reçu de la Mère Supérieure, Melle Claire Anglade, un à valoir sur son prix d’acquisition de la maison des Fontaine-Roland, 16, rue Gambetta (Jules Fontaine et son épouse née Eugénie Roland), la somme de 20 000 Francs en or (20 Francs et 10 Francs) et nous avons vérifié cette somme, ce qui nous a demandé une bonne heure 1/2. Rentré ici. J’ai encore trouvé encore du monde. Ce soir grande fatigue d’esprit, je ne sais comment je pense encore !!

 

Jeudi 3 juillet 1919

7h soir  Temps passable. Audience le matin pour désigner les membres du jury pour les assises de 1919, 1er et 3ème cantons, les maires des communes de ces cantons étaient présents ou représentés : Suply (Ormes), Perceval (Thillois), Gaillot (Bezannes), Lecompère (Cormontreuil), Leclerc (St Léonard), Tritant (Taissy), Vuattier (Trois-Puits), Gaillot. Le Maire de Reims, Mennesson-Dupont, Lecat, Collard, 60 noms pour le 1er Canton et 76 pour le 3ème Canton. Après-midi audiences de réquisitions et civiles. Pas de jugement. Je suis fatigué, las, découragé. Je pleurerais volontiers. Quelle vie misérable…

Vendredi 4 juillet 1919

8h1/2 soir  Beau temps. Journée assez occupée, toujours aussi désemparé. Visite au Directeur et à la Directrice de la Maison de Retraite, visité les Dames de la Visitation rue de l’Equerre, dans leur cloître et leur jardin. J’ai brisé la « clôture ». Et la Mère Supérieure et son assistante paraissaient heureuses de me revoir. Pauvres femmes ! Je leur ai donné quelques conseils, elles sont aussi bien désemparées !!

  1. Thomas le gardien d’ici quitte la maison aujourd’hui ! enfin !! C’est un brave homme !! mais qu’il était fruste !!

Je suis toujours bien las !!

Samedi 5 juillet 1919

8h soir  Pluie battante. Peu de monde. Visite de Charles de Granrut, ancien maître verrier de Loivre, qui a perdu son fils au Mort-Homme, il ne lui reste plus qu’une fille. Toujours bien triste. Causé longuement avec lui, et notamment des verreries champenoises. Comme toujours toutes les petites vont être absorbées, (rayé). Ces oiseaux de proie, rapaces, à moins qu’une justice immanente ne fasse litière de cet égoïste (rayé) qui piétine sur tout.

Reçu une invitation du Maire pour assister demain à 1h45 à la remise de la décoration de la Légion d’Honneur à la Ville de Reims par le Président de la République. J’irai. Mais cette Croix vient bien tard, et après celle de Paris !!! et de plus il a fallu la quémander presque !! C’est honteux.

Bref elle vient comme des cheveux sur la soupe, comme on dit dans nos plaines Champenoises !! C’était sous les bombes qu’on devait nous la donner !! Enfin Reims a toujours et sera toujours sacrifié. Pourquoi ? L’Histoire nous le dira peut-être plus tard ! Cela a toujours été une énigme pour moi !

On me dit qu’hier environ 200 soldats auraient défilé dans le rue de Vesle chantant l’Internationale et criant : « A bas Clémenceau ! etc… !!! » C’est le commencement ! hélas !!

Dimanche 6 juillet 1919

Midi  Temps gris nuageux, lourd avec brume chaude. Triste journée pour une remise de décoration. Reims veut recevoir sa Croix dans sa parure de deuil et de tristesse ! au milieu de ses Morts ! C’est un vrai temps de 2 novembre ! Il convient bien à nos sentiments, à nos misères ! Eté ce matin à la messe de 8h, du monde. Houlon, sa femme et sa fille. Sainsaulieu et son fils, Mlle Kauffmann notre petite post-communiante de la Guerre !

Eté à la Poste pour payer les droits de succession de mon pauvre Père. 5,25% de droits en ligne directe, encore !! après tout peu m’importe ! qu’on me prenne tout !! Pour ce que je tiens à la vie !!

3h1/4  A 2h le Président de la République arrive. Discours du Maire. Discours du Président, très académique. Décoration de la Ville. La Croix de la Légion d’Honneur est épinglée sur un coussin aux armes de la Ville, à 2h1/4 juste. Puis remise de la Croix également au drapeau des sapeurs-pompiers de Reims. Les autorités étaient massées sur une estrade à hauteur du perron de l’Hôtel de Ville, aux fenêtres béantes 4 drapeaux, et c’est tout. La place était encadrée par la troupe, et la foule était maintenue par une bordure de fils de fer, avec juste une entrée côté rue Thiers.

De là le cortège est entré dans la cour centrale de l’Hôtel de Ville où l’on avait établi une tente côté salle des mariages. Là le Maire, de Député Lenoir et les Sénateurs boivent une flute de Champagne et causent avec le Préfet, Langlet, Charbonneaux et quelques rares employés municipaux. Je refuse une flute de Champagne, je n’ai pas le cœur ! Cette cérémonie me rappelle trop de larmes !! de souffrances !! et d’horreurs !

La place était noire de monde. Parmi les officiels figuraient au premier rang tous les francs-fileurs ! J’te crois !! ils n’ont pas été à la peine, c’est logique qu’ils soient les premiers à l’honneur. Comme disait un petit sauveteur et brancardier de Reims, très brave durant les bombardements, M. (en blanc, non cité) : « Il est tout naturel que ce soit ceux-là qui ramassent les lauriers que nous avons cueillis !! » Je suis bien de son avis.

Une note cocasse dans cette scène : le fameux Cazin arrivant en uniforme vert forestier, avec cors de chasse au col, 3 galons (quand on se prend… !!!) bonnet de police, bottes à l’écuyer !! Bref un vrai costume de dompteur de lions !! Il ne lui manquait plus qu’une cravache !! C’était à se tordre, ce dont nous ne nous sommes pas fait faute !! Il était atroce !! et ne s’apercevait pas de son ridicule ! Voilà la note gaie ! cela valait la peine que je la note ici !

Gustave Houlon, le pauvre ami ! était là les larmes aux yeux, oui j’ai souffert pour lui ! Car il aurait dû recevoir aussi la Croix. Il l’a plus que méritée !! C’est une injustice criante ! La réparera-t-on jamais !! Je désire de tout mon cœur cette réparation !

Emile Charbonneaux toujours aussi diplomate et… égoïste ! Mme Charbonneaux (Emile) était là et jouait à la « Mairesse » ! Il ne manquait plus que Marie Arnould, d’illustre mémoire (épouse de Charles Arnould, ancien Maire de Reims de 1900 à 1904) !! quand elle offrait des fleurs à Nicolas II, au nom des Mères de Reims !!… Une grue ! Marie les pieds sales, dite Marie Nom de Dieu ! vouloir représenter les Mères de Familles Rémoises !! que n’aura-t-on pas vu sous la 3ème République ! mais tout cela est de l’Histoire ancienne !!

A 3h le Président repart faire un tour en ville avant de reprendre son train à 4h.

Je reviens ici fort fatigué, et triste !! Tout cela ne relèvera pas nos ruines ! hélas ! Et puis cette Croix posthume arrive bien tard ! Surtout après celle de Paris !……

Paris qui n’a pas souffert et qui n’a fait que la fête durant toute la Guerre et se sauvait (rayé) au moindre danger ! Tout cela est triste ! quand on y songe ! Paris sera-t-il un jour châtié comme il le mérite. Ce serait bien son tour.

Dans son discours le Président n’a pas insisté sur la question des réparations dues par l’Allemagne ! On sent que là nous avons été trompés et que la Paix est plus que honteuse, on sent qu’il avait l’arrière-pensée que jamais l’Allemagne ne réparera et qu’un jour hélas !! elle voudra recommencer la Guerre !!

Les deux pages suivantes ont été découpées, elles concernaient les journées des 7, 8, 9 et 10 juillet 1919.

Vendredi 11 juillet 1919

8h soir  Pluie. La dernière journée que j’aurais passée dans mon refuge de Guerre aura été triste, lugubre comme le temps. Je quitte ces lieux hospitaliers l’âme deuil !! Maison que le deuil a habité aux débuts de cette Guerre ! La mort y était entrée le 22 novembre 1914, fauchant mon cher ami Maurice Mareschal, le seul vrai ami que j’ai eu ici ! Je quitte ces lieux l’âme endeuillée, le cœur chancelant, de tout ce que j’ai souffert sous ce toit, du 8 septembre 1915 jusqu’à aujourd’hui ! Et je vais sous un toit inconnu entamer une nouvelle carrière, une nouvelle ère de ma triste vie ! Que sera ce nouveau cycle ? de ma vie ? Ai-je assez souffert pour que maintenant j’ai un peu de joie, de bonheur, de chance, de prospérité et de fortune ! moi qui suis ruiné et ne sachant si demain j’aurais un morceau de pain à donner à ma femme et mes enfants !!! 11 juillet 1919, que sera demain ? de quoi sera-t-il fait dans mon nouvel abri ?

Dernière journée passée sous le toit ami. Mon pauvre cher Maurice obtiendras-tu du Ciel que je n’ai plus que bonheur et joie et fortune, et que de même pour ta pauvre femme et des deux enfants. Je leur rends tous les services que je leurs dois comme cela a été promis entre nous, lorsque nous devisions ensemble dans le bois de Bulgnéville à Contrexéville ! Donne m’en les moyens et la force.

Dernières heures passées ici dans cette chambre, où le fracas et le tonnerre des bombardements m’a trouvé toujours en éveil sur le chemin du Devoir et de l’Honneur ! Où les obus venaient me trouver à la place même où j’écris ces lignes d’ultime adieu ! à la maison de la rue des Capucins. Tout cela est le passé ! Que sera l’avenir !! Chi lo sa (Qui le sait) ?

Samedi à mardi 12, 13, 14 et 15 juillet 1919

Passé les fêtes de la Victoire à St Martin, tristement, plus que tristement. Reçu de Martin-Guelliot 2 cartes pour assister à la revue des Champs-Élysées, au 71 de cette avenue, mais trop tard (René Martin (1879-1962), polytechnicien, époux de Françoise (1885-1969), fille du Docteur Guelliot). Rentré ici ce matin par une pluie diluvienne qui avait durée toute la nuit du reste.

Me voici au 42, rue Clovis dans mon nouveau domicile ! M’y voici ! pour combien de temps ? Y serai-je heureux ou malheureux ? Y verrai-je la fin de mes misères, de mon infortune ? Y aurai-je des jours de bonheur, de fortune, de prospérité ? Que sais-je ? Je n’ose formuler aucun espoir ! J’ai toujours eu si peu de chance.

A peine arrivé que j’ai été bousculé, dérangé, que je n’ai pu rien faire, et à peine rentré ici qu’il me faut partir vendredi à Paris, appelé d’urgence par la Banque de France où l’on veut s‘entendre avec moi pour l’achat de maisons rue Colbert, les numéros 39, 37, 35, 33 et 31 attenantes à l’hôtel de la Banque de France, place de l’Hôtel de Ville. J’irai vendredi et je rentrerai à Reims samedi pour aller à Aÿ dimanche matin à 11h pour recevoir le contrat de mariage de la seconde fille de mon ancien confrère Lefebvre décédé. Tout cela me prend bien du temps.

