Louis Guédet
Samedi 6 avril 1918
1303ème et 1301ème jours de bataille et de bombardement
6h soir Beau temps, de la brume le matin à 5h quand je suis parti. Beaucoup de Châlonnais qui viennent coucher dans les environs. A Châlons la marquise de la Gare est à jour (auvent vitré de protection). Je cours à St Etienne. Les livres d’André y sont. Je n’ai plus qu’à aller dans sa chambre place St Etienne. Je trouve porte close, on m’adresse au sacristain de la Cathédrale qui habite à côté. Il est à la Cathédrale. Je le trouve en train de mettre des cloisons en bois aux vitraux cassés. Le chevet de la Cathédrale est fort endommagé, mais ce fond si sombre est à jour maintenant et permet d’admirer sans peine la facture de l’édifice. Comme la voute est assez ébranlée, on n’officie plus dans la Grande Nef au cloitre austral, mais sur un autel de fortune adossé à la porte d’entrée du Grand Portail, flanqué de 2 statues de Jeanne d’Arc et de Notre-Dame de Lourdes. C’est la Guerre. Le sacristain me dit ne pas avoir les clefs de Mme Valleret, bref nous emportons une échelle de la Cathédrale et je passe juste par une fenêtre à guillotine sur le palier du premier étage, et j’entre dans la chambre d’André. Je trouve ses chaussures, mais pas de « pépin ». La Proprio ! s’en est emparée dans son désarroi. Je redescends par mon échelle de casse-cou. Il faut que je continue mon métier de cambrioleur ! Je reviens à St Etienne, où je vois le Supérieur l’abbé Etienne, qui me dit que d’ici 8 jours il pourra me dire si André pourra reprendre ses cours ici, mais il me conseille néanmoins d’aller à Paris Vitry-le-François pour me renseigner auprès de M. l’abbé Nottin, curé de Vitry (Léopold Nottin (1849-1930)), et de M. Paillard, Maire de la ville (Emile Paillard, Président de la délégation spéciale de Vitry en 1914 (1859-1933)), et voir comment je pourrais faire terminer son année scolaire à André au collège de Vitry et avec des professeurs de fortune au cas où Châlons St Etienne ne rouvrirait pas…
Je pense donc aller à Vitry lundi ou mardi pour cela. Après avoir causé longuement avec le Supérieur je vais chez mon Receveur d’Enregistrement M. Thomas, où on me dit qu’il compte sur moi pour déjeuner avec notre Contrôleur de Reims qui est réfugié à Châlons. Je dis à sa bonne de le prévenir que je le prendrai à son bureau à 11h3/4 et qu’entretemps je vais faire mes courses. Je passe devant la maison Martin, 3, rue Titon, qui a été complètement pulvérisée par une bombe d’avion lors des derniers raids sur Châlons (Jules Martin, imprimeur, et toute sa famille ont été tués lors de ce bombardement du 24 mars 1918). La maison est complètement effondrée, ainsi que les caves. Il y a eu 40 victimes dans ces caves qui ont été écrasées par l’effondrement des voûtes. Spectacle auquel je suis habitué. En parcourant la ville je vois les autres points de chutes, mais qu’est-ce cela auprès de Reims !!… Rue St Jacques (aujourd’hui rue Léon Bourgeois) il y a 4/5 maisons effondrées à la suite les unes des autres, à l’angle de la rue de l’Arquebuse une ou deux, dans le quartier du Marché, et c’est tout ! Mes courses finies je vais jusqu’au 6e Corps d’Armée pour voir le Commandant Barot, que je ne trouve pas, mais son sous-lieutenant, jeune homme charmant, avocat à Paris, Docteur en Droit, me prie de revenir à 2h1/2 où je le verrai certainement, se chargeant de le prévenir. Je reviens donc déjeuner chez mon brave Papa Thomas. Déjeuner parfait, et on cause d’une façon fort agréable tous les 3. Je les quitte à 2h pour aller au bureau du Commandant Barot qui me reçoit et me dit qu’il me fera reconduire à la gare par son auto.
