Louis Guédet
Samedi 17 novembre 1917
1163ème et 1161ème jours de bataille et de bombardement
9h1/2 matin Nuit calme. Temps gris bleuté élevé, froid. Je reçois à l’instant la lettre de M. Gilbrin, Directeur de la Banque de France de Reims, et qui doit être publiée par cette Banque.
Banque de France
Epernay 16 novembre 1917
Succursale d’EpernayM.G.
A Son Eminence le Cardinal LuçonEminence,
J’ai l’honneur de vous adresser les prospectus du 3e Emprunt de la Défense Nationale qui doit avoir lieu du 26 novembre au 16 décembre.
En vous demandant de les envoyer également à votre clergé, la Banque de France vous serait particulièrement reconnaissante d’adresser un appel à vos suffragants et aux fidèles du diocèse qui ne resteront pas insensibles aux paroles éloquentes sorties de votre cœur de grand patriote.
Les mêmes paroles du Doyen des Cardinaux auront certainement un grand retentissement en dehors de votre diocèse et vous rendrez à nouveau, Monsieur le Cardinal, un grand service à la France.
Daignez agréer, Éminence, le respectueux hommage de votre dévoué serviteur.
Le Directeur de la Succursale de Reims
Gilbrin
25, rue Radziwill – Paris 1e
Je porterai cette lettre au Cardinal cet après-midi vers 2h.
5h1/2 soir Peu de courrier et rien appris. Vu tout à l’heure S.E. Mgr Luçon pour lui remettre le pli de la Banque de France ci-dessus copié « in extenso ». Le cardinal a toujours été affectueux… mais j’ai deviné que cette démarche de Gilbrin et Dubosc d’hier l’avait un peu gêné (ce que m’a confirmé l’abbé Lecomte que j’ai vu après) et voici pourquoi : Ces Messieurs demandaient une lettre, un mandement qui peut être interprété par eux comme un appel de la part de Mgr Luçon à tout le clergé et l’Épiscopat de France, or le Cardinal m’a dit très nettement qu’il ne pouvait faire cela, et c’est ce que n’ont pas compris Gilbrin et Dubosc. J’écris à ceux-ci pour leur faire bien sentir cette nuance. En tout cas la lettre sera faite et envoyée à tout le clergé du diocèse. C’est le principal. Le reste sera une question de doigté de la part de la Banque de France, et comme je l’écris à M. Gilbrin à celle-ci de monter que sa diplomatie peut égaler la diplomatie romaine. En quittant le cardinal vu l’abbé Lecomte avec qui j’ai mis l’affaire au point, et à qui j’ai pu dire plus facilement et sans fard ce que la Banque de France voulait et obtenir de lui déjà l’esprit de ce que sera l’esprit de cette lettre dans le cerveau du Cardinal Luçon. Bref çà ira. Çà colle… Et puis je veillerai au grain.
Rentré de ce pas chez moi. Rien d’extraordinaire dans les journaux, si ce n’est la constitution définitive du ministère Clemenceau. C’est Nail, député du Morbihan, avocat, qui devient Ministre de la Justice (Louis Nail, radical socialiste, décédé accidentellement après avoir été renversé par une voiture à Paris (1864-1920)). (Rayé). Souhaitons que Clemenceau montre sa poigne et sabre toute cette bande, Caillaux, Bolo, Turmel et Cie.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 17 – Nuit tranquille. + 6°. Brouillard ; visite de M. Guédet pour l’Emprunt.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Samedi 17 novembre
En Belgique, les Allemands ont tenté d’enlever l’un de nos points d’appui au nord de Veldhoek. L’attaque a complètement échoué et a valu des pertes sensibles à l’ennemi.
Sur le front britanniqne, un coup de main a été exécuté avec succès au nord-est de Sampoux par des troupes du Worcestershire.
Les Italiens ont tenu sur tout leur front, du Stelvio à la mer et même contre-attaqué sur plusieurs points. Ils ont tendu sur la Piave de larges inondations qui ont arrêté l’ennemi.
Les troupes britanniques de Palestine sont arrivées à 5 kilomètres de Jaffa et menacent de plus en plus Jérusalem.
Le cabinet Clemenceau s’est constitué.
Source : La Grande Guerre au jour le jour
Clemenceau