Mardi 15 juillet 1919

Que sera ce nouveau cycle de ma vie dans cette maison du 42, rue Clovis !! De tristes pensées assaillent mon esprit. Je suis si malheureux ! que je n’ose plus espérer du bonheur, de la fortune, de la réussite, des jours heureux. Je suis écrasé de soucis, de misère et de désespérance !

Que sera ma vie et celle des miens dans cette maison…  inconnue ! et triste par elle-même ! Chi lo sa !!

Mercredi 16 juillet 1919

Toujours fort occupé et dérangé. Passé une nuit plutôt triste dans mon nouveau logis. J’ai pleuré. Rien de saillant. Vu Givelet, Ducancel, etc…  après-midi à 2h1/2 été à Ormes dans l’auto de M. François Valentin, entrepreneur des briqueteries (de Reims) à Ormes (Ingénieur constructeur (1874-1961)), pour la constitution de la Coopérative des sinistrés pour la reconstruction du village. Trouvé une 20aine (vingtaine) d’habitants réunis sur la place où de là, la mairie et la maison d’Ecole étant incendiées, nous allons dans un baraquement ou l’Instituteur, Croix de Guerre, blessé, faisait la classe à une 20aine (vingtaine) d’enfants. On licencie les gosses qui en sont enchantés et je lis les statuts. La Présidence est donnée au Maire Suply, la vice-Présidence à Parmentier, le secrétariat et la Trésorerie à Daubresse, huissier à Reims qui m’accompagnait.

Vu le plan en projet qui régularise ce village, qui comme tous les villages d’antiques vignobles avait des rues tortueuses et étroites…… ! mais il est même prévu un emplacement à l’entrée du village pour un monument commémoratif de la Grande Guerre et…  un terrain de sport !!!! C’est un peu exagéré pour un village de 150 à 200 habitants !! L’église qui est au 3/4 démolie est laissée au même endroit avec la Grande place à l’entrée et au chevet ouest. Visite de cette pauvre église, plus de clocher, la cloche repose de 1892 repose sur deux madriers et on la sonne pour appeler les Boches qui travaillent au déblaiement. Le cimetière est fort abîmé. Plus de presbytère. Le village, qui a été entre 2 feux dans les journées de mai, juin, juillet et août 1918 est totalement détruit, il y a juste 2/3 maisons à peu près entières, les autres sont rasées. Ces constructions en carreaux de terre, du reste, ne pouvaient offrir aucune résistance sous les obus. Dans la petite place devant la Mairie est la tombe d’un officier français inconnu (Capitaine Louis-Bernard Labertrandie, 24e RIC, tué le 18 juin 1918).

Rentré à 5h1/2, où je désespère de rattraper mon courrier en retard.

Demain 2h simple police, 1ère audience depuis l’évacuation de Reims. J’avais tenu la dernière au vieux Palais de Justice le 15 janvier 1918.

J’aurais donc été le dernier à juger correctionnellement à Reims dans le vieux Palais détruit, et le premier à tenir cette audience le 17 juillet 1919. Ensuite je n’aurai plus qu’à me retirer, et laisser la place aux juges de Paix titulaires. Je suis bien fatigué et bien las, et triste au possible dans cette maison inconnue, tout seul… oh ! si seul !…

Jeudi 17 juillet 1919

8h soir  Beau temps. Bousculé toute la journée, audience de simple police à 2h, finie à 5h, 144 procès solutionnés. Le commissaire Louboutin me fait l’effet d’un singulier sire !! je défie qui que ce soit de savoir le fond de sa pensée. Gestes théâtraux d’anciens instituteurs en retraite du 2d Empire ! C’est tout ce que je puis en conclure !! mais j’estime qu’on doit se méfier de ce citoyen-là !! Dépêche à 6h1/2 du soir de Bossu ! qui s’invite à déjeuner demain à midi ! Il tombe bien moi qui part à 6h45 !! Ce n’est pas de chance ! J’aurais pourtant bien voulu le voir, pour savoir peut-être bien des choses !! Je lui laisse un mot et lui demande de me faire signe à son retour ! Je vais me coucher car je suis exténué ! Je tomberai bientôt.

Vu Français ce matin pour le contrat de mariage de sa fille ! Je serai peut-être seul à le recevoir. Je le souhaite, ce sera un peu de profit pour moi. Qu’adviendra-t-il de nous ? notaires ! ici !! Je suis effrayé et bien anxieux.

Vendredi et samedi 18 et 19 juillet 1919

9h soir  Hier Paris. Vu M. Emery de la Banque de France pour les terrains rue Colbert, aux numéros 39, 37, 35, 33 et 31 pour me demander de replâtrer les gaffes de M. Gilbrin notre directeur. Ensuite j’ai vu le Procureur Général de Paris M. Lescouvé, toujours fort aimable, à qui j’ai fait mes adieux comme juge de Paix de Guerre, et qui très aimablement m’a dit : « C’est moi qui vous dois une visite, car je veux vous remercier à Reims même ». De là je suis allé chez Guelliot puis chez Français, 17, boulevard Delessert (Emile Français (1863-1920) et son épouse Lucie (1871-1959), fille de Pol Roger) pour dîner et communiquer et discuter le projet de contrat de mariage de sa fille Marie-Louise. Dîné avec le fiancé, très intelligent, et les parents Massin (Marie-Louise Français (1896-1992) épousera en 1919 Jacques Massin, Ingénieur (1891-1974)).

Rentré à minuit et reparti ce matin de Paris pour arriver à 11h. Bousculade. Cet après-midi mon vieil ami le Procureur Général Bossu m’arrive pour me serrer la main. Je le reconduis à la Gare. De là je passe chez les Sœurs du Bon Pasteur et les Visitandines de la rue de l’Équerre que je rassure en leur disant qu’il n’y aura pas grève le 21. Je suis exténué. Demain contrat Lefebvre d’Aÿ à Aÿ à 11h. Tout cela ne m’avance guère.

Dimanche 20 juillet 1919

6h soir  Beau temps, brise fraîche. Messe de 8h, pris le train à 10h10 pour Aÿ. Reçu par Madame Lefebvre, présentation des jeunes fiancés. La jeune fille, Thérèse, charmante, quant au jeune homme, M. Charron, capitaine du Génie, Croix de Guerre, ingénieur des Ponts et Chaussées venant de finir ses derniers mois d’école, très intelligent, charmant causeur ! Impression délicieuse sur lui. Cette jeune fille sera heureuse avec lui. Je ne souhaiterais qu’un jeune homme semblable pour ma pauvre chère Marie-Louise !! mais je ne puis l’espérer, nous sommes nés dans et pour le malheur !!

Ces jeunes gens se sont connus durant la Guerre, M. Charron ayant cantonné à Aÿ pendant un certain temps.

Il attend sa nomination d’ingénieur aux Ponts et Chaussées, et espère être nommé à Grenoble pour la technique des forces hydrauliques, la houille blanche. Quel bel avenir pour cette jeune fille !! si seulement je pouvais en espérer un semblable pour ma pauvre petite Marie-Louise !!… Je ne l’ose et je ne le puis. Je n’ai jamais eu de chance et la fatalité me poursuit même dans et pour mes enfants !! Signature du contrat, apport du jeune homme 50 000 francs. Dot de la jeune fille 130 000 Francs, y compris ses apports et droits dans la succession de son Père. Déjeuné et causé d’une façon fort intéressante avec le futur…  quelle différence avec le jeune Massin, le fiancé de Melle Français !! quelle différence !!…  autant l’un est fils…  de fonctionnaire…  autant l’autre est parfait d’esprit et d’éducation !!……  singulier contraste, je serais curieux de revoir ces 2 jeunes ménages dans quelques ans d’ici…  pour voir ce qu’ils auront donné !!

Rentré par le train de 2h1/2. Puis rentré dans ma solitude, découragé, désœuvré, n’ayant le courage de rien faire ! A quoi bon travailler injustement, stérilement. Quelle triste fin d’après-midi. J’ai hâte de dîner et de me coucher et tâcher de dormir pour oublier ma détresse, ma misère ! mon malheur et ma souffrance !

Lundi 21 juillet 1919

8h soir  Beau temps ! rien de saillant. Du monde en quantité, et pour rien, rien à rien ! Je suis découragé, exténué. Je laisse aller maintenant, à quoi bon essayer de remonter le courant. Je suis sûr de l’insuccès d’avance.

Mardi 22 juillet 1919

8h soir  La pluie, temps maussade. Journée fatigante, écrasante. Découragement absolu. La Mort me serait de plus en plus une délivrance. Rien de saillant. Je vis comme un reclus et un forçat.

Mercredi 23 juillet 1919

9h soir  La pluie ! on se croirait au mois d’octobre ou de novembre. Toutes les tristesses nous sont réservées, tristesse des miens, tristesse du ciel. Rien à dire. Madame Mareschal et son fils René viennent vendredi, encore du temps perdu en perspective pour moi, hélas ! Madeleine et les enfants pensent venir aussi ! Tout cela me dérangera bien !!  et je me sens si peu fort maintenant !! Travaillé avec acharnement et stérilement comme toujours ! Causé longuement avec mon greffier du 3ème Canton sur un jugement çà rendre en matière d’inscription sur les listes électorales… ! Question délicate. Je rendrai demain un jugement de remise pour statuer. Demain audience à 2h, en toge, il y a des jugements à rendre. Je suis découragé, désespéré !! Ma vie est si triste et aussi sans espoir ! Quel martyre que le mien et quelle vie misérable.

Jeudi 24 juillet 1919

9h soir  Journée fatigante, surmenante, on ne sait où donner de la tête. Audience. Mariage Simon – Mennesson à la chapelle de la rue du Couchant (Jean Simon (1884-1924), marié le 23 juillet 1919 avec Geneviève Mennesson (1894-1978)). Vu Charles Heidsieck, sa femme et Robert. Audience à 2h. Réquisitions. 2 jugements, Éclaireur/Famelart et un autre. Conciliations, etc… Rentré pour être dérangé continuellement.

Vendredi 25 juillet 1919

11h soir  Journée occupée. Vu Madame Mareschal et René, dîné avec eux ce soir et causé dans leur salle à manger (mon ancienne chambre de Guerre) jusqu’à cette heure-ci. Que de souvenirs rappelés d’il y a 5 ans, que de noms prononcés, que de disparus !! Et que de disparus aux 4 coins de l’horizon. Je viens de revivre ces heures avec toute l’ancienne société rémoise disparue, finie hélas !…

Samedi 26 juillet 1919

9h soir  Temps gris de novembre toute la journée. Quel mois de juillet, on se croirait plutôt en octobre ! Ma femme, Marie-Louise, André, Maurice sont arrivés à midi. Tout est « sens dessus dessous » ! (Rayé) toujours (rayé) jamais fut !! Visite de Massin avec Antoinette sa fille.

Dimanche à jeudi 27, 28, 29, 30, 31 juillet 1919

8h matin  Ma femme, Marie-Louise, André, Maurice sont ici. J’ai forcément négligé ces notes, dérangé continuellement par eux en dehors de mes affaires d’Étude.

Réunion de Chambre mardi, on piétine sur place avec des Études à supprimer. Je ne sais où nous allons. Malheureusement comme toujours les confrères ne voient que leur intérêt particulier sans se préoccuper le moins du monde de l’intérêt général. C’est bien décourageant, surtout quand on voit Béliard qui n’est que le porte-parole de Bigot, de Hanrot, de beaux (rayé), qui, ayant abandonné leur poste et (rayé) durant la Guerre, maintenant qu’il n’y a plus de danger, veulent régenter tout et tous et se poser en redresseur et réformateur de tout. Cela fait hausser des épaules tout en étant fort triste.

