Paul Hess

Dans la matinée, bombardement du côté de l’hôtel de ville ; on signale des blessés à la maison Mauroy, rue de Mars.

– A 17 heures, les obus recommencent à siffler ; ce sont encore des incendiaires. Les explosions continuent à se faire entendre jusqu’au moment où je regagne la rue Bonhomme, vers 20 h.

Avant de rentrer au n°8, je cause pendant quelques instants, dans la rue, avec Mme Marmotin, Mme Bauchart et son fils Henri, et, le calme semblant revenu, je vais me coucher à 21 h, ayant un grand besoin de dormir. A 21 h 1/2, je suis réveillé par des éclatements tout proches, mais je suis si fatigué et si bien installé dans mon lit que je ne voudrais pas me lever pour rien ; au surplus, il ne fait pas chaud.

Je me laisse donc aller dans le sommeil insensiblement ; deux ou trois des sifflements perçus encore vaguement me font penser chaque fois, d’une façon presque inconsciente : « Ho ! c’est peut-être le dernier », puis je me rendors. Cependant, de nouveaux éclatements ne tardent pas à m’alerter sérieusement ; il ne s’agit plus de dormir, il faut bouger et faire vite, le danger paraît imminent. Avant que j’aie eu le temps d’allumer la lampe Pigeon, une explosion formidable se fait entendre sur l’arrière d’une maison de la rue Cérès, mitoyenne avec le fond du jardin ; assis sur mon lit, disposé dans la salle à manger, j’en ai vu parfaitement la flamme, à quinze mètres à peine, devant mes yeux. Je pense : « Cette fois, c’est le moment », et je commence à m’habiller en hâte ; les sifflements se suivent serrés – les obus continuant à tomber aux alentours, par rafales de cinq ou six – l’angoisse vient, tandis qu’il me faut lacer mes chaussures. Je m’efforce de rester calme pour aller plus vite, et, malgré tout, la violence du tir me fait craindre de n pouvoir m’abriter à temps.

En effet, il ne s’est pas encore écoulé deux minutes, qu’à l’instant précis où j’en suis à boutonner la ceinture de mon pantalon, un choc terrible, une explosion épouvantable, un ébranlement de la maison se produisent simultanément me donnant, en même temps la certitude entrevue comme l’éclair, que tout ce qui se trouve au-dessus de moi va s’écrouler et m’écraser. Quelques secondes s’écoulent. Le m’étais courbé brusquement ; je reste surpris de me redresser si aisément, de ne pas me trouve pris sous des matériaux disloqués. Le plafond n’a pas cédé, je suis pourtant convaincu que la maison touchée par le haut a été démolie en partie ; en même temps que le bruit terrible de l’éclatement du projectile, s’est produit celui de l’arrachement de pièces de charpente et de pierres envoyées de tous côtés. Une pluie de gravats, de plâtras s’est abattue sur la véranda et couvre la cour, et, lorsque je sors pour me rendre enfin dans le sous-sol à deux issues de la maison voisine, rue Bonhomme 10, la rue est également jonchée de débris.

J’appelle, à côté, après avoir sonné et resonné, mais les voisines et voisins effrayés sont descendus du sous-sol dans la cave. je dois attendre des minutes qui me paraissent infiniment longues ; je ne sais si l’on m’a entendu et les obus volent toujours par rafales pour tomber tout près, car des pans de murs s’effondrent sous les chocs dans les ruines, à proximité. Le jeune Henri vient tout de même m’ouvrir et redescend aussitôt auprès de sa mère et de l’autre voisine du n°5, qui se tiennent à la cave. Je préfère rester seul au sous-sol.

Au bout d’un instant, une certaine odeur que je connais bien pour être celle dégagée par les obus incendiaires ne me laisse pas tranquille ; il faut absolument que je voie maintenant quelle maison a été touchée, et de quelle manière. Je vais dans le jardin, m’attendant à trouver quelque indication par une lueur ; ne remarquant rien, je retourne rapidement au n°8, faire une tournée générale. Je puis circuler aux différents étages sans découvrir quoi que ce soit d’anormal. les obus sifflent toujours. je reprends donc vivement le chemin de la maison n°10 et en monte lestement l’escalier. Arrivé sous le toit, je vois alors la brèche faite dans la partie de l’immeuble en surélévation contre l n°8 mitoyen. La toiture a été ouverte par l’explosion d’un obus incendiaire dont un éclat énorme confirme l’éclatement en cet endroit et je constate que six bougies se sont consumées sur place, par-ci par-là, aux divers points de leur chute dans le grenier, l’une d’elles entre autres à dix centimètres à peine de paniers d’osier superposés auprès desquels elle a été projetée. Avant de quitter la place, je prends soin d’examiner minutieusement les coins et recoins ; il n’y a plus aucun danger ; je m’assure cependant du passage du projectile au 3e étage, où deux chambres ont été bouleversées et je descends, trouvant qu’en somme les dégâts sont relativement minimes et que la maison Burnod, comme aussi la maison Ricard, l’ont encore échappé belle.

Les obus tombent jusqu’à 23 heures.

A 23 h 1/2, après avoir fait une nouvelle ronde complète, pour éviter toute mauvaise surprise aux voisines quant aux suites de l’arrivée de cet incendiaire, je réintègre le n°8 et vais me recoucher, mais malgré la tranquillité avec laquelle je me remets au lit et même la si bonne intention de bien dormir, que j’avais eue en rentrant, à 21 heures, je fais une très mauvaise nuit.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

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Cardinal Luçon

Mercredi 28 – Nuit tranquille. Matin 6 h aéroplane. Bombes vers 11 h.

Visite de M. Grondijs, hollandais, qui me donna son livre sur l’invasion allemande en Belgique.

Visite à S. J. B. de la Salle. École professionnelle, à l’Enfant Jésus. Distribution des cigarettes d’Alexandrie.

Visite d’un sous-lieutenant, percepteur dans le midi, frère d’une Sœur de S. Vincent de Paul de la Crèche de Rethel. Bombes, canonnade française formidable. Bombes.

M. Grondijs a vu un Albatros allemand descendu sain et sauf par les aviateurs français à Betheny ; les deux aviateurs teutons ont été faits prisonniers. On a dit qu’un autre avait été abattu. Gare à la nuit ! Et en effet, après un formidable duel d’artillerie dans l’après-midi jusqu’à 7 h, un bombardement d’une violence extrême a commencé à 9 h ½ et dura jusqu’à 10 h ½. Incendie allumé à la maison Miltat, qui toucha la nôtre ; bombe dans notre jardin, près de celle du 9 avril. Éclat énorme dans la bibliothèque, bougies incendiaires dans la cour d’entrée ?

D’après le « Courrier de la Champagne », il y aurait eu 500 bombes.

Visitation, plusieurs blessés : la Supérieure ( ?) enfant Jésus, bombe, à 8 h du matin

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173

Renée Muller

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Renée Muller dans Journal de guerre d'une jeune fille, 1914

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