Louis Guédet

Vendredi 10 janvier 1919

1582ème et 1580ème jours

11h matin  Beau temps ce matin. Triste nuit. Triste veillée. Les conseillers municipaux se sont relevés 2 par 2 pour veiller mon pauvre Père à partir de 8h du soir. Je les ai relevés à 6h du matin et je ne quitte pas mon Père. Madeleine est partie à Vitry pour acheter différentes choses, un chapeau pour elle et Marie-Louise. Je suis donc seul. Marie-Louise s’occupe de la maison et de Maurice et de Jean qui est dans son lit assez fatigué. Il vient de se purger. Je n’ai pour ainsi dire pas dormi de la nuit, ni ma pauvre femme non plus.

Je suis là, au coin du feu à rêver, à ressasser un tas de souvenirs, qui s’assombrissent de plus en plus. Écrit quelques lettres pour faire diversion mais je ne sais où j’ai la tête.

Bock est près de moi, tout dolent aussi, le pauvre chien ! Mon Père l’aimait tant, lui si amateur et si connaisseur des beaux chiens ! Il avait plaisir à l’avoir toujours près de lui. Pauvre Père. Pauvre Bock il vieillit aussi !… Il me faut dire adieu à tout cela, chien, chasse, pêche, plaisirs de ma jeunesse et passés. Et mon pauvre Père lui qui encore il y a quelques jours trouvait drôle que Jean n’aille pas à la chasse ! Il était si passionné de celle-ci ! Jusqu’aux derniers moments il ne reconnaissait plus d’ami quand on lui causait chasse ou pêche ! C’était une vraie passion, et en un de ses gros chagrins quand il n’a plus pu chasser. Il était si bon tireur au perdreau ! et au lièvre. Il aimait tout cela et manger du lièvre ! Je crois qu’il sortirait de sa tombe si on lui en servait un plat ! En 1871, il nous rappelait cela il y a 3/4 jours, il n’avait mangé que du lièvre pendant 14 jours 1/2, rien que cela, à toutes les sauces. Il lui a fallu arrêter sans en être dégouté car il en avait attrapé des maux de reins !… mais 8 jours après il en remangeait de plus belle !… En nous contant cela son œil pétillait encore de joie et de jeunesse à ce souvenir.

Pauvre Père !! Tu ne chasseras plus ! et moi non plus ! Il me faut aussi dire adieu à ce plaisir ! N’ayant plus de fusil, pris ou brisés par les allemands en septembre 1914 pendant l’occupation de Reims, et puis je n’y ai plus le cœur ! Et cependant que d’heures délicieuses, en dehors des grandes parties de chasses à Nauroy, au Mont Haut et Cornillet devant ceux-ci, j’ai passé et vécu seul, chassant avec mon chien dans la plaine ou bien au bord de l’eau de mon vieux St Martin. Tout cela n’est plus ! Je ne vivrai plus cela. Et cependant il me serait encore bien doux de me promener fusil à la bretelle avec mon vieux Bock dans les plaines d’ici me remémorant nos bonnes parties de chasse avec mon pauvre Père ! Je revivrais un peu avec lui, et il me semble que je serais moins seul !…  seul !!

2h  Je reviens du cimetière où on a pu heureusement desceller la tombe et la pierre tumulaire sans accrocs, mais les fossoyeurs sont obligés de faire une espèce d’échafaudage, ils sont arrivés à l’eau (en raison des débordements de la Marne) et n’ont pas encore pu atteindre le cercueil de ma Mère. Il faut donc qu’ils creusent dans l’eau !! Aucune douleur, aucun incident pénible ne m’aura été épargné !!!

Tout à l’heure cela va être la mise en bière, 2ème étape de la séparation en attendant pour demain la 3ème et ultime !! Je ne sais comment je me soutiens !!… Et en plus de cela un courrier formidable à dépouiller. Il me faut donc souffrir, et n’avoir même pas une minute tranquille à donner à ma douleur !!

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Vendredi 10 – Visite de M. de Mun ; photographie. Arrivée de ma bibliothèque d’Ay.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Vendredi 10 janvier

La conférence préalable qui devait avoir lieu à Paris entre les chefs des quatre gouvernements alliés a été renvoyée. M. Lloyd George ne pouvant arriver à temps à Paris.
La lutte a pris à Berlin de plus amples proportions ; elle a d’énormes fluctuations. La situation du gouvernement Ebert-Scheidemann, après avoir paru fortement compromise, s’est améliorée. Les spartaciens, après avoir conquis la presque totalité de la ville, ont reperdu plusieurs quartiers et un certain nombre d’édifices, entre autres le Palais du Reichstag.
Ils ont constitué avec les indépendants un contre-gouvernement qui comprend: Ledebour, Dittmann et Tiek, ce dernier, président de la Ligue Spartacus. Une partie des soldats sont passés de leur côté, mais les marins ont abandonné les extrémistes pour se ranger au gouvernement. Les troubles continuent à se propager en province et spécialement en Westphalie et l’Allemagne du Sud.
M. Dumesnil, sous-secrétaire d’État à l’aéronautique, a donné sa démission. un groupe de sénateurs a décidé de présenter la candidature de M. de Selves à la présidence du Sénat.
Les inondations ont commencé à Paris dans les 13e et 16e arrondissements, le niveau de la Seine s’étant relevé de soixante centimètres dans une seule journée.
M. Gompers est parti pour l’Europe avec une délégation de travaillistes américains.

Source : La Grande Guerre au jour le jour

Palais du Reichstag