Lundi dernier mort de notre Président du Tribunal de Reims, mort subitement. L’enterrement a eu lieu à l’Église St Pierre St Paul d’Épernay (Henri Bouvier est décédé le lundi 28 juillet 1919 à l’âge de 58 ans). J’y ai assisté comme juge de Paix en robe, etc…  avec le Tribunal de Reims. Discours du Procureur de la République Jonc…  qui a déclaré urbi et orbi que le brave Président Bouvier était un…  foudre de Guerre ! Le pauvre Président, qui était la bonté même, un travailleur acharné, a dû se demander si son Procureur ne se moquait pas de lui ! Car son attitude ici à Reims durant les bombardements n’a été rien moins que courageuse ! C’est lui, avec (rayé) et autres froussards de (rayé) n’ont été heureux que lorsqu’ils ont pu enfin se sauver de Reims pour Épernay, puis Sézanne et plus loin si on les avait laissés faire !

Et voilà comment on écrit l’Histoire.

Je n’en regrette pas moins M. Bouvier que j’aimais beaucoup et me le rendait bien. Qu’allons-nous avoir ? Là est la Question. Grave question pour Reims !! qui joue de malheur en voyant disparaitre de plus en plus les hommes qui connaissaient notre situation malheureuse, et pouvaient à la rigueur agir opportunément, tandis que nous allons voir tous les dirigeants n’être composés que d’étrangers, d’hommes nouveaux qui ne connaissent rien de Reims, et qui…  s’en moquent ! Pour eux Reims ne sera qu’un endroit de passage très court pour, sous prétexte que la vie n’y est pas agréable, obtenir de l’avancement rapide et rémunérateur. Là est toute la question pour ces gens-là… Rien de nouveau sous le soleil, hélas !…

Samedi 2 août 1919       

7h soir  Femme et enfants sont repartis, me revoilà seul. Bousculé toute la journée. Contrat Français. Le brave Emile Français toujours aussi bon et délicat aussi. C’est un bon et vrai ami. Puissé-je le conserver longtemps et lui prouver mon amitié en des jours meilleurs et heureux ! Je suis exténué. Demain je ferai ma valise pour partir lundi à Paris.

Dimanche à mercredi 3, 4, 5, 6 août 1919           

8h soir                  Voyage à Paris fatigant, et toujours fort triste pour moi quand je me trouve au milieu de cette foule qui ne songe qu’au plaisir et à jouir, tandis que nous sommes dans la misère, la douleur et les ruines, chose dont elle se soucie fort peu et ne se doute même pas !

Mariage Français (Massin), vu des Rémois dont la moitié ne le sont plus ou si peu ! Rentré ici hier et repris ma vie de paria et de misère. Ce que je désire la mort !

Jeudi 7 août 1919           

7h soir  Fort occupé et ennuyé. Je marche. Je marche comme un somnambule, tellement j’ai la tête en marmelade. Audience à 2h jusqu’à 6h1/4. Réquisitions, conciliations, entente de témoins, etc…  etc… Je suis anéanti.

Dans une réquisition Téroute (Armand Téroute, chaudronnier cuivre (1877-1950)), relevé une perle !! La commission qui éclaire le Monde militaire des réquisitions militaires ! Scrogneugneu à Châlons, a déclaré dans un même état qu’une cisaille de 90 mm valait 53 Francs, et qu’une autre cisaille de 90 mm valait 12,50 dix lignes plus bas, et qui mieux est le prestataire a pu prouver que ces 2 cisailles avaient été achetées par lui en même temps !! Mystère ! des conceptions de cette fameuse commission qui illustre notre département qui ne sait même pas ce que c’est que de la Klingerite (joint d’étanchéité en plomberie), et a la simplicité de demander au prestataire ce que cela peut bien être, et ensuite réduit de 50% le prix demandé !! sans doute parce qu’il n’avait pas compris ! ou pour se venger de son ignorance !! qu’elle a été obligée d’avouer !!

En tout cas l’intendant en a pris pour son rhume !!

Vendredi 8 août 1919   

8h soir  Journée délirante de travail et de découragement. Je n’ai pas encore ouvert mon courrier du matin et du soir !! Non je n’en puis plus. Rien à dire, je ne pourrais pas dire comment ma journée s’est passée ! C’est bien simple.

Lettre de Madeleine qui me dit que Madame Schultz insiste pour qu’elle aille à Vevey. Hélas ! ce n’est pas possible !! sans quoi que je serais heureux que Marie-Louise et Maurice allassent là-bas ! quel repos ! et quel joli voyage ! Et cela leur ferait tant de bien ! mais ce n’est pas chose permise à des Parias martyrs comme nous ! Les voyages et les agréements sont réservés aux…

Le bas de la page a été découpé.

Samedi 9 août 1919       

8h soir  Journée chaude, dérangé continuellement, je suis de plus en plus débordé et découragé. On ne sait où on va ! Madame Mareschal me quitte, elle venait me dire adieu, elle repart aujourd’hui demain à midi. Elle a gracieusement insisté pour que nous allions la voir à La Baule, nous offrant même l’hospitalité. Mais la chère dame ne connait pas notre situation et cette dépense ne peut nous être permise !!

De plus, je n’en ai pas le temps, il me faut travailler durant que les autres se reposent et se distraient. Je ne les envie pas, mais néanmoins c’est bien dur, surtout quand je songe que ma pauvre chère femme et mes enfants seraient si heureux d’aller soit à la mer soit à la montagne se reposer et couler quelques jours heureux après le cataclysme qu’ils ont traversé et toutes les souffrances et angoisses qu’ils ont passés durant 5 ans !! Non ! Tout cela est fort dur et n’est pas juste.

Dimanche 10 août 1919               

9h matin  Journée magnifique d’août, déjà teintée d’un peu de la mélancolie d’automne !! De semblables splendides journées berçantes et mourantes d’automne si prenantes si mélancoliques de ma douce et chère Champagne s’emparent de tout mon être et m’impressionnent à un suprême degré. Toute ma prime jeunesse m’assaille de ses souvenirs et des spectacles indescriptibles de beauté, de charme et de calme grandeur que je contemplais seul, isolé sur mes collines natales d’où je jouissais d’une vue magnifique sur le Mont Hériot, le mont de la Côte des Vignes, de la voie des

Le bas de la page a été découpé en cours de rédaction, le texte se continuant sans rupture.

Vaches, de la Côte des Grands Monts ou du Toit d’Etrain ! Que je De quelque côté que je me tourne, c’était beau, et je respirais toute ma chère patrie d’enfance et toute la Champagne me prenait, m’absorbait…  que de magnifiques levers de soleils ou cochers de soleil ais-je ainsi contemplé du haut de ces collines aimées assis là près de mon fusil et de mon chien somnolent ou vaquant près de moi !!

Tout cela n’est plus ! maintenant pour moi ce n’est plus que tristesses, douleurs, souffrances ! de mon horizon n’est que ruines sur ruines, toujours des ruines dans la « Ville sans ombre ».

8h soir  Journée de travail, de fatigue, abattu 25 ou 30 lettres et je ne suis pas encore au bout, mais du moins je n’ai pas été dérangé ! sorti juste 10 minutes pour porter mes lettres à la Poste de la rue de Vesle, 147, et rentré dans ma cellule.

Le bas de la page a été découpé.

S’endormir toujours !! Cette heure finale me semble bien proche pour moi. Car je n’en puis plus physiquement, moralement !! Souffrir, être torturé comme je le suis depuis 5 ans ! sans une minute de repos ! sans espérance !! on ne peut pas y résister et arrive un moment où l’on tombe écrasé, anéanti, pour ne plus jamais se relever !! Oh ! que la mort me serait une délivrance. Et puis aller dormir mon dernier sommeil sous l’herbe verte, à l’ombre de mon cher clocher, tout près de ma chère maison natale ! Et avoir là être là oublié de tous ! que ce serait bon !

Il y a des limites aux forces humaines !!!

Lundi 11 août 1919        

8h soir  Temps chaud. Nuit chaude. Fort occupé. Rien de saillant. Fatigué, débordé, découragé.

Reçu cet après-midi la visite de Fréville, Receveur des Finances à Reims, qui venait me faire ses adieux…  tristes et touchants !! Il prend sa retraite, bien entendu ! Il y a trop de travail.

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Samedi et dimanche 23 et 24 août 1919              

10h  Je vais partir pour Paris à Midi. Je vais être encore bien fatigué avec cela que je perds réellement le sommeil. Oh ! que je voudrais être mort !

Lundi à mercredi 25, 26, 27 août 1919   

6h soir  Paris, Melun, où j’ai causé chez les de Vroïl, toujours aussi affectueux. Rentré et trouvé comme toujours un monceau de correspondances ! Y arriverai-je ? Loeillot m’est revenu ! Cela me soulagera un peu, mais il me faudrait avoir un caissier. Heckel, mon vieux fidèle que je connaissais depuis 1887 est mort subitement. J’aurais tant aimé que ce fut moi ! Je serais bien débarrassé. A peine rentré il faut que je songe à repartir en Belgique ! j’espère que c’en sera fini avec ces voyages ensuite.

Jeudi 28 août 1919         

6h soir  Rien de bien saillant. Déjeuné avec Charles Heidsieck et sa femme, celle-ci est bien désolée de la mort de son fils Georges. Elle revenait d’Hirson du reste où elle a cherché à retrouver la tombe de son fils, mais inutilement, les allemands ayant nivelé les tombes pour qu’on ne sache pas où ils étaient. Le Curé d’Hirson lui disait que les allemands avaient amenés 500 hommes et que de ce nombre il y en avait 450 qui étaient morts, une 50aine (cinquantaine) de faim et les autres fous !

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Vendredi et samedi 29 et 30 août 1919               

8h soir  Toujours survivre, je ne sais comment je vis. Visite d’une vraie foule. Comment j’y résiste ? Je ne sais.

Lenoir et Marchandeau (Paul Marchandeau, avocat, Maire de Reims, député (1882-1968)) sont venus me voir pour la maison Lagneau, Place d’Erlon 91, qu’ils vont acheter pour l’Éclaireur de l’Est 125 000 Francs. C’est une chance pour cette pauvre femme !! M. Georges Aubert, avocat Général à Bourges, pour la succession de son Père !! Encore un qui en a sur le cœur des officiers !!!

Hier vu André Givelet pour lui demander d’accepter Xavier et Maurice Heidsieck à la Maison St Marceaux (ce sont les fils d’Henri). C’est entendu.

Vu la Supérieure de l’Hôtel-Dieu de Reims, causé longuement. Je dois voir le Père Quantelot pour le retour des Religieuses de Cras ici. Aujourd’hui Bon Pasteur et Visitation pour affaires.

Hier soir vu Lamy, de Liocourt qui venait signer l’acquisition de la dernière ferme des abbés de Liocourt. Je lui avais vendu à Metz en 1903 les autres fermes en terres annexées. Cela m’avait donné l’occasion de voir Guillaume II à l’inauguration du portail de la Cathédrale de Metz !! Que tout cela est loin. J’étais heureux à ce moment.

Le bas de la page a été découpé.

