Louis Guédet
Samedi 22 septembre 1917
1107ème et 1105ème jours de bataille et de bombardement
6h1/2 matin Nuit calme, mais combat assez violent vers 4h1/2 du matin, côté Pompelle, je crois, car de ma chambre il m’est difficile de distinguer si la bataille a bien lieu vers Pompelle (sud de Reims), ou vers Courcy – Brimont (nord de Reims), effet d’acoustique assez bizarre, question d’orientation de la maison face sud-est, et sur rue derrière, rue Boulard, nord-est. Entrée rue des Capucins 52 est, et ouest proche Maison Ducancel, qui ne permet pas de fixer les bruits lointains qu’on ne peut établir que sorti dans la rue, et puis la maison étant à tous vents les bruits viennent par les issues et changent de direction aussitôt.
Ce combat cesse vers 6h, heure à laquelle je vais rue du Couchant, à la messe de l’abbé Divoir, dite pour Maurice Mareschal, dont c’est la fête aujourd’hui. Et dans 2 mois, encore un 22, ce sera la 3ème anniversaire de sa mort. Trois ans !! Lui du moins est bien heureux !! En arrivant à la Chapelle la messe commençait, et j’étais le seul assistant, ensuite sont arrivées 3 personnes, dont Melle Lambin (à vérifier) rue du Jard, 84, et l’abbé Lecomte qui maintenant dit sa messe ici depuis une 15aine (quinzaine) de jours, les sœurs de la Visitation, rue de l’Equerre 8, dont il était l’aumônier, ayant quitté Reims définitivement.
Rentré à 6h1/2, il fait froid, mais la journée sera encore une belle journée d’automne, rayonnante de soleil !
9h matin Travaillé un peu et lu le journal « Petit Parisien » que je reçois tous les matins, c’est le seul qu’on distribue dans mon quartier, et en lisant un conte de Françoise Ollivier, et, Dieu me pardonne ! je viens de rire en le lisant ! Rire ?! Il y a bien longtemps que cela ne m’était arrivé !! J’en suis presque honteux et j’en ai les larmes aux yeux. Rire en ce moment ?! C’est presque un scandale ! Et mes soucis et mes épreuves et mes chers aimés qui souffrent !! Pardonnez-le moi mon Dieu !! Et voici ce que dit ce conte : Une pauvre femme attend son mari mobilisé qui vient pour la première fois en congé. Elle astique la maison et tout en rangeant elle s’arrête devant une chaise sous laquelle se trouve une paire de pantoufles, immédiatement contre la porte d’entrée. Cette chaise et ces pantoufles avaient été l’objet de bien des scènes de ménage. Madame, qui avait horreur de la boue, exigeait que Monsieur, avant d’entrer dans son « home » se déchausse immédiatement sur cette chaise quelque temps qu’il fasse. Devant cette chaise cause de tant de petites disputes, Madame réfléchit, et prise d’une bonne pensée retira chaise et pantoufles pour bien monter à son cher époux qu’elle l’ennuierait pas avec cela désormais. Le mari devait arriver la nuit et aussi avait prié sa femme de ne pas l’attendre. Arrivé avec 2 heures de retard, notre poilu arrive chez lui et ne voulant pas réveiller sa jeune femme, ouvra sa porte, et songeant à la chaise légendaire s’assied pour se déchausser, humble hommage à la ténacité de sa chère moitié ! Mais patatras, mon homme roule par terre, en jurant sacrant. Il veut se relever, mais ses souliers ferrés glissant sur le parquet trop bien ciré et auquel il n’était plus habitué, son casque heurte la muraille, retombe sur son bidon, bref un tapage infernal qui réveille la femme qui accourt toute effrayée de ce tapage et voit son mari empêtré dans son harnois ce qui en guise de joyeux horions lui crie d’un ton furieux : « Nom de nom, pourquoi bon sang ! as-tu retiré la chaise !!! » Et voila comment les bonnes intentions peuvent tourner être prises en mal !! Voir. Et j’ai ri… oui. J’ai ri, mais mon rire m’a effrayé. Je ne l’avais Je ne m’étais pas entendu rire depuis 3 ans !!! et j’ai aussitôt pleuré. Pardonnez-moi mon Dieu !! en songeant à mes aimés qui souffrent et qui, eux aussi, ne savent plus ce que c’est de rire… Rire ??… Rire !! Tandis que je suis au milieu des ruines, des pleurs et dans le sang !! Mon Dieu !!
