Louis Guédet
Jeudi 18 juillet 1918
1406ème et 1404ème jours de bataille et de bombardement
8h soir Orage et tempête de vent avec grêle vers 11h du soir. Très peu dormi. Parti à 5h1/2 à bicyclette. A Vitry-la-Ville pas de train, je continue donc ma route par Vouciennes, Togny-aux-Bœufs, Vésigneul-sur-Marne où je prends le chemin de halage du canal. Des branches d’arbres coupent ce chemin, et arrivé vers St Germain-la-Ville j’aperçois la vedette du canal des Ponts et Chaussées qui est sous pression, elle attend les employés qui viennent coucher là et retournent tous les matins à Châlons à leur travail avec l’ingénieur. Je continue mon chemin, mais arrivé devant Moncetz je tombe sur le chemin nouvellement en grève. Avec peine j’atteins l’écluse de Sarry et n’en pouvant plus j’attends à tout hasard la vedette qui me suit. A son arrivée à l’écluse je demande au pilote s’il prend des passagers. Il me répond que je veuille bien le demander à l’Ingénieur en Chef qui est dans la cabine avec plusieurs passagers. Celui-ci m’accueille avec amabilité et m’accorde passage très volontiers ! Heureusement, ma roue d’avant de ma bicyclette se dégonflait. Je monte sur la passerelle où je trouve des officiers !! qui tous les soirs viennent coucher à St Germain !! peur des bombes !! Et le service ! alors ?!! Puis je retrouve là un employé des Ponts et Chaussées de Reims, nous causons tout le long du chemin, et une demi-heure après nous étions derrière St Etienne à l’avant-port où nous débarquons. Je remercie l’ingénieur qui me dit que chaque fois que je voudrais bien profiter du bateau, qu’il sera heureux de me recevoir à son bord. Je ne dis pas non.
Je file porter ma bicyclette chez un réparateur, place de la République, en face de l’Hôtel du Renard et vais à la Gare où j’attends le train de Dondaine qui n’arrive que vers 11h.
Entretemps je rencontre Ravaud le pharmacien de Reims mon voisin de bombardement de Reims tant que je suis resté rue de Talleyrand, dans mes ruines, et le frère de Lesage, jeune lieutenant au 87e de ligne, Légion d’Honneur, Croix de Guerre avec 2 palmes, etc… Il me donne des nouvelles de son frère qui va très bien et espère avoir la Croix de Guerre bientôt. Il repartait au front… Avec Dondaine nous allons déjeuner et lui signe 3 pièces qu’il avait à me faire signer. Il repart une heure après à bicyclette pour Épernay. Le pauvre garçon parait écœuré de l’attitude et des sentiments plutôt hostiles de tous les gens de l’arrière où on traite les réfugiés en parias, si convenables soient-ils. On ne saura jamais ce que l’égoïsme de ces gens-là aura suscité de rancœur et de haine. Je fais mes courses. En déjeunant nous croisons un soldat photographe d’un régiment de coloniaux qui avait été à Reims récemment. La ville n’existe plus. Or savez-vous qu’est ce photographe ? Un professionnel allez-vous me répondre ? Eh non ! Jamais ! Ce ne serait pas militaire ! mais bel et bien un assortimentier dans les environs de Lille de son état !!
Voilà la pratique de nos Galonnés ! Je rends visite au Supérieur de St Etienne qui m’apprend que 118 obus ont été lancés l’autre jour sur Châlons, rien de plus, des gaz autrichiens et des 240. Dans l’intérieur de la ville, 1, rue Lochet et 1, rue du Gantelet les dégâts sont insignifiants. Comme toujours la rumeur avait grossi les dégâts. Pas de victime. En dehors de ces 2 points centraux, le reste a été envoyé vers la route de Suippes sur des formations militaires.
A 3h je quitte Châlons, ma machine réparée après avoir rencontré deux postiers de Reims, Mallet et (en blanc, non cité) qui eux aussi en ont sur le cœur !! Ainsi on a admis à l’indemnité de bombardement tous les postiers de Châlons depuis le 1er janvier 1918, et eux les Rémois, qui ont été bombardés durant les 49 mois du siège, n’y ont eu droit qu’à partir du 1er mai 1918 ! Et puis quand on a un poste au front dans un endroit dangereux, c’est eux qu’on y envoie !! Sans doute qu’ils n’ont pas encore été assez exposés depuis la Guerre.