Dimanche 31 août 1919

Surmené. Signature pour la Société des Galeries Rémoises à 9h1/2. 11h réunion avec les habitants de Courcy pour la Coopérative des dommages et de reconstruction de leur village, à 2h signature. Je n’ai pu faire mon courrier seulement qu’à 5h du soir.

Lundi 1er septembre 1919

Beaucoup de monde, toujours surmené. André est arrivé à 12h1/2 pour la semaine travailler à son bachot avec l’abbé Thirion. Il ira du samedi au lundi à St Martin ainsi tout le mois.

Mardi 2 septembre 1919

8h  Hier soir visite de l’abbé Quantelot pour étudier si possible le retour des Sœurs de l’Hôtel-Dieu de Reims que je vais voir en fin de cette semaine en Belgique. Il faut vaincre la résistance de ces braves religieuses qui sont restées très arriérées là-bas, et n’ont pas su l’évolution que celles d’ici ont subie depuis 1906. Elles ne se rendent pas compte des modifications apportées dans l’esprit de l’administration des Hospices de Reims, beaucoup plus conciliante. De la résistance de leur part. Ou après. Et cependant c’est une question de vie ou de mort pour leur ordre. Car si elles restent en deux tronçons comme actuellement, 1 à Roederer et 1 à Cras-Avernas, le recrutement de novices est pour ainsi dire impossible. Tandis que revenues à Reims c’est leur ordre reformé et pouvant se renouveler. Toutes sont très âgées et si dans un délai assez court elles ne reviennent pas à Reims et ne recrutent pas de jeunes éléments, c’est leur disparition complète, et comme ces Augustines sont des ordres purement locaux, elles ne peuvent pas puiser dans les couvents voisins les éléments nouveaux dont elles peuvent avoir besoin. Tandis que si elles acceptent de revenir à Roederer où on leur construirait un petit monastère, elles reprendraient leur service de grands malades et revivraient.

C’est là le but de mon voyage, tâcher de vaincre la résistance à refuser de rentrer avec l’administration des Hospices, et ensuite travailler ici avec Guichard à trouver le moyen de les faire rentrer toutes à Roederer. Puissé-je y réussir.

Mardi 2 septembre 1919

8h soir  Beaucoup de monde. Vu Henri Abelé pour le contrat de mariage de son fils Joseph avec Mlle Arnould, nièce de Duval-Arnould de Paris (Joseph Abelé (1892-1967) épousera à Paris le 28 septembre 1919 Marie-Edmée Arnould (1898-1989)). Vu Dufay-Lamy pour celui de son fils avec la fille d’un médecin de Ste Menehould (Marie-Auguste Dufay (1897-1977) épousera à Paris le 5 novembre 1919 Odette Henriette Alexandrine Bucquet (1898-1991)). A 5h été à la Pompelle avec le fils Veith. C’est à voir. Je ne me figurais pas un tel bouleversement. Et cependant j’en ai vu !!

Mercredi 3 septembre 1919

9h  Rien de nouveau. Je suis un peu au calme, mais combien de temps cela durera-t-il ?

Jeudi 4 septembre 1919

11h  Dérangé tout le temps. Hier l’abbé Andrieux m’apprenait qu’à la Cathédrale on faisait des travaux au dallage, et avant de creuser sous le sous-sol on avait protégé tous les fragments du jubé de la Cathédrale qui avait été démoli par le trop fameux Chanoine Godinot, mon arrière-cousin ! Un vandale s’il en fut. Le brave chanoine est complet !! dans son œuvre, et ayant fait du remblaiement avec ce pauvre jubé qui était unique au monde ! Dans le chœur on trouve quatre tombes d’archevêques intactes avec leur squelette et crosse en main. Ces tombes datent d’avant la construction de la Cathédrale actuelle ! Que je regrette de n’avoir pas le temps de voir tout cela et de l’étudier !! mais cette joie et cette distraction ne m’est pas permise, hélas !! Pauvre Paria ! Ce serait si agréable de fouiller les siècles ainsi avec ces brisures de pierres ou marbrières !

Du vendredi 5 au jeudi 11 septembre 1919

1h  Parti vendredi à Paris. Vu à la Banque de France pour leur projet d’acquisition d’immeubles qui ne marche pas vite, achat des 31, 33, 35, 35, 37 et 39 rue Colbert qui mettrait leur immeuble au carré, mais cette affaire a été mal engagée par le Directeur de Reims M. Gilbrin qui a eu la naïveté de dire que c’était pour la Banque de France !! Alors, on veut nous faire marcher !! Le soir pris le train de Liège à 10h, arrivé le 6 à Cras-Avernas à 11h. Reçu par les Dames Religieuses de l’Hôtel-Dieu, heureuses d’avoir un peu de l’air du Pays natal ! Causé longuement avec la Mère Supérieure Mère Pauline (Marie Loignet) de l’éventualité de leur retour à Reims !! Je crois que j’ai fortement ébranlé leur résistance à rentrer ici avec l’administration des Hospices. En tout cas j’ai carte blanche pour en causer à Guichard vice-Président des Hospices… Passé le dimanche avec elles. Reparti le lundi 8 à Liège pour faire viser mon passeport au Consulat de France, et pour me renseigner sur différentes questions, locations de coffres-forts, ouvertures, etc… Dommages de Guerre, etc…

Liège est une bien belle ville de 150 000 habitants très animée ! Du reste elle n’a nullement souffert et elle n’a qu’à retravailler !! En résumé de tout ce que j’ai entendu là-bas ! Les Belges ont peu ou prou soufferts de l’occupation à de rares exemples près tels que Tamines, Andenne, Dinant, Namur, Liège, il n’y a que les forts !

Joli vue de liège du Parc de la Comète, quelques monuments et églises intéressants, St Jacques, St Martin, St Barthélemy avec ses fonds baptismaux en cuivre entourés de têtes de bœufs bien finement repoussées ! Reparti le mardi soir à 10h, arrivé à Paris. Le mercredi à 10h j’ai repris le train pour ici à 2h. Trouvé un monceau de lettres ! Je suis bien las !! découragé !!

Du vendredi au dimanche 14 septembre 1919

9h soir  Journée de travail aujourd’hui aussi pour rattraper mon retard. Messe à 8h. Fête du souvenir à 10h. Je n’y suis pas allé, qu’y serais-je allé faire !! me montrer ? à quoi bon ! ne dois-je pas retomber dans l’oubli des humbles ! Houlon que j’ai vu tout à l’heure, en allant aux Hospices, me l’a reproché, me disant que j’aurais dû venir. Je lui ai dit ma pensée !! Il prétend le contraire, que je devrais me produire ?!! à quoi bon !! Causé longuement avec lui. Je verrai demain le compte-rendu des journaux !

En le quittant je suis allé voir Mère Sainte Thérèse chez les religieuses de l’Hôtel-Dieu lui rendre compte de mon voyage à Cras et le résultat obtenu ! Elles en ont paru heureuses et touchées. Maintenant il s’agit d’entamer l’affaire avec les Hospices, Guichard, etc… Y réussirai-je ??? Je ne sais, mais je tâcherai !! Ce sera la réparation de l’iniquité de leur expulsion par les Arnould, Viet, Louvet, etc…  etc…  il y a 15 ans.

Demain je vais au mariage de mon clerc Loeillot à Aÿ… Encore du temps perdu !! mais je lui dois bien cela !

Toujours aussi découragé ! Journée triste et morne !! Pluie diluvienne toute l’après-midi.

Du lundi au mercredi 17 septembre 1919

6h soir  Journée de surmenage et d’exténuation. Hier 70 à 79 personnes reçues ! Je n’en puis plus. De plus Dufay mon propriétaire me dit qu’un des locataires de la maison que j’ai louée, 49, rue Clovis, réclame son appartement. Est-ce que je vais être contraint de m’en aller !! Alors autant abandonner tout !! J’aurais eu toutes les misères !! Quelle vie misérable !! Quand donc la Mort viendra-t-elle me délivrer !!

Un beau procédé du fisc et de la régie. Elle a ramené, en fait ramassé dans les décombres les registres des carnets des camionneurs de brasseurs ayant effectué des livraisons dans les débits et elle a trouvé élégant de relever des amendes de timbres sur chaque livraison au comptant !!! Coût pour l’un d’eux, Veith, 56 000 Francs d’amende !! C’est odieux !! Ce n’est pas cela qui apaisera les masses !!

Jeudi 18 septembre 1919

6h soir  Rien de bien saillant. Audience de justice de Paix assez courte, un jugement, 3 enquêtes sur des accidents du travail qui demandent toujours beaucoup de temps. Jean est arrivé vers midi, il est libéré, que va-t-il devenir, ainsi que son frère ?! Je suis de plus en plus fatigué et le sommeil me quitte une partie de la nuit. Mes insomnies sont pénibles, très pénibles !! J’aimerai bien mieux que la Mort me délivre tout de suite. J’ai la tête excessivement fatiguée.

Vendredi 19 septembre 1919

9h matin  Toujours peu de sommeil, je suis en somnolence continuelle. Quelle vie pénible et douloureuse j’ai.

8h1/2 soir  Ma femme, Jean, Marie-Louise, André, Maurice sont ici, arrivés de ce matin. Robert est resté seul à St Martin. Remue-ménage, tout sens dessus dessous, comme toujours. Adieu l’ordre que j’avais établi !! sans compter les jabotages, les criailleries, etc…  etc… Je suis très fatigué, très abattu… Ce n’est pas cette invasion qui me donnera du repos, hélas !!

Samedi 20 septembre 1919

7h soir  Temps assez froid, beau cependant. Journée de travail et de visite de clients, ou autres. Pas sorti de la journée. A 2h je voulais être à la Maison de Retraite, mais à 6h j’étais encore retenu, Charles Abelé, Mme Changeux, Pierre Givelet, Loury, etc… Rien d’autre de saillant, n’étant pas sorti et n’ayant rien appris. De plus j’ai la tête tellement « farcie » de ce que j’ai entendu dans la journée que je ne puis me souvenir de rien.

 

 

Dimanche 21 septembre 1919

9h1/2  Pluie battante, et trombe. Jean vient de nous quitter pour retourner à St Martin. Avant de partir, il me disait qu’il avait voyagé avec le Maire du Cateau, M. Picart (M. Albert Boulogne était Maire du Cateau-Cambrésis de 1914 à 1919), qui lui avait conté que durant l’occupation allemande dans sa commune, Walter de Mumm, frère de G.H. de Mumm, de Reims, major dans l’armée allemande, avait cambriolé, en sa présence lui Picart comme Maire, tous les coffres des Banques du Cateau, et notamment de la Banque de France et emporté le contenu. Comme Walter de Mumm demandait à M. Picart d’apposer sa signature sur les procès-verbaux de bris de ces coffres, celui-ci s’y refusa et protesta contre ces procédés peu…  délicats, or de Mumm lui répondit ces mots lapidaires : « Les officiers allemands ont le droit de tout faire !! » Même de voler ??… ! Cela définit bien la brute qu’était ce Walter qui à Sapicourt un jour de chasse voulait tirer sur son porteur parce que celui-ci lui avait fait manquer un faisan, prétendait-il ! Je crois plutôt que c’était son état d’ébriété qui le lui avait fait manquer !

Lundi et mardi 22 et 23 septembre 1919

6h soir  Beau le matin, pluie le soir. Pas sorti. Mariage de la fille Houlon avec un Bourgeois, à la chapelle de la rue du Couchant (Geneviève Houlon (1893-1984) et René Bourgeois (1889-1966)). Du monde comme toujours, je suis exténué, et de plus j’ai la migraine. Je m’use à ne pas sortir, et avec cela une grande et profonde tristesse, et un découragement sans borne.