1h1/2 Reçu lettre du 17 de Jean me disant qu’il est descendu plus à droite (Vers Douaumont et Vaux sans doute) et plus au calme et mieux installé. Robert de même. Il conte très drôlement l’émoi du régiment et des officiers qui venaient pour la relève devant l’installation sommaire qui n’avait rien du luxe dont ces embusqués jouissaient depuis 3 ans ! (Quel régiment cela peut être ?) et qui s’écriaient devant le lit (?) de Jean : « Nous ne pourrons jamais tenir à 2 là-dedans ! » Et lui de répondre (je le crois) : « Nous y couchons à trois !… » Il parait que pour les tirs ces musqués étaient grotesques : Leur lanterne de Direction de tir s’éteignant, au lieu de continuer à tirer ils cessaient le feu en attendant que le lumignon soit rallumé !! Pour les tirs en cadence ils prenaient leurs montres et comptaient les secondes pour chaque tir !! en salve !…
Je ne leur souhaite qu’une période à cela, que mon pauvre Jean et mon pauvre Robert viennent de traverser ! Cela les dressera ! Tas de musqués ! (Rayé) n’est-ce pas (rayé).
5h du soir Sorti après-midi, passé à la Poste, chez Mme d’Hesse (boulangerie d’Hesse) rue de Tambour pour payer les fleurs mises sur la tombe de Maurice Mareschal. Elle a pris le culot du 105 trouvé dans la chapelle du cimetière du Nord de ce pauvre Maurice. Elle doit l’envoyer pour le conserver pour René et Henry. De là passé à la Ville, causé quelques instants avec le Maire et Raïssac. Enfin été au cimetière du Nord à la chapelle de Maurice. La gerbe était bien. Rentré par le boulevard de la République et la place d’Erlon. Les Promenades sont transformées en forêt vierge !! Hélas !! Que de tristesses.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 22 – Nuit tranquille à Reims. Ciel sans nuages. Visite du Major de la Place annonçant que la Visite du Duc de Connaugth est ajournée. Probablement il veut féliciter les troupes anglaises de leurs succès dans le nord à Test d’Ypres(1).
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Le duc de Connaugth est un neveu par alliance du roi George V. L’offensive franco-britannique des Flandres se terminera très difficilement par la prise de Passchendaele, le 6 novembre 1917.
Samedi 22 septembre
Nous avons aisément repoussé des coups de main ennemis au nord de Vauxaillon, dans le secteur de Cerny et sur le front de Verdun, vers Lamorville et Béthincourt.
En Champagne, activité d’artillerie dans la région des Monts. Une attaque allemande sur le mont Haut a été dispersée par nos feux avant d’avoir pu aborder nos lignes. L’ennemi a subi des pertes sérieuses.
L’offensive anglaise de Flandre, à l’est d’Ypres, s’est développée sur un front de 13 kilomètres, entre le canal d’Ypres à Comines et la voie ferrée d’Ypres à Stades. Nos alliés ont obtenu un succès considérable, conquérant les positions de grande importance et infligeant à leurs adversaires de lourdes pertes.
Les premiers objectifs furent atteints de bonne heure : ils consistaient en points d’appui bétonnés et en fermes organisées. Le bois d’Inverness, le bois de Glencorse et Nonne Bosschen furent pris d’assaut, ainsi que les fermes de Potsdam, de Vampir et le point d’appui de Gallipoli. A droite, il y eut un violent combat au nord du canal d’Ypres. Au centre, le gain fut de 1600 mètres en profondeur. Au nord, Zevankote fut enlevé. Le nombre des prisonniers dépasse 2000. Les pertes britanniques sont légères.
Sur le front russe, on signale toute une série de combats aériens, et des bombardements par avions.
Le croiseur anglais Glasgow, arrivé à Buenos-Aires, a été acclamé par la population, dont la colère monte contre l’Allemagne.