Louise Dény Pierson

29 mars 1918

Je répondis sur le champ à mes parents leur demandant d’adresser à notre directrice un ordre de retour dans la famille.
Pour être sure que ma missive leur parviendrait sans être interceptée par une de nos maîtresses, je la confiai à une de nos cuisinières qui la mit à la poste.
Trois jours après j’avais la réponse avec un bon de transport pour Paris. Ma valise fut vite faite et le lendemain matin je débarquais gare Montparnasse où m’attendait ma soeur. Je retrouvais avec joie tous les miens. Le temps de me reposer deux jours et j’étais embauchée, « Au lion noir » comme ma mère !

Mes souvenirs de guerre à Reims auraient dû s’arrêter là. Pourtant elle n’était pas terminée puisqu’un canon allemand à longue portée « La grosse Bertha » bombardait Paris depuis le S.O. de Laon, à 120 kms de distance.
Les dégâts n’auraient pas été importants si, par malheur, un obus n’était tombé sur le dôme de l’église Saint-Gervais, à Paris, pendant la messe du vendredi Saint, effondrant la voûte sur les fidèles faisant 80 tués et plus de 200 blessés.
Pendant les nuits claires, c’était un autre danger, de gros avions allemands, appelés « Gothas », venaient bombarder la capitale, mais comme leur approche était signalée lorsqu’ils passaient le front, des sirènes sonnaient l’alerte et on avait le temps de descendre
dans les caves, le métro ou les abris. Ils ne vinrent jamais au dessus de Malakoff. Contre le canon, il n’y avait aucune défense possible, ses coups étaient très espacés dans le temps et très dispersés sur la région parisienne, il fallait s’en remettre au destin et à sa bonne étoile. Un seul obus tomba près de Montrouge, un soldat qui arrivait en permission fut tué, ironie du sort, si loin du front.

Ce texte a été publié dans L'Union L'Ardennais, en accord avec la petite fille de Louise Dény Pierson, ainsi que sur une page Facebook dédiée voir : https://www.facebook.com/louisedenypierson/

Louis Guédet

Vendredi 29 mars 1918
Vendredi Saint

1295ème et 1293ème jours de bataille et de bombardement

10h matin  Temps froid avec tempête de vent Sud-ouest, glacial. Il fait réellement froid. Nos soldats sont partis à 5h du matin. Visite de M. le curé de Cheppes – St Martin qui me disait que le Docteur Langlet, le Maire de Reims, était à Togny depuis plusieurs jours. Reims serait donc réellement évacué ? Que ce silence est donc angoissant et douloureux. Je vais aller à Togny aujourd’hui ou demain, je serai fixé.

6h soir  Reçu des nouvelles de Reims, indirectement. La pauvre ville est complètement évacuée de lundi dernier 25 courant. Le sacrifice est accompli. Je reste muet et n’ai le courage de rien dire. Je ne le peux même plus. C’est Dondaine qui me l’annoncé brièvement. Et Melle Payart, ma voisine, qui, allée à Paris passer quelques jours n’a pu rentrer. Sa lettre est du 26. Elle est navrée.

Tout est consommé. La page du martyre de Reims et de ses habitants est écrite, finie ! 25 mars 1918, 1291 jours !! depuis les premiers coups de canon sur Reims !

Qu’en va-t-il advenir ? Dieu seul le sait ! Mais n’est-il pas trop loin, ni trop haut ?! Le juge de Paix de Guerre de Reims a fini sa mission. Il est évacué…  comme tous les autres. Et sa mission est remplie. J’attends de nouvelles instructions du Procureur de la République. Que vais-je faire ? Le Maire de Reims étant à Togny, je vais aller le voir pour me mettre au besoin à sa disposition demain. Ce 25 mars, lundi saint, évacuation de Reims, et départ de notre Jean ! Quelle date ! Et ce pauvre Robert. Pauvres enfants ! Que deviennent-ils ? dans cette tourmente ?

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Cardinal Luçon

Vendredi Saint 29 – Assisté à l’Office du matin dans la Chapelle des Sœurs. Reçu proposition de Mgr Pasquier de me retirer à l’Ecole Saint- Aubin à Angers avec Mgr Neveux. Assisté aux Ténèbres. Une bombe lan¬cée de 120 km par le canon allemand la Bertha dans l’église Saint-Gervais, à l’heure de l’Office, 3 h. pendant les Ténèbres. Plus de 75 tués, 90 blessés15.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

La Grosse Bertha ; source : en savoir plus sur-le-canon-grosse-bertha