Les deux feuilles suivantes ont été supprimées.

Dimanche 12 octobre 1919

6h soir  Seul ! Journée triste ! Je souffre tant moralement et de tant de soucis ! A 8h messe rue du Couchant. A 11h1/2 signature du contrat Dufay-Bucquet. Déjeuner au Grand Hôtel, en plus de M. et Mmes Dufay et Bucquet, Mme Lamy (Jeanne Camuset (1853-1930), veuve de l’architecte Pierre-Edouard Lamy (1845-1914)), les 2 fiancés. Il y avait l’abbé Dage, un parent de Dufay, c’est lui qui joue si joliment du violon tous les soirs, et non Dufay qui ne fait que l’accompagner. Ce jeune homme a fait toute la Guerre à Bruxelles. Il me disait n’avoir pas trop souffert, si ce n’est moralement ! à 2h je suis rentré travailler. Porté mes lettres à la Gare, repris chez Grossel une montre des enfants qui était en réparation depuis 1914. Vu les parents D’Hesse est rentré ici. Souffrir. Je vais faire mon dîner, un œuf à la coque et un peu de jambon ! Je me coucherai ensuite, tâchant de dormir !! un peu !! Triste existence que la mienne !! Sacrifices continuels ! sans répit !! Et aucun repos ni satisfaction !! Pauvre paria que je suis !

Lundi 13 octobre 1919

6h soir  Pluie. Journée triste et de découragement. Je crains bien que Faupin que j’ai pris comme comptable ne puisse faire mon affaire. Tous ces à-coups me lassent, me tuent.

Du mardi au jeudi 16 octobre 1919

6h soir  Voici la Paix signée ! Puisse-t-elle durer longtemps, et n‘être pas une paix boiteuse, comme je le crains anxieusement !! au milieu de toutes mes souffrances !! Ce mot de Paix ! ne m’a fait nullement tressaillir, ne m’a donné nulle joie !! Pour moi et nous tous ici ce n’est pas la cessation de nos misères, hélas !! Ne finiront-elles jamais, je suis si las !! Ma femme, Marie-Louise, Maurice sont ici !! Pauvres chers aimés !! quelle vie pour eux !! moi souffrir ! passe encore !! mais eux !! André est à Châlons où il passe son écrit de latin et oraux ! Puisse-t-il réussir !! je suis tellement malheureux, je me sens tellement misérable ! que je n’espère plus l’ombre d’une satisfaction !!

Du vendredi au lundi 20 octobre 1919

6h soir  Rien de bien saillant. Je suis toujours pris d’une douleur au genou et je ne puis sortir, je mène une vie de reclus ! Marie-Louise, André, Maurice sont restés avec moi. Ma femme est à St Martin finir d’organiser ce pauvre St Martin, qui va être abandonné !! Tout cela me brise le cœur. Aussi mon découragement continue !! et ma tristesse augmente toujours ! Quelle angoisse ! Je n’ai de goût à rien ! Je souffre trop ! J’ai trop souffert !

Mardi 21 octobre 1919

6h soir  Journée sans événement. Pas sorti, toujours cloué par mon genou. Et il me faudra aller à Soissons lundi et mercredi, tournée d’inspection. Enfin j’irai jusqu’au bout.

Mercredi et jeudi 22 et 23 octobre 1919

6h soir  Rien de nouveau, du surmenage. Audience cet après-midi, rien d’extraordinaire. Toujours découragé.

Vendredi 24 octobre 1919

7h soir  Rien de saillant. Vu le Maire (le Docteur Langlet), causé politique avec lui. Il m’a déclaré ne vouloir plus se représenter. Il ne sait rien des futures élections municipales. Il dit qu’on est encore à se « flairer » si on sera cadavre ou non ! Pour les députés de Mun s’abstient, c’est ce qu’il a de mieux à faire. Forgeot est discuté (Pierre Forgeot, député de la Marne, Ministre des Travaux Publics (1888-1956)), quant à Lenoir il se représente, c’est tout ce qu’il sait. Toujours fort aimable avec moi, après tout c’est un brave homme qu’on a trop critiqué !

Vu Fernand Laval qui, sur le conseil de spécialistes, me disait que la première école d’électrochimie était Zurich, mais les cours sont faits en allemand, ensuite viennent Genève et Mulhouse, cette dernière désorganisée à cause du retour de l’Alsace à la France, tous les professeurs allemands étant partis, Paris et Nancy, Lyon après. Il faut compter 2 ans au moins plutôt 3 ans d’école.

Samedi 25 octobre 1919

8h soir  Journée assez occupée. Réalisation de la vente à l’Eclaireur de la Marne de la maison de Madame Lagneau 95 place d’Erlon, 120 000 Francs. Causé des élections avec Marchandeau le directeur. Lenoir sera renommé, de Mun se retire, c’est ce qu’il fait de mieux. Forgeot est sur le tremplin. Sénateurs les mêmes. Léon Bourgeois, Vallé, Montfeuillart. Quant aux élections municipales, il croit à une entente entre les socialistes et les radicaux.

Autre son de cloche, ce soir Houlon est venu me voir et causer des élections municipales. Il a vu Denis qui lui a dit que la combinaison avec Houlon comme maire ne marchait plus, les socialistes se voient obligés de fusionner avec l’Eclaireur, les radicaux alors ont accepté Houlon, mais avec défense de le nommer maire ou adjoint !! Ce serait Émile Charbonneaux !! (Rayé).

La moitié de la page a été découpée.

Dimanche 26 octobre 1919

4h  journée fastidieuse, comme tous les dimanches. Robert nous arrive à 1h avec des bagages. Sa mère l’envoie ici pour cela, et me faire signer 2 feuilles de réquisitions qu’elle aurait pu parfaitement m’envoyer par la Poste !! quelle nervosité !! hélas ! et pas prête de finir ! Cela n’est pas sans m’inquiéter. Il fait froid et le temps à l’air de tourner à la neige !! Tout cela m’attriste, me fait froid au cœur ! et à l’âme ! quelle triste existence que la mienne ! quel hiver à passer ! oh si seulement la mort venait me délivrer !

Demain j’irai à Soissons, encore une corvée !! Tout s’enchaine, tout s’emmêle ! Vie de Paria ! quelle agonie !

Lundi et mardi 27 et 28 octobre 1919

6h soir  Eté hier à Soissons, une vraie expédition, mis 5h1/2 pour rentrer le soir à 10h !! fait mon inspection chez Ferté.

La moitié de la page a été découpée.

Mercredi 29 octobre 1919

Nous déjeunons plutôt mal que bien dans un bistrot de Rilly, et de là vers 1h nous filons sur Ville-Dommange. Inspectons Dupuy, et nous nous dirigeons vers Ville-en-Tardenois. Sur toute la route des ruines. Bouilly, Courmas, Bligny au loin Clairizet Saint Euphraise, des ruines, quelques tombes. Un cimetière italien au Mont Renaud. Voilà Ville-en-Tardenois fort démoli. Nous descendons chez Colin qui a sa maison à peu près intacte. Je serre la main en courant à mon vieux collègue Legrand, juge de Paix du canton de Ville-en-Tardenois. Toujours le même ! surtout fort heureux de son ruban ! Nous revenons par Pargny, et arrivons ici à 4h1/2. Lettre de (rayé) !! (Rayé) essayer (rayé) ! La pauvre (rayé) être bien découragée !! Il y a de quoi ! La fatalité continue à nous accabler ! C’est dans l’ordre des choses. La réussite n’est réservée qu’à la fripouille ! Aussi à quoi bon vouloir remonter le courant !! Ce serait peine inutile. Je laisse aller, ne désirant qu’une chose, Mourir !… Ce sera la délivrance !! (Rayé) ! Quelle misère noire !! C’est beau de faire son devoir !! Dieu se charge de vous en récompenser en vous…  étranglant naturellement !! Ceux qui se sacrifient sont si peu intéressants pour lui !!

Jeudi et vendredi 30 et 31 octobre 1919

6h  Journée monotone, triste, je suis si délabré, ma misère accroit de plus en plus au lieu de diminuer. Je suis désespéré, souffrir, toujours souffrir sans espoir !! Demain je vais aller à St Martin. Encore 2 jours bien douloureux à passer !! Ce sera le cruel déchirement de laisser la maison paternelle à l’abandon ! Foyer solitaire, abandonné, qui ne reverra plus jamais les jours joyeux et sans souci d’antan !! Quelle agonie, Mon Dieu !!

Du samedi au mardi 4 novembre 1919

6h soir  Eté à St Martin. Triste pèlerinage. Jean va sans doute aller à Bordeaux dans une école de Chimie dont M. Dubourg est directeur (Jean Victor Élysée Dubourg, né en 1853), c’est le mari de Jeanne Amigues (Marie-Charlotte Amigues (1871-1946)) que j’ai fait danser combien de fois ici à Reims avant mon mariage !! Je ne rêvais me doutais guère à cette époque la vie malheureuse que j’aurai actuellement !! Fatalité !! André est reparti à Tours dans son collège St Grégoire de Marmoutier (Collège de Jésuites fondé en 1872, l’internat a été fermé en 2015). Robert est parti à Angers. Neige le 1er novembre et le 2 je suis revenu par une vraie tempête. Il y a longtemps que je n’ai vu de la neige à cette date. Nous gelons ici. Nous sommes malheureux ! C’est la Justice !!! Les lâches s’amusent et s’engraissent !

Rien d’autre ! la souffrance morale et physique. Parias !!

Mercredi et jeudi 5 et 6 novembre 1919

6h soir  La pluie battante, triste, persistante. Rien de saillant. Audience, une de mes dernières sans doute, puisque j’ai un successeur pour les 1er et 3ème Cantons, M. Charpentier, juge de Paix à Bourgoin (Isère). Bon débarras. Vu les de Vroïl ce soir, toujours fort affectueux. Elle fort gracieuse, elle m’aime bien, la charmante Baronne ! Causé longuement… Je les reverrai avant leur départ.

Du vendredi au dimanche 9 novembre 1919

10h matin  Jour de pluie, de tristesse et de labeur ! oh ! que je suis las ! de plus en plus las !! C’est un vrai dégout de la vie. J’aspire après la mort. Les de Vroïl, repartis d’hier, toujours aussi bons et affectueux ! Aujourd’hui contrat à 11h1/2 de Melle Ronsin avec un M. Dombey, officier, lieutenant de Hussards (Edouard Charles Antoine Dombey (1892-1940), mort pour la France le 1er juin 1940 à Dunkerque, épouse le 11 novembre 1919 Suzanne Adèle Lucie Marie Roncin (1895-1978)). A la sortie de la messe de 8h vu Houlon et Leduc, du Courrier de la Champagne, qui sont navrés des élections où les conservateurs et les gens de cœur de tous partis seront exclus. C’est la disparition du parti catholique à Reims ! Tant pis ! Leduc et Houlon croient maintenant qu’Emile Charbonneaux sera très discuté, et pas Maire. Quant à de Bruignac, il est coulé d’avance. Voilà…  après tout ! cela m’indiffère quand je sens souffrir et souffrir près de moi les miens !! qui sont dans la misère ! Parias va !!

