Paul Hess

23 janvier 1918 – Bombardement. Vers 16 h, éclatements en ville.

— Aujourd’hui, en me rendant à la mairie, j’ai remarqué une équipe de territoriaux, faisant partie du service militaire de protec­tion des œuvres d’art, occupée à l’emballage des « musiciens » qui ont été descellés et descendus de la façade de la maison rue de Tambour, acquise, je crois, par la ville avant la guerre. Les sujets, lorsque je passai, étaient placés dans d’immenses caisses, solide­ment construites, pour être évacuées.

C’est sans doute une équipe du même service que nous avions vue travailler longtemps à garantir la mosaïque gallo- romaine, restée intacte[1] après l’incendie de l’hôtel de ville, dans la salle des mariages, où elle avait été reconstituée dans la position verticale. Des sacs emplis de terre avaient été empilés sur toute la largeur et jusqu’en haut de cet ouvrage d’art ancien qui montait près du plafond quand celui-ci existait. La base de ces sacs repo­sait sur un plancher et un solivage construits spécialement, sur place, mais cette assise, qui paraissait cependant à toute épreuve, avait cédé sous l’énorme charge, au bout de quelques jours à peine et le tout s’était écroulé.

Maintenant, les sacs éventrés pour la plupart et restés amon­celés lamentablement jusqu’au quart à peu près de la hauteur qu’ils devaient préserver, pourrissent sous la pluie, dans la carcasse du bâtiment de la rue de la Grosse-Ecritoire.

Le tableau n’est pas beau à voir — il en est peu qui le soient, à Reims, en ce moment — et celui-ci, au milieu des décombres, est à l’unisson de son cadre.

Mais le laborieux travail des territoriaux est probablement considéré comme terminé, puisqu’on n’y est pas revenu. Il est vrai que les ordres ont été exécutés, et non moins vrai que « ça bom­barde toujours ».

Néanmoins, il ne faut ni se frapper, ni s’étonner de rien, pen­dant la guerre.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
[1] Une deuxième grande mosaïque, de la même époque, installée horizon­talement dans l’une des salles du musée (étages du bâtiment de la me de Mars) enrichissait encore l’intérieur de l’hôtel de ville. Elle avait été détruite, lors de l’in­cendie du monument, le 3 mai 1917.


Mercredi 23 janvier

En Champagne, un coup de main ennemi à l’ouest de la ferme Navarin n’a donné aucun résultat.
Dans la région d’Auberive, nos patrouilles ont ramené des prisonniers.
Sur le front britannique, des tentatives de coups de main ennemis ont échoué à l’est d’Ypres.
Eu Palestine, des patrouilles anglaises out effectué des opérations avec succès dans la région de la côte, faisant des prisonniers. Les aéroplanes britanniques ont renouvelé leurs raids de bombardement sur les camps ennemis et les dépôts de marchandises qui se trouvent près de la station du chemin de fer à 3 kilomètres à l’ouest de Samarie (Sebasdige).
Un aéroplane ennemi a été descendu hors de contrôle. Une machine anglaise a du atterrir dans les lignes turques, mais elle fut détruite par son pilote et l’observateur avant l’arrivée des soldats ottomans.
Dans le Hedjaz, on signale toute une série d’opérations heureuses des Arabes. Au nord de Maan, ils ont enlevé Jouf et Dorovicu, tuant 80 turcs et faisant 200 prisonniers. Un canon de campagne et deux mitrailleuses ont été capturés.
Des coups de main ont été effectués avec succès contre la voie ferrée du Hedjaz, au nord de Maan, vers Chadir el Hadj et Tell Chahm.
C’est sur des mines britanniques, à l’entrée des Dardanelles, qu’a coulé le Breslau et que s’est avarié le Goeben. Les Anglais ont fait 172 prisonniers.
Le comte Seidler, président du Consei1 autrichien, a prononcé un discours à la Chambre de Vienne. Il a refusé de promettre aux Tchèques l’indépendance de la Bohême.
Trotski déclare que les négociations de Brest-Litowsk ne peuvent aboutir, à raison des velléités impérialistes manifestées par les Austro-Allemands.
La conférence ouvrière anglaise s’est ouverte à Nottingham.

Source : La Grande Guerre au jour le jour