Je reprends le canal côté opposé, où, m’a-t-on dit, le chemin est meilleur, mais je tombe sur une ligne Decauville ! Je joue de malheur avec la route du canal que je quitte à Sarry (nouvelle ligne militaire de Coolus à L’Épine) que je traverse après avoir visité l’église ogivale des premiers temps de l’époque qui contient de beaux bénitiers et des fonds baptismaux en marbre de Louis XIV, un beau buffet d’orgue de la même époque et une chaire renaissance de toute beauté. Tout cela souvenirs des évêques de Châlons qui avaient là leur résidence d’été au Château de Sarry. Je file sur Sogny-au-Moulins, je laisse ma bécane au gendarme de service au passage à niveau et je suis la voie pour voir l’endroit et les débris du train de munitions où a eu lieu l’explosion dans la nuit du 16 au 17 juillet. Là une équipe nombreuse travaille à la réfection de la voie et à l’enlèvement des culots d’obus, des obus non éclatés, des balles de fusils. Des 75 et des 37 en monceaux jonchent la voie. Les carcasses en fer des wagons sont là encore debout. L’endroit est exactement au bout du déblai, entre le passage à niveau de Sogny et la dernière ferme du village de Sogny vers Mairy, qui a entièrement brûlé. Des obus et des éclats jonchent le sol à 500 mètres alentours. Je rencontre là le Secrétaire Général du Préfet avec qui je cause un instant. Il venait s’enquérir des actes de courage qui avaient pu avoir été accomplis durant l’accident. Je cause avec le capitaine du 13e d’Artillerie qui surveille les soldats qui travaillent au déblaiement et à la voie. Il pense livrer la voie à la circulation sur une voie unique demain. Il connaissait très bien le Commandant Georges, notre parent de Drouilly quand il était au 3e d’Artillerie de Forteresse à Reims (3e Bataillon d’Artillerie de Forteresse). Nous causons de l’accident. Il y a eu 20 wagons de brûlés sur 50, les autres ont été sauvés. Il n’y a eu qu’une seule bombe de lancée. L’avion a eu facile, il n’avait qu’à suivre la côte coupée par la voie et la Marne contre laquelle la ligne se trouve. La veille 2 employés des télégraphes qui réparaient la ligne téléphonique ont été tués suite de leur imprudence en manipulant des obus non éclatés.
Je quitte cet officier qui m’a remis en souvenir un culot de 37 et un obus de 37, assez curieux (le culot en cuivre de l’obus éclaté a effectivement une forme curieuse, y sont gravés : 37-85 PDPS 121 9.17, un obus destiné au canon de 37mm, modèle 1885, lot n°121 fabriqué en avril 1917 par les Établissements Pinchard & Denys à Paris, l’obus de 37 non éclaté a heureusement disparu). Je reprends ma bicyclette et tente de visiter l’église qui est fermée. A l’entrée la tombe d’un Cuirassiers du 5e qui seul a mis en fuite en septembre 1914 les soldats du Génie allemand qui tentaient de faire sauter le pont de la Marne.
Je continue ma route sur Mairy, visite de l’église ogivale qui parait absolument neuve, due à la magnificence des Loisson Guinaumont seigneurs du village, dont les armoiries sont d’azur aux 2 bandes en sautoir d’or au chef d’or chargé de 3 étoiles de ville. Je finis mon voyage par Togny, Vouciennes, Vitry-la-Ville, Cheppes et arrive assez fatigué à la maison et surtout trempé de sueur. C’est un voyage plutôt fatigant par la chaleur qu’il faisait. Des événements en cours appris peu de choses à Châlons où on ne parait ne rien savoir si ce n’est que les allemands sont contenus, arrêtés devant la ville qui devait être prise le 1er jour de l’attaque aux dires des objectifs trouvés sur les officiers allemands et des ordres donnés aux prisonniers.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Jeudi 18 – Visite de M. Sainsaulieu. M. Andrieu dine avec nous. Donne traduction pour M. Pol Léon, de la Note allemande sur la Cathédrale
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Paul Léon, né le 2 octobre 1874, mort le 1er août 1962 à Chantilly, fut membre de l’Institut de France, directeur général des beaux-arts, professeur au Collège de France, grand-croix de la Légion d’honneur. Il fut le principal historiographe du service des Monuments historiques français.
Jeudi 18 juillet
Au sud de la Marne, les Allemands poussant des forces nouvelles, ont attaqué les hauteurs au nord de-Saint-Agnan et de la Chapelle-Monthodon. ILs ont réussi à pénétrer dans la Bourdonnnerie. La bataille se poursuit avec âpreté sur les pentes boisées immédiatement au sud de ce point.
Plus à l’est, en dépit d’attaques très vives, nous avons maintenu l’ennemi aux lisières sud des bois de Bouquigny et de Nes1es.
Les Allemands ont tenté un puissant effort en direction de Montvoisin, dont ils ont pu s’emparer. Mais une contre-attaque de nos troupes les ont rejetés de cette 1oca1ité.
Entre la Marne et Reims, des combats violents sont en cours dans les bois de Courton. Une attaque ennemie dans la région de Vrigny a complètement échoué.
A l’est de Reims, les attaques 1oca1es de l’ennemi sont restées infructueuses. Dans la région de Prunay, en renouvelant ses assauts sur Beaumont, il a subi un sanglant échec. Partout, nous avons intégralement maintenu nos positions.
A l’est de Villers-Bretonneux, les Anglais, à la suite d’une heureuse opération de détail exécutée pendant la nuit, ont fait quelques prisonniers et capturé des mitrailleuses.
Un coup de main allemand a échoué dans le même secteur. Les Anglais ont fait des prisonniers dans un raid aux environs d’Hulluch. Activité de l’artillerie allemande dans les secteurs de la Somme et de l’Ancre, au nord de la Scarpe, au nord-est de Béthune et au nord de Bailleul.
Source : La Grande Guerre au jour le jour