Lundi 10 novembre 1919

6h soir  Pluie diluvienne ! Nous sommes sans bois par suite sans chauffage avant 2 ou 3 jours, je suis las de la vie ! oh ! si je pouvais m’en aller d’ici !! Demain Assemblée Générale de novembre pour les Notaires de notre arrondissement. Rapport sur les comptabilités, et puis rien d’intéressant, des palabres sans résultat. Tout cela m’est indifférent… Ce ne peut être pour moi que misères sur misères !…

Du mardi au jeudi 13 novembre 1919

5h soir  Froid glacial, neige, je grelotte du matin au soir. Je souffre. Audience cet après-midi. Rien d’extraordinaire, j’espère après l’arrivée de mon dernier successeur en justice de Paix. Je vais demain à Paris pour élaborer le testament de Mme Heidelberger, belle-mère d’Henri Heidsieck. Une corvée et une perte de temps. Je rentrerai samedi matin. Toujours las, découragé.

Vendredi et samedi 14 et 15 novembre 1919

6h soir  Voyage à Paris fatigant, par la neige. Rentré ce matin et débordé, fatigué, découragé. André Givelet me téléphone que Mme Charles Arnould est morte. Voilà encore la Maison « Veuve Marceaux » en litige, gare les prévacs (prévaricateurs) etc… Enfin on verra.

Du dimanche au mardi 18 novembre 1919

6h soir  Dégel, gâchis, ma femme rentre et tâche de s’organiser. Cet après-midi j’ai reçu une lettre circulaire de l’Action Libérale me demandant mon nom, le cas échéant, pour figurer sur sa liste. Je n’ai rien pou faire autrement que d’accepter, mais en réservant toute ma liberté et mon indépendance d’action, car je ne tiens pas à me lier avec la plupart des rétrogrades tels que les Mennesson, Demaison et autres, qui sont toujours à côté de la question et qui voudraient toujours être intransigeants et sectaires dans leur gloire !! Pourvu que nous n’ayons pas Charbonneaux comme Maire, ce serait la dictature.

 

Du mercredi au lundi 24 novembre 1919

6h soir  (Rayé) est revenu (rayé). Or comme il n’était pas de la région, c’est (rayé). C’est bien (rayé) !! cela ! Il va suivre sa (rayé). J’aime autant cela !

Eté à Perthes. Revu ce cher village, dont la vue m’a remué de souvenirs d’enfance ! Tout cela est passé, fini ! J’ai vendu mes coupes 18 000 francs, c’est un bon prix, 12 Francs le décastère de bois blancs et 15 Francs le décastère de bois durs ! Rentré ce matin à midi, surmené. Je suis toujours fort triste et las ! Les élections se mijotent, les Radicaux forment une liste avec les Unifiés, 20 sièges pour les 1ers, et 16 pour les 2ds. Bref plus de conservateurs, progressistes, etc…  si cette liste radicale passe ! C’est la fin de Reims.

Du mardi au jeudi 27 novembre 1919

8h matin  Hier journée fort occupée, avec Houlon, Honoré, Bienvenüe, nous avons mis au point la liste des « As » que Bienvenüe va jeter dans les jambes des Radicaux et unifiés pour tâcher d’obtenir un ballotage. En effet les voix que le « Rémois » obtiendra seront enlevées aux Radicaux et Socialistes et non aux Modérés. Il faut 7 à 800 voix pour arriver à ce résultat, et nous espérons y arriver. La manœuvre n’est pas banale. Et Barot, de l’Action Libérale, la trouvée parfaite. Réussira-t-elle ? En tout cas nous aurons essayé de mettre en échec cette bande de sectaires et fuyards des Radicaux intransigeants.

Dîné au Cercle, Olry-Roederer, de Mun, de Caraman-Chimay, Docteur Roussel, Georget, etc…  etc… De belles huitres qui se croient des aigles !! singulier monde qui se croit d’une autre essence et au-dessus des autres, quand ils ne sont que (rayé).

Les listes du Courrier de la Champagne et de l’Indépendant réunis et des Rémois doivent paraître ce matin. Gare les…  enguirlandements !! Heureusement que çà ne durera que 3 jours !

5h1/2 soir  C’en est fini ! le juge de Paix de Guerre des 4 cantons de Reims n’est plus… !! Paix à ses cendres ! J’ai installé tout à l’heure M. Charpentier, juge de Paix des 1er et 3ème Cantons de Reims, et à 4h1/2 tout était fini.

Encore un fait de Guerre passé à l’état de souvenir !! Je regrette cette vie de Guerre !! J’étais moins malheureux qu’actuellement. Du moins j’avais l’espoir d’être tué et débarrassé de ma misérable existence !

Vendredi 28 novembre 1919

9h soir  Rien de bien saillant. Honoré et Houlon ce soir, qui n’avaient rien à m’apprendre. Honoré nous a apporté l’affiche de Bienvenüe, elle est bien et mordante, mais il y a du nerf ! Demain je préparer mes oreilles pour tinter !! Le clan ploutocrate repu vil me traîne dans le ruisseau, mais lundi si je réussis avec Houlon tous ces ploutocrates me lècheront les bottes. C’est la règle chez ces gens-là ! En tout cas cela rabattra un peu leur faconde !

Samedi 29 novembre 1919

6h soir  On parle beaucoup des élections. Les affiches de l’Eclaireur et du Rémois sont apposées. Il n’y a que celles de l’Indépendant et du Courrier de la Champagne qui ne sont pas apposées, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?… Cela nous intrigue, Houlon et moi ! Est-ce un éreintement pour nous deux ?? Je ne sais ? mais pour mon compte cela m’inquiète beaucoup ! J’ai si peu de chances et les épreuves s’accumulent sur moi. Pauvre Paria ! ce serait la fin de tout pour moi !! j’ai toujours été écrasé !! Et cependant j’aurais besoin d’une victoire et montrer la générosité de mon geste, de notre geste à tous deux, qui s’il réussit devra sauver notre parti.

Dimanche 30 novembre 1919

5h soir  Il fait froid et beau. Ce matin, été voter. Personne à 8h1/2 / 9 heures. Vu Lelarge, Charbonneaux qui m’a à peine salué, cela ne m’étonne . Il changera peut-être d’attitude demain. Eté à la messe de 8h1/2 à St Jacques (rue Henri Delacroix). Pas de listes de noms de candidats du Courrier et de l’Indépendant d’affichées !! C’est peut-être une manœuvre du citoyen Charbonneaux !! que peut-il bien mijoter pour le ballotage ! cet être-là !!… Enfin on verra. Poussé jusqu’à la rue des Orphelins voir Houlon qui est rayonnant ! Il n’y a pas de quoi !! Franchement si ce n’était par dévouement que j’ai accepté d’être sur les rangs, je me retirerais bien car toutes ces compétitions etc…  me dégouttent au suprême degré. Rentré chez moi à 10h et plus sorti. Irai-je faire un tour voir l’aspect du dépouillement. Cela ne me tente guère.

Travaillé toute l’après-midi pour moi. Je suis plutôt fatigué et j’ai froid !…

Lundi 1er décembre 1919

6h soir  Il fait froid. Le résultat des élections est connu. Les Radicaux tiennent la tête de beaucoup, mais il y a tout de même ballotage. J’ai 3571 voix et arrive 4ème sur notre liste, Houlon 1er avec 3 700 voix, Censier 3626, Rohart 3617. Emile Charbonneaux (2948 voix), et de Bruignac 2494 voix ramassent la pelle ! (Rayé). C’est dimanche qu’on recommence, on parle d’une proportionnelle. Enfin on verra, je voudrais bien que cela fut fini. Certes toute cette cuisine plus ou moins propre ne me raccommode pas avec la Politique ! Ah ! non ! alors ! C’est ce brave Houlon qui a voulu que je passe ! mais certes j’aurais préféré ne pas passer. Lui aussi cela ! moi ! cela m’écœure ! Enfin si la mort venait, je serais bien aise de la recevoir… Dieu sait.

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Profondément. Ils crient après les sorciers de vouloir sacrifier tout pour leurs idées. Et Eux donc ?!!! Rentré chez moi dégoutté ! avec la certitude que pas un de nous passera, et nous aurons donné nos voix aux Radicaux-Socialistes qui n’en veulent pas et ne veulent pas de proportionnelle. Ces gens-là sont idiots à force d’être orgueilleux !…  et dictateurs !!… Triste ! Triste !… Pauvre Reims !!… Mon Dieu que la vie est triste ! Quand donc serai-je sous l’herbe verte dormant mon dernier sommeil !…

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Dimanche 7 décembre 1919

7h soir  Je rentre de l’Ecole maternelle de la rue Libergier où j’ai présidé le scrutin de 3h à 6h du soir à la place du Docteur Langlet. 507 votants, contre 579 dimanche dernier. On dépouille le scrutin en ce moment. Ceci m’intéresse peu ! car je suis sûr que les Radicaux-Socialistes vont l’emporter haut la main !! C’est fatal ! le contraire me surprendrait beaucoup ! après tout, je serais enchanté de n’être pas élu ! Car être en lutte continuellement avec ces énergumènes ne me sourit nullement.

Lundi 8 décembre 1919

1h1/2 soir  C’est fini, nous sommes battus à plates-coutures ! à une majorité écrasante pour certains radicaux et socialistes à cause de nos voix !! Et voilà la belle politique de Charbonneaux, de Bruignac et Cie !! Leur responsabilité est lourde ! Puissent-ils ne pas s’en repentir !! s’il leur arrive malheur tant pis pour eux ! Ils ne l’auront pas volé !! Je m’y attendais, du reste !! et au fond n’en suis pas fâché, car je ne sais trop comment nous aurions pu agir avec ces sectaires du radicalisme !! J’arrive 3ème sur notre liste avec 2 651 voix contre 2 723 à Houlon et 2 656 à Rohart. Je n’ai donc rien à regretter, je tombe en beau rang. Pauvre Reims ! Pauvre Ville !

Du mardi au jeudi 11 décembre 1919

6h soir  Eté à Paris le 9 voir à la Chancellerie avec Jolivet et Béliard pour la suppression de la 1/2 des Etudes de Reims et prendre la marche à suivre. Rentré hier à 11h du matin où une bien bonne m’attendait !! A peine arrivé ma chère femme me dit que de Bruignac était venu la voir pour lui dire qu’il venait me demander d’accepter de poser ma candidature comme Conseiller d’arrondissement au 1er Canton de Reims !! et qu’il attendait ma réponse avant midi. Je saute au téléphone pour demander à l’Indépendant Rémois l’adresse de de Bruignac, et j’explique à Turon le rédacteur en chef pour qu’il me donne cette adresse, et il me dit qu’il ne voit pas la nécessité que je me dérange, attendu que les affiches sont prêtes, ainsi que ma proclamation de foi etc… !! Jugez de mon ahurissement !! Je l’entends se tordre de rire au bout du fil !! Et il me dit : « J’espère bien que vous acceptez, du reste l’Indépendant annonce ce matin votre candidature officielle !! »

Bref ! ce n’est plus le « Médecin malgré lui » mais le « Candidat malgré lui, ou sans le savoir ! » Elle est plutôt cocasse !! Et voilà comment je risque d’être nommé Conseiller d’arrondissement sans qu’on ait même demandé mon avis !!…

Aujourd’hui rien de nouveau. Beaucoup de monde !

