Louis Guédet
Samedi 8 mars 1919
1639ème et 1637ème jours
Midi La pluie, battante. Visite de M. Jean de la Morinerie, architecte de Paris (1874-1954), qui venait causer des dégâts de Mme Mareschal. Il m’a parlé des pillages éhontés qui ont eu lieu à Reims et qu’il connaissait. Il me signalait notamment le trop fameux Capitaine La Montagne, attaché à la Place de Reims, Commissaire de l’Armée au moment de notre évacuation le 25 mars 1918, qui ne pensait qu’à piller les caves ! Il me le signalait comme ayant envoyé journellement des camions autos avec ordre de piller telles et telles caves contenant surtout des vins rouges, et les expédiait chez lui (ce qui n’est pour me surprendre). Et que divers rémois avaient déjà des dossiers sur son compte dans ce genre de sport !!
Note à part, écrite sur une demi-feuille.
8 mars 1919
Capitaine La Montagne
8 mars 1919. M. Jean de la Morinerie, architecte à Paris, me signale que cette fripouille de capitaine La Montagne a pillé d’une façon éhontée, envoyant des camions automobiles avec ordre de vider telle et telle cave dans lesquelles se trouvaient tels et tels vins, rouges et Champagne.
Il paraitrait qu’il y aurait des habitants qui auraient déjà des données sur son compte.
Ce serait à signaler au Parquet.
Si jamais on pouvait lui mettre la main au collet à ce pierrot-là !! J’en serais enchanté, d’autant qu’il vendrait les camarades tout de suite et mangerait le morceau !! car il est capable de toutes les bassesses et de toutes les lâchetés ! Si (rayé).Mais (rayé)?!!! De voir (rayé) !
Il me parlait aussi des prix exorbitants des ouvriers, tandis qu’à Paris on les paie au maximum 1,50 l’heure et des spécialistes, ici à Reims c’est 3,25 le moindre manœuvre.
Il est profondément convaincu que nous aurons ici à Reims des troubles occasionnés par cela et aussi par l’indifférence et l’incurie de notre municipalité (rayé).
8h soir Peu de monde cet après-midi. En portant mon courrier à 2h, je suis passé par la Ville. Vu Lelarge, Kanengieser (Paul Marie Kanengieser, directeur des Établissements Lelarge (1871-1941)) et Noirot fils (Henri Noirot, industriel, futur Maire de Reims (1879-1972)), puis arrêté dans les rues par un tas de gens. Torre (Laurent François Torre (1873-1937)), Mériaux huissiers, Landréat, toujours aussi gavroche, Lefebvre et Lecat avoués. Et tout ce monde-là se pose toujours la même question, qu’attend-t-on pour faire quelque chose à Reims ? Nos édiles ne sont jamais là ! etc… etc… Toujours la même chanson ! après dîner, été jusqu’à la Gare, peu de monde pour le train d’Épernay.
Rencontré aussi Michaud qui me dit que Pollack viendra demain pour examiner l’emplacement à choisir pour son Hôtel pour Touristes. Je penche de plus en plus pour la place Drouet d’Erlon.
Je vais donc être obligé de rester ici pour l’attendre ! Je n’irai donc pas à Courcy.
Je vais me coucher. Je suis fatigué et las ! Toujours la même tristesse ! Quelle misérable vie !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 8 – Visite de M. le Curé de Cuisles, Vaux Montreuil, Mareuil le Port, Bar-lès-Buzancy ; deux officiers américains ; de M. l’Abbé Rome, Grandremy, de Mme la Marquise de Polignac ; de M. Hearn et de M. Sullivan Chevalier de Colomb, accompagnés par le Capitaine Constant, recommandés par le Ministère des Affaires Étrangères. Vis. de cath.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Samedi 8 mars
Le Conseil, supérieur interallié a tenu une longue séance. Il a accepté la proposition américaine tendant à inviter les commissions à présenter avec leurs rapports, des conclusions sons formes d’articles à insérer dans les préliminaires de paix.
La discussion a ensuite porté sur les conditions militaires, navales et aériennes à imposer à l’ennemi. Les clauses navales ont été adoptées.
L’incident relatif aux petites puissances, qui demandent une représentation plus forte dans les commissions, continue à se développer. La commission belge a terminé ses travaux, et la commission des affaires helléniques a presque achevé les siens.
La situation reste très trouble en Allemagne. Le gouvernement se dit sûr de maîtriser la nouvelle insurrection spartacienne à Berlin, mais, en même temps, il négocie avec les comités d’ouvriers et soldats et il fait voter la loi de socialisation par l’Assemblée nationale. La cour martiale fonctionne. Les grèves se sont encore étendues dans l’Allemagne centrale.
La commission interalliée de Pologne s’est rencontrée avec la commission allemande, près de Bromberg. Elle a posé la question du passage des troupes polonaises par Dantzig.
Le gouvernement de Berlin a proclamé l’état de siège dans la Prusse orientale.
M. Winston Churchill a enlevé, à, une très forte majorité, le vote des crédits militaires nécessaires au maintien des effectifs, malgré le vote des travaillistes.
M. Orlando a eu un ordre du jour de confiance à la Chambre italienne.
Les bolchevistes ont procédé à une nouvelle attaque sur le front d’Arkhangel.
Un grand industriel belge a été arrêté pour complicité avec l’ennemi.
Un remorqueur a sauté sur une mine au large de Marseille.
Source : La Grande Guerre au jour le jour