Louis Guédet
Mardi 31 décembre 1918
1572ème et 1570ème jours
4h soir Toujours la pluie battante, nous ne sortons pas de l’eau ! Établi ma liste de vins pillés, près de 4898 bouteilles de volées !! Et par des officiers !… C’est une honte ! Il aura fallu que cette triste année 1918 finisse non seulement dans les ruines, les cendres, le sang, les flammes, mais encore dans la lie et la boue ! (Rayé) paradent, font la noce ! Qu’ils regardent donc leurs galons souillés de (rayé)! Cela leur vaudrait mieux !
Reçu peu de lettres auxquelles je viens de finir de répondre… Pas de nouvelles de Robert, le pauvre grand nous manque. Sans cela nous aurions été tous réunis pour entamer 1919. Dans la tristesse et la misère !! Et que sera cette année 1919… ?!…
Je n’ai aucune confiance ! Et aucun espoir d’un peu de satisfaction, de réparation de mes ruines, de justice et… de bonheur sans nuages ! Je traînerai ma vie misérable sans but, sans encouragement, sans espoir, à souffrir de voir ma pauvre femme et mes pauvres enfants dans la misère noire, sans espérer d’avoir des jours meilleurs ! quelle triste et douloureuse vie ! Toujours, toujours souffrir ! Lutter, peiner, travailler sans résultat, sans l’ombre d’une satisfaction, d’une misérable réussite. Au contraire toutes les ruines s’accumuleront de plus en plus autour de moi, s’abattent sur moi, sans pitié, sans rémission, sans relâche ! (Rayé) ! (Rayé) si encore j’étais seul à souffrir et à être misérable, mais non il faut que ma chère femme et mes chers enfants soient aussi malheureux que moi.
L’année 1918 se ferme derrière moi, me laissant que le désespoir ! et l’effondrement de toutes mes idées sur la justice, l’équité, et la récompense du Devoir accompli ! Rien ! Rien ! Et l’année 1919 dont je vais franchir le seuil ne m’offre que le Malheur, la Misère, la souffrance, la tristesse en perspective ! Ruines et catastrophes ! voilà ce qui m’attend encore ! Et sans espoir ! (Rayé) quelconque. (Rayé)…
Je quitte 1918 sans regret le cœur saignant et j’entre dans 1919 en frissonnant, en tremblant à la pensée des malheurs, des souffrances qui m’y attendent encore !
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Mardi 31 – Rentré à Reims. Deo gratias !
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mardi 31 décembre
M. Clemenceau a obtenu une énorme majorité à la Chambre. Les crédits ont été votés à la presque unanimité; un scrutin sur une motion tendant à n’accorder qu’un douzième au lieu de trois a recueilli 93 voix.
La crise allemande s’est dénouée, au moins temporairement: les commissaires du peuple minoritaires sont sortis du gouvernement ; ils sont remplacés par trois majoritaires : Noske, hier gouverneur de Kiel, l’un des leaders du vieux parti social démocrate ; Löbe, rédacteur au journal socialiste de Breslau ; et Wissel, député au Reichstag. Hindenburg a envoyé de nouvelles troupes à Berlin pour prêter main-forte au gouvernement contre le groupe Spartacus. En Bavière, Kurt Eisner a pris position pour les indépendants, et en réclamant le départ d’Ebert.
Des conflits ont éclaté également en Saxe entre socialistes majoritaires et socialistes indépendants. Les mineurs de la Ruhr ont saccagé deux mines. Ils ont livré une bataille en règle aux troupes.
Les renseignements qui arrivent d’Angleterre confirment le grand succès de M. Lloyd George, mais le chiffre des votants a été restreint. Il n’a pas dépassé 50%. Un tiers à peine de l’armée a voté.
Les troupes françaises sont à Odessa, et l’escadre britannique à Batoum, mais les maximalistes continuent a progresser en Esthonie.
Une bataille de rues a eu lieu à Posen, entre la foule et les troupes allemandes, à propos de l’arrivée du grand pianiste Paderewski.
Source : La Grande Guerre au jour le jour