Samedi 13 décembre 1919

6h soir  Il fait froid et nous souffrons du froid. Rien de très saillant ! On distribue force bulletins de vote et force professions de foi ! quel battage ! et pourquoi ? rien ou de nouvelles défaites. J’avoue que cela me laisse bien indifférent ! Ma profession de fois n’est pas mal ! Je puis dire cela puisque ce n’est pas moi qui l’ai faite, mais M. de Bruignac !!! J’aime autant cela. C’est l’avis d’un tiers, ce qui vaut toujours mieux que de moi quand il s’agit de soi-même. Demain il y aura forcément ballotage ! mais je serai à peu près fixé sur ma défaite ou non. Bon débarras quand cela sera fini !

Dimanche 14 décembre 1919

6h soir  Du brouillard froid. Travaillé toute la journée. Messe à la Chapelle St Jacques rue Henri Delacroix, été voté. Roche, le nouveau Maire, présidait le bureau (Charles Roche, Industriel, Maire de Reims de 1919 à 1925(1880-1953)). Sorti le soir prendre l’heure à la Gare, et été voir Houlon. Causé des événements. Il a toujours grande confiance pour moi au 1er Canton, et moins pour lui au 2ème Canton. Je le regrette de plus en plus. J’aurais mieux aimé qu’il restât au 1er Canton où il aurait été sûrement élu, plus sûrement que moi.

Lundi 15 décembre 1919

8h soir  Du brouillard froid, très froid. Rien de nouveau. J’ai des chances de passer dimanche, ayant 627 voix contre 403 à Lhermitte, mon adversaire, soit 224 voix de plus que lui…  et il est probable que les réfugiés m’en donneront encore quelques-unes de plus… Il n’en n’est pas de même de Rohart au Conseil Général mon collègue du 1er Canton, qui n’a que 22 voix de plus que Chevrier (Docteur Henri Chevrier, conseiller municipal (1862-1920)) !! Pas plus que ce pauvre ami Gustave Houlon qui est battu pour 662 voix à Knoëri (Docteur Jean Knoëri, conseiller municipal (1857-1923)) contre 434 à lui !! 228 voix de plus. Cela me peine énormément pour Houlon, qui aurait dû briguer le siège de Conseiller Général du 1er Canton à la place de Rohart. Tout cela n’est pas gai, d’autant que je crois que je serai le seul de mon bord au milieu des 10 ou 12 conseillers de l’arrondissement !!!… Et rien à faire.

Journée fatigante, du monde continuellement, sans cesser, ni discontinuer.

Mardi 16 décembre 1919

8h soir  La pluie, la boue… Fait avec Rohart notre profession de foi avec remerciements pour dimanche. Nous avons décidé d’aller à Bezannes, Tinqueux, Ormes, Thillois, Rohart et moi en tournée électorale samedi après-midi. Je vais tâcher de repêcher Rohart qui est assez serré de près par son adversaire Chevrier. Demain j’irai à la Chambre de Commerce pour la reconstruction de Reims, vendredi et samedi matin à Charleville. Ce n’est pas cela qui m’avancera dans mon retard. Et je suis si las !!

Mercredi et jeudi 17 et 18 décembre 1919

6h soir  Brouillard, humidité, froid. Rien de neuf. Vu Chezel (Clovis Chezel, adjoint au Maire (1862-1941)) et parlé d’obtenir une salle un jour par semaine à l’Hôtel de Ville rue des Augustins pour faire mes adjudications. Il m’a promis d’en parler au Maire, et il est entendu que j’irai voir Roche avec lui lundi à 5h.

Demain je pars à Charleville avec Charles Heidsieck. Samedi après-midi tournée électorale avec Rohart, et mardi je viens de prendre rendez-vous avec la Banque de France pour aller à Paris causer avec elle. Encore du temps bien perdu. Ce n’est pas cela qui m’avancera.

Je suis fort découragé, toujours. Je ne passe pas une journée sans pleurer en silence !

Vendredi et samedi 19 et 20 décembre 1919

7h soir  Parti avec Charles Heidsieck à Charleville hier à 11h du matin après avoir déjeuné au Buffet avec lui et son frère Henry, arrivé à Charleville vers 3h1/2 du soir. Le train traverse la Meuse maintenant et les remparts, ce qui économise 1h du trajet que l’on faisait il y a 3 mois pour contourner la boucle de la Meuse et arriver au nord à la Gare par Warcq, au lieu d’y arriver directement par le sud. Vu Laurent. Pluie torrentielle ! Le soir par une nuit opaque je me trompe de chemin pour entrer au Buffet dîner à 7 heures. Je prends le couloir de la Buvette non éclairé et je tombe dans le vide, roulant sur 18 ou 20 marches de la cave dont la porte était laissée ouverte. J’ai cru que j’étais tué. Heureusement que quelques contusions aux reins, mais je devais me casser la tête. Après une assez mauvaise nuit, nous repartons ce matin à 7h15 pour arriver à Reims à 11h3/4. Déjeuné rapidement et parti à 2h avec Rohart en automobile conduite par son fils faire notre tournée électorale à Bezannes, Ormes, Thillois, Tinqueux, La Haubette, et rentré à 5h. Réceptions cordiales et affectueuses de tous les gens (moins en ville) que nous visitons. Du reste je les connais tous. Je crois que j’ai donné un bon coup d’épaule à Rohart. Attendons demain !

Avec le vote des Réfugiés, Rohart arrive avec 600 voix contre 545 à Chevrier, soit 55 voix de majorité. Moi avec 690 contre 428 à Lhermitte, soit 262 voix de majorité.

Nous aurons demain les résultats définitifs.

Dimanche 21 décembre 1919

2h1/2  Temps gris, triste comme moi-même. Tâché de me reposer ce matin, mais ma chute me fait souffrir. Je ne suis nullement à mon aise ! Eté voter. Revu très froidement Chevrier…

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Lundi 22 décembre 1919

6h soir  Temps qui tourne au froid. Rien de saillant. Vu le maire et vu les adjoints Knoëri, Chezel, Laurent, de belles huitres, pour une salle d’adjudication pour les notaires de Reims. Ils m’offrent une salle, rue des Augustins, mais auparavant je dois voir le Président pour voir si je ne pourrais pas avoir la salle de justice de Paix du Palais de Justice. Je pars demain à Paris, 6h45, voyage toujours fatigant.

Mardi et mercredi 23 et 24 décembre 1919

6h soir  Voyage à Paris, fatigant, rien de saillant, fait toutes mes courses. Rentré fourbu ce matin. Je suis brisé après la brisure morale, la brisure physique ! je souffre encore beaucoup de ma chute. Il aurait mieux valu que je fusse tué. Ma misère serait terminée.

Toujours pas encore le résultat des élections des émigrés, et je reçois déjà des félicitations !! (Rayé) et douloureuse fête ! hélas…

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Jeudi 25 décembre 1919

6h soir  Pluie, vent, tempête. Eté à la messe d’inauguration de la Petite Cathédrale dans la Grande Cathédrale, qui englobe tout le transept nord, la chapelle de la Sainte Vierge et les deux suivantes dont la dernière sert de sacristie. Un maître-autel est dressé, adossé à la séparation de la sacristie, contre le mur qui prolonge le mur de droite en regardant la première chapelle qui suit celle de la Vierge. Beaucoup de monde officiel, le Docteur Langlet ancien maire, le nouveau n’y était pas, Emile Charbonneaux, de Bruignac, Charles Heidsieck, Bertrand de Mun (Directeur de la Maison Clicquot-Ponsardin (1870-1963)), Jonc, Procureur de la République, Pol Léon, Directeur des Beaux-Arts, Lefevre-Pontalis, Président de notre société des amis de la Cathédrale de Reims (S.A.C.R.), Pol Neveux, Anthony Thouret, qui jouait du violoncelle, c’étaient des élèves du Petit séminaire qui chantaient la messe, avec quelques chœurs de femmes et de jeunes filles. Mgr Neveux a officié pontificalement et Mgr Luçon a prononcé le sermon que les journaux reproduiront demain. Il y avait foule. J’avais pris avec moi Marie-Louise et Maurice. Robert et André que je n’avais pas osé prendre avec moi sont repartis quelques instants après la communion, à 10h1/2. L’office la cérémonie a cessé à 12h1/4. Et voilà toute ma journée, je suis toujours extrêmement las, fatigué, découragé.

Vendredi 26 décembre 1919

6h soir  Assez beau temps, rien, fatigué, surmené, écœuré. Réalisé par lettre le projet d’achat des nos 31, 33, 35, 37 et 39 rue Colbert pour la Banque de France, 500 000 Francs dans son ensemble. Toujours exténué, dégoûté de la Vie. Quelle vie misérable ! je traîne.

Samedi 27 décembre 1919

6h  Pluie comme toujours. Journée fort occupée, rien d’intéressant. Eté voir le Directeur de la Banque de France M. Gilbrin qui ne pense qu’à s’en aller et prendre sa retraite dans 3 mois. Encore un qui a eu une bien triste attitude durant la Guerre. Au lieu de rester à Reims il a fichu le camp à la première alarme.

Dimanche 28 décembre 1919

8h matin  Pluie toute la nuit, il fait très doux. C’est sans doute aujourd’hui que l’on va avoir le résultat définitif des Conseillers généraux et d’arrondissements. Si je suis nommé, dans quelques jours je serai obligé d’aller à Châlons pour les élections sénatoriales. Les Conseillers généraux et d’arrondissement étant votants de droit. J’en profiterai pour aller à St Martin. Encore un douloureux pèlerinage à faire, surtout à cette date. Il va y avoir 1 an que mon pauvre Père est mort. S’il était encore là il serait bien heureux de me voir élu… Et moi je serais bien heureux de pouvoir bientôt retourner pour toujours à St Martin me reposer, vivre au milieu de mes chers livres et mettre au point mes Notes de Guerre, mais cette ultime satisfaction ne me sera jamais donnée. Paria je suis, Paria je reste, et je dois peiner péniblement jusqu’à mon dernier souffle.

4h soir  Les journaux donnent le résultat définitif des élections cantonales. Rohart est élu par 593 voix contre 527 voix à Chevrier, soit une majorité de 66 voix, et moi par 689 voix contre 416 à Lhermitte, soit une majorité de 273 voix. C’est donc chose finie. Il ne manque plus que les compliments à adresser aux électeurs !!… Demain j’y verrai.

A peine sorti. Tâché de travailler, non je n’y ai pas du tout le cœur.

Lundi 29 décembre 1919

8h1/2 matin  Pluie, brume, sale temps. Je suis exténué, découragé. L’avenir me parait de plus en plus sombre, aussi je désespère de tout. Mourir, voilà mon seul désir. Quelle délivrance.

6h soir  Contrat Monce-Renard (François Marie Eugène Monce (1896-1968) épouse le 30 décembre 1919 Marie Simone Renard (1898-1987)) à 11h avec Béliard. Déjeuner ensuite, et quel déjeuner !! Comme les cadeaux de noces !! La future apporte une 30aine (trentaine) de mille Francs, le futur 10 000 Francs, et ces cadeaux représentent les cadeaux d’une dot de 200 000 Francs au moins avant-Guerre !! Le déjeuner de même !! Voilà les nouvelles mœurs après la tourmente. Vent de folie comme dans tout !! L’argent n’a plus de valeur ! Où allons-nous ? à ce train ! Cela m’attriste et m’effraie !

Mardi 30 décembre 1919

8h soir  Temps toujours humide et pluvieux, triste temps et lugubre.

