Louis Guédet

Mercredi 12 décembre 1917

1188ème et 1186ème jours de bataille et de bombardement

8h1/2 soir  Je suis éreinté. Rentré ici à 1h1/2. Je ne puis à peine me souvenir de ce que j’ai fait depuis, jusqu’à présent. C’est l’affolement ou l’abrutissement.

Parti dimanche matin à midi pour St Martin voir mes aimés et Jean. Trouvé tout mon cher Monde bien portant, Jean très allant. Ces enfants sont étonnants. Passé le lundi et le mardi avec eux tous, même André qui était venu le dimanche de Châlons. Il ne manquait plus que le pauvre Roby et la fête eut été complète. Je ne reviens plus sur ce que Jean nous a conté de Verdun et de plus je n’ai malheureusement pas le temps d’écrire tout cela. Ce matin départ de St Martin à 5h. A Épernay vu à mes affaires. Vu Blondeau à la Banque de France, qui comme toujours a critiqué tout, c’est le genre « Boyard Rémois »… Inutile d’insister.

Causé une seconde avec Charles Heidsieck qui arrivait de Reims avec Henri Abelé. Tout va bien pour le contrat de Robert Heidsieck et la Donation de la Grande Maman Abelé. Vu Paul Barbe à la Banque de France d’Épernay (Paul Barbe, négociant en laines à Reims (1859-1940)). Arrivé ici par un temps merveilleux, avec accompagnement de canons et d’obus.

A la descente devant chez Dor place d’Erlon, Guichard m’attendait pour me communiquer une lettre de Lenoir député de Reims au sujet de mon fameux déplacement de Reims comme juge de Paix… Je transcris à peu près la lettre adressée à Guichard sur mon sujet : « Dites à Guédet que je ne lâche pas le morceau. J’ai vu le Garde des Sceaux qui m’a promis de laisser les choses en l’état. Je sais d’où vient le coup, mais nullement du Tribunal ! »

Voilà une question réglée, et je suis enchanté que mes juges de Reims ne soient pour rien dans cette affaire ! Vraiment cela m’eut fait de la peine.

En arrivant ici…  à mon refuge ! un fatras de lettres. Bonne Madame de Vroïl, toujours charmante. Lettre du Procureur de la République m’annonçant que j’ai été désigné pour faire partie de la commission de reconstitution des archives, minutes, etc…  pour les pays envahis avec Faupin et lui… Siège à Châlons… Cela me fait encore plaisir, car je vois que le Procureur de la République m’estime et m’aime. Je conterai cela à Bossu qui en sera certainement heureux pour moi.

Madame Girard-Amiot de Saumur me demande très gentiment de faire parvenir des chasubles et autres objets pour Merfy et St Thierry. Ce sera facilement fait. A peine arrivé reçu 4 souscriptions à l’Emprunt. Trouvé sur ma table (bureau (?) ?) un écrin avec une carte de M. Gilbrin de la Banque de France, cet écrin contenait une médaille d’argent grand modèle (0,065 m) de la Gallia de Roty, frappée spécialement pour la Banque de France à l’occasion du centenaire (1800 – 1900). Elle est jolie vraiment et je suis très touché de ce geste…  sous les bombes. Il est vrai que j’ai recueilli de l’or pour la France, au nom de la Banque de France pour la Victoire sans borne !…

La Banque de France a fait graver mon nom au revers, tout cela fait et paré d’une façon très sobre et bien artistique. C’est bien, et beau, le beau que j’aime, ainsi que ce sobre.

Après avoir ouvert mon courrier, couru au Bon Pasteur, rue Gambetta, où on me demandait. Rassuré les bonnes religieuses et bavardé longuement avec la Mère Supérieure, d’un profil supérieurement gracieux, splendide, quel spectacle radieusement joli que cette Religieuse et sa compagne m’ont donné durant ces instants ! C’est certes un avant-goût du Ciel pour lequel elles souffrent ici bas ! Et durant ces instants les obus sifflaient, le canon grondait tout près, et moi…  je causais avec le Ciel Gracieux, Glorieux !

Madame la supérieure du Bon Pasteur de Reims et Madame l’assistante, pardonnez-moi ce témoignage respectueux de notre admirable courage dont vous avez fait preuve depuis 1914. Votre juge de Paix de Guerre vous devait bien cela, et vous le doit, pour l’avenir, la Postérité.

Rentré enfin définitivement chez moi. Travail fou, et résultat pas rien ou presque rien, en tout cas mes audiences sont préparées… Je n’ai plus qu’à écrire les lettres !!!… Quel tas devant moi.

Appris en sortant la naissance d’une fille de Marcel Heidsieck (Marie Heidsieck (1917-1994), épouse de Marcel Auguste-Dormeuil (1911-1983)). Le grand-père Charles Heidsieck mon vieil ami ne parait pas enchanté, il eut préféré un garçon. A ce sujet singulière remarque : pour cette famille Heidsieck, de 2 générations en 2 générations les ainés alternent les mâles et les femelles. Appris aussi la mort tragique de Melle Jeanne Givelet (Balsamie Jeanne Marie Givelet, née en 1861 et décédée à Cormontreuil le 10 décembre 1917), sœur de mon ami Pierre Givelet, Directeur des verreries de Courcy, actuellement à Lyon dans des usines de Guerre et marié à la sœur de M. Charles Heidsieck. Tuée par un obus à Cormontreuil, près de Reims où elle était venue pour sauver quelques souvenirs de famille dans la vieille maison de campagne familiale. Quelle tragédie ! Venir se jeter dans la…  gueule d’un obus !… Une fille de M. Legrand son beau-frère a été épargnée. Encore un deuil dans cette famille éprouvée…  déjà trop.

9h1/2 soir  Il faut se coucher ! mais auparavant j’ai encore à mettre au point des allocations en appel pour demain à voir avec Albert Benoist qui m’a parlé du procès des cyanamides contre Gall et autres, un chantage. L’arrestation de Caillaux va peut-être y mettre un frein. Je m’arrête, je n’en puis plus. Je suis fourbu. Et ajoutez à cela la bataille qui gronde. Il parait qu’hier soir il y a eu une forte alerte. Enfin en verrons-nous la fin.

Dieu nous protège, Dieu protège les miens, mes chers adorés. Qui ne savent pas comme je les aime.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

12 décembre 1917 – Nuit passée assez tranquillement, malgré canonnade presque ininterrompue.

Attaque allemande, dans la matinée (9 h) et canonnade très sérieuse ; son bruit est tel, qu’en criant, nous nous entendons à peine, au bureau.

Aéros au cours de la journée. Tir sur avions et nouvelle canonnade de nos pièces pendant l’après-midi.

A 18 h 3/4, l’artillerie déclenche encore brusquement un tir très violent sur Brimont-Fresne, qui dure vingt minutes, puis le calme revient.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Mercredi 12 – Nuit tranquille. – 2°. Temps couvert. A 9 h. canonnade française. Gaz lacrymogènes, ce matin à Porte-Paris.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. Par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173