J’accepte si la voiture que j’ai commandée me faisait faux-bon ! Nous causons de choses et d’autres, de son fils qui vient d’être nommé Aspirant, sorti de Fontainebleau avec un fort bon numéro (Charles Barot, affecté au 46e RA (1897-1967)). Je lui dis que Robert vient d’y arriver et que je suis assez inquiet du résultat de ses examens d’admission. Il me tranquillise là-dessus, car l’examen n’est pas très difficile. Il y a un premier examen dans les 8 premiers jours d’arrivée pour voir la capacité des candidats, puis un mois après un cours de reformation et révisions scolaires on passe un autre examen qui est éliminatoire. Mais il me dit qu’on en élimine très peu. Je souhaite que Robert réussisse. Ce que je pense d’après ce que me dit le commandant. Il me dit qu’on ne craint plus une attaque en Champagne, et pour Châlons seulement des bombardements de pièces à longues portées ou par avions. Il m’ajoute que Foch et les anglais ont 2 armées de 200 000 hommes chacune, prêtes à coincer les allemands dès qu’ils seront engagés à fond dans la nasse dans laquelle ils s’introduisent en ce moment. Il paraissait fort tranquille là-dessus et sur le résultat qu’il croit décisif. Je le quitte à 3h1/4 pour passer à St Etienne prendre ma valise, et de là à la Gare ou je prends mon train qui me ramène ici à 4h1/2.
En rentrant je trouve dans mon courrier une lettre du Procureur me disant que mes justices de Paix sont transférées à Épernay, et qu’il n’y a pas lieu d’envisager leur transfert à Châlons ou à Vitry-le-François comme je le proposais. J’en avais parlé au Commandant Barot qui m’avait laissé entendre que l’autorité militaire pencherait plutôt pour Vitry à cause des éventualités (?) de bombardement de Châlons. En tous cas la question est tranchée. Je vais écrire au Procureur pour m’entendre sur les jours d’audiences.
Lettre d’Eloire, le Pompier de Reims (adjudant) qui me dit que la maison du 52 rue des Capucins n’a rien, qu’il y veillera et m’apprend qu’Honoré est parti, et qu’il n’y a que Marcelot qui reste avec lui… comme rémois. Autres lettres auxquelles je répondrai demain.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 6 – Bombes sur Paris. Pas dit messe ; reçu personne.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Samedi 6 avril
Les Allemands ont continué leurs attaques avec un acharnement qui ne s’est pas ralenti durant la nuit et en jetant dans la bataille des forces nouvelles. Nous avons identifié quinze divisions, dont sept divisions fraîches. Malgré la supériorité marquée de ses effectifs, qu’il a dépensés sans compter, l’ennemi n’a pas atteint son objectif, qui était la voie ferrée d’Amiens à Clermont, comme en témoignent les ordres saisis sur les prisonniers.
Nos régiments, par leur résistance pied à pied et leurs énergiques contre-attaques, ont maintenu leurs lignes dans l’ensemble et infligé à 1’ennemi des pertes cruelles.
Tandis qu’au nord nous reportions nos positions aux abords ouest de Castel, nous rejetions l’ennemi du bois de 1’Arrière-Cour, à l’ouest de Mailly-Raineval.
Au sud-est de Grivesnes, une contre attaque, brillamment menée, nous donnait la ferme de Saint-Aignan, que nous gardions en dépit de tous les assauts.
Plus au sud, nos troupes s’emparaient de la majeure partie du bois de l’Epinette, près d’Orvilliers-Sorel.
Enfin nous élargissions nos positions au nord du mont Renaud.
Dans l’après-midi, les tentatives allemandes cessant, nous contre-attaquions et gagnions du terrain près de Mailly-Raineval et de Cantigny.
Les Anglais onf rejeté toute une série d’attaques entre la Luce et la Somme. Mais ils se repliaient légèrement et occupaient une série de nouvelles positions à l’est de Villers-Bretonneux.
Vive canonnade au nord de la Somme, dans le voisinage de Bucquoy et dans la vallée de la Scarpe.
Source : La Grande Guerre au jour le jour