Mariage Monce rue St André à la Providence, dans la salle du Grand Séminaire encore toute lézardée par les obus. Du monde. Vu pas mal de connaissances. Revenu avec ce pauvre Houlon qui me fait vraiment de la peine avec tous les déboires et toutes les humiliations qu’il a eues. C’est certainement le plus gravement lâché et le plus injustement abandonné de nous tous qui avons fait la Guerre, et certes l’un de ceux qui auraient dû être des premiers récompensés.

Lunch vers 3h. Causé avec pas mal de monde et rentré vers 4h. A 2h rendu visite officielle comme Conseiller d’arrondissement au sous-préfet Bailliez. Pas rencontré. Quitté la noce Monce le cœur déchiré. Ces joies, ces musiques et danses me brisent quand je songe à la misère de tous les miens… !!…

Mercredi 31 décembre 1919

7h soir  Pluie. Les enfants sont revenus de St Martin, où les inondations sont formidables, on n’a pas vu cela de vie d’homme disent les habitants. Journée occupée. Triste fin d’année !! que j’ai souffert durant cette année qui meurt. Que sera 1920, qui sait ?

Que sera cette année 1920, avec le vent de folie qui souffle sur toute la société, on ne sait. La foule ne songe qu’à s’amuser, danser, jouir, faire la noce et gagner beaucoup d’argent sans peine, sans travail, aussi malhonnêtement que possible (Justification de l’appellation « Années folles » pour ces années jusqu’en 1929). Tout ce monde s’agite, se trémousse, s’empiffre, s’engraisse, et danse sur un volcan ! qui trépide et frémit, prêt à l’éruption. Que sera cette éruption ? Quelle lave jaillira de ce cratère ? Je ne sais ? mais sera terrible à mon sens et quel réveil pour tous ces jouisseurs.

Plus j’examine, plus j’étudie, plus je contemple notre société actuelle, plus elle me ramène à rapprocher notre époque de celle du Directoire de la veille de la Révolution, ce celle qui devait préludait au Directoire, mêmes appétits, mêmes désirs de jouir, mêmes folies de plaisirs, même gâchis, mêmes basses volontés de gagner sans mal, mêmes prodigalités, mêmes difficultés de vie, même cherté de tout ce qui est nécessaire à l’existence, même tout… En attendant nous souffrons, je souffre surtout pour les miens qui eux loin de jouir et de faire la fête, souffrent et mènent une vie de misère ! En seront-ils seulement récompensés ? En serai-je récompensé ? Aurons-nous un peu de bonheur et de prospérité ?… Je n’ose plus l’espérer.

1920

Jeudi 1er janvier 1920                                                  

9h matin  1920 ! que sera cette année pour nous, pour mes chers aimés ? Misère ou un peu de bonheur ? Je n’ose rien espérer ! Car dans l’état de misère où je suis et où je vois les miens, je n’ose plus croire au bonheur, à la fortune, à la prospérité. Il y a des limites à l’espoir, comme à la souffrance ! On n’ose même plus désirer, si encore il n’y avait que moi à souffrir, à être misérable, mais ma femme ? mes enfants ? Non cela me tue.

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…jour. Je rentre fatigué. Du monde en quantité dans les rues, surtout des ouvriers, comme de soi. Il n’y a aucun des riches Rémois de revenus ici ! Fi ! Ma chère ! Rentrer maintenant à Reims, mais j’y mourrais d’ennui et de peur !!! Pauvres chéris !! Reims est bon pour des malheureux comme moi, qui aideront à reconstituer Reims, et quand tout sera prêt pour recevoir ces Princesses !! On reviendra !! et nous on nous mettra dans une cour comme un balai au rancart ! Nous aurons juste suffi et servi à nettoyer et rendre Reims digne de les recevoir !! Une bonne petite révolution qui fera…

La moitié de la page a été découpée.

Samedi 3 janvier 1920  

6h soir  Journée assez fatigante. Hier fait mes visites, vu le Cardinal qui est bien inquiet sur le sort de son clergé dans nos régions dévastées. Vu la Supérieure de Roederer toujours aussi bonne.

Aujourd’hui fait des courses, été à la Ville pour le sucre et du pétrole. Vu Georget pour l’Etude de son gendre (Sa fille Sophie (1888-1965) avait épousé Albert Montaudon, notaire, tué le 27 janvier 1916 à Saint Vaast (62)). Il trouve qu’on ne se presse guère pour la supprimer. Rien d’autre. Je prépare mon voyage à St Martin que je veux faire coïncider avec les élections Sénatoriales qui ont lieu le 11.

Dimanche 4 janvier 1920            

1h1/2 soir  Temps gris, glacial, de la neige dans l’air. Messe de 8h1/2, été porter mon courrier, poussé jusqu’à la gare pour prendre l’heure exacte, et puis rentré ici glacé. Robert repart demain et puis ce sera la vie monotone, lugubre, misérable comme toujours. Jeudi ou vendredi j’irai à St Martin pour revenir à Châlons dimanche matin pour les élections sénatoriales ! Que nous donneront-elles ? En tout cas ce sera fini avec cette série d’élections, si encore tout cela me donnait la fortune, la prospérité et la joie !!!… Hélas ! je n’y compte plus, je n’y crois plus.

Lundi 5 janvier 1920      

8h matin  Temps gris qui semble annoncer de la neige. Robert est parti ce matin à 6h45. Il n’aura pas eu chaud le cher enfant. Il va déjeuner chez un de ses amis à Paris puis repartira avec celui-ci pour Angers vers 2h pour arriver à 8h du soir.

André et Maurice reprennent leurs classes demain matin. Je partirai avec Marie-Louise vendredi pour St Martin, et à mon retour dimanche matin j’irai à Châlons pour les élections sénatoriales, tandis que Marie-Louise continuera son chemin pour Reims. Je rentrerai à Reims le soir seulement.

Il fait très froid !! Et c’est à peine si nous avons de quoi nous chauffer ! Et quand je songe au gaspillage qui se fait dans les bureaux officiels, les Régions libérées, à Paris, dans tout le reste de la France qui n’a pas souffert des dévastations de nos Régions ! Je me révolte à cette devant cette inégalité, cette injustice.

7h soir  Rien de saillant. Je ne suis pas sorti de mon cabinet. Fatigué et toujours fort triste. Demain André et Maurice rentrent au Collège.

Mardi 6 janvier 1920    

6h soir  Temps gris, couvert, glacial annonçant de la neige qui ne vient pas. Vu le Procureur de la République pour lui annoncer notre réunion de Chambre des notaires de demain pour statuer sur les suppressions d’Etudes, Harel, Peltereau-Villeneuve. Réception cordiale comme toujours, mais… !! s’intéressera-t-il à notre triste situation ? Je crains que non, les magistrats en général nous détestent cordialement !! Demain donc réunion de Chambre dès 9h du matin, qui nous tiendra jusqu’à la fin de l’après-midi certainement. Harel et Peltereau sont convoqués ainsi que Rozey notre avocat-conseil (Paul Rozey, avocat bâtonnier (1863-1928)) pour ces suppressions d’Etudes. Je suis toujours bien découragé.

Jeudi 8 janvier 1920      

Rien de saillant, la pluie, et dérangé continuellement.

Vendredi 9 janvier 1920              

9h matin  Assez beau temps. Anniversaire de la mort de mon pauvre Père. Je pars à 10h à St Martin, encore un voyage douloureux. Dimanche matin je m’arrête à Châlons pour les élections. Triste voyage pour revenir ici dans la misère !! noire !!

Du samedi au mardi 13 janvier 1920

Eté à St martin. Pluie diluvienne. A Châlons Servi la messe dite pour mon Père à St Martin, l’abbé Adam n’ayant pas d’enfant de chœur. Eté sur la tombe de mon Père et de ma Mère. Vu à bien des choses. Eté à Châlons dimanche pour les élections sénatoriales qui ont fait passer au 1er tour Bourgeois avec 868 voix, Vallé 713, Montfeuillart 686, Langlet 172, Jacquy 286 (Jean Jacquy, Maire de Bouvancourt (51), député puis sénateur (1875-1954)). A 2h nous étions libres. Pris le train à 2h3/4. J’avais été à la messe à St Étienne, vu le Supérieur l’abbé Étienne et l’abbé Perrier. Pris le train à 2h3/4, puis à 4h1/2 à Épernay. Arrêtés par la tempête de 5h à 6h3/4 à la gare de Maison-Blanche. Rentré à la maison par une pluie torrentielle, et de la Gare à ici j’étais trempé jusqu’aux os.

Hier journée de travail acharné pour rattraper mon retard. Aujourd’hui travail. Inventaire à la Maison de Retraite. Je suis fatigué et surtout toujours fort découragé. Oh ! que je désire la mort de plus en plus.

Jeudi 15 janvier 1920

8h soir  Journée prise de 10h du matin à 5h du soir par une réunion de Chambre des notaires pour mettre au point les rapports de demandes de suppression d’Études d’Harel et Peltereau-Villeneuve, et du nombre d’Études à supprimer à Reims, 5, et dans les cantons, Aÿ, rien, Châtillon, rien, Ville-en-Tardenois, transport de l’Étude de Rosnay, qui avait à Ville-en-Tardenois, dont l’Étude de Colin serait supprimée. Fismes suppression d’une Étude à Fismes sur 3. Maintien de Jonchery, suppression de l’Etude d’Hermonville qui serait rattachée à Cormicy avec extension sur quelques communes nord du canton de Fismes. Bourgogne suppression de l’Étude de Boult-sur-Suippe et transport à Bazancourt de l’Étude de Witry-lès-Reims. Beine, suppression des Études de St Souplet-sur-Py et Pontfaverger, et maintient de Beine. Verzy, suppression de Beaumont.

Demain je dois aller avec Rozey avocat causer de tout cela au Président du Tribunal et au Procureur.

Vendredi 16 janvier 1920

8h soir  Beau temps. Contrat de mariage de Marcel Lorin avec Yvonne Tricot (Marcel Lorin (1890-1983), Directeur des Galeries Rémoises. Sur la fin de sa vie on le voyait tous les jours marcher d’un pas vif Boulevard Lundy où il habitait, il épouse le 19 janvier 1920 Yvonne Tricot (1890-1974)). Le matin vu le Président et le Procureur pour nos rapports de suppression d’Études et des dommages de Guerre avec Rozey.

J’ai été toute la journée d’une tristesse épouvantable. Vraiment j’aimerais mieux la mort que cette vie pénible et misérable que je mène.

Demain ce sera la même chose ! si seulement en m’endormant ce soir je ne m’éveillais pas demain ! Quelle délivrance !

Je n’ai de goût à rien, rien, rien ! Tout me lasse ! Et à chaque chose que je fais je me dis : à quoi bon ! C’est peine inutile, cela ne peut me réussir, me donner la moindre satisfaction !

Samedi 17 janvier 1920

6h1/2 soir  Beau temps. Fort occupé toute la journée. Vu un tas de gens, ce qui ne m’avance pas pour le travail. Vu la petite femme de Laloyaux, des Régions Libérées, arrêtée sous inculpation de détournements. La malheureuse, ainsi que sa tante Melle Juliette Leroy se croient innocentes !! Enfin attendons ! mais qu’on nous débarrasse de tous ces pillards-là !! et surtout de cette administration-là qui n’a rien fait que de voler les deniers de l’Etat.

Rien d’autre de saillant.