Louis Guédet
Dimanche 30 septembre 1917
1115ème et 1113ème jours de bataille et de bombardement
8h1/2 matin Nuit assez calme. Vers 5h bombardement vers Cérès, qui m’a tenu éveillé jusque vers 6h, et à peine rendormi qu’il me faut me lever pour la messe de 7h, dite par l’abbé Divoir. Peu de monde, pas d’autres prêtres. Pas de sermon, le Salut final.
Hier M. Houlon nous contait dans le cabinet du Maire que des soldats du 3ème Génie commandés par un sergent étaient venus lui demander des plaques de fonte, et comme il avait à peu près ce qu’ils désiraient, il leur demanda de venir avec lui au Port-sec pour les prendre. Têtes des susdits, et le sergent de dire : « Mais c’est dangereux là-bas, çà bombarde ! » Houlon de leur répondre : « Oui, mais si vous voulez prendre ces plaques, il faut venir les chercher avec moi ! » Palabre, hésitations !! Bref le gradé de tirer presque au sort pour… y envoyer 2 de ses hommes, tandis que lui… resterait là à attendre !!… C’est bien sous-off !! Cela. Triste peuple… et combien d’exemples comme celui-ci. Bref Houlon partit avec les 2… sacrifiés quérir ces fameuses plaques de fonte !… Ils revinrent sains et saufs !
5h soir A la Poste à 10h on me signale un entrefilet du Petit Rémois au sujet de la décoration de Jean et sur moi : « Tel père, tel fils ». Rien à dire. Rien à faire. Carte de M. Bossu, heureux de sa traversée, et de sa nouvelle résidence. Il me dit avoir écrit le jour même à Herbaux, toujours pour mon affaire, avec des articles de journaux. Il est temps que cela finisse, c’est ce que je lui écris et dis. Qu’on se hâte ! Et qu’on ne parle plus de moi. Répondu à toutes ces lettres, et portées à 2h. Acheté « Écho » chez Michaud. Causé un instant avec l’abbé Camu 6, rue du Clou dans le Fer, qui était à sa fenêtre, des événements, de toutes sortes de choses, affaires Monier (Ferdinand Monier, Président du Tribunal de 1ère Instance de la Seine, lié avec Bolo), Turmel, Bolo et autres jouisseurs semblables, en en concluant que nous ne sommes pas encore prêts à être délivrés, victorieux et avoir la Paix. Toutes nos pensées ne sont pas gaies, loin de là !!
Rentré chez moi pour mettre la dernière main à ma valise, et souffrir en silence, seul, isolé, sans encouragement, avec la mort dans l’âme et à chaque instant suspendue au-dessus de ma tête !! Quelle vie ! Quelle obsession lancinante, mortelle !
8h soir Je relis l’entrefilet « Tel père, tel fils » du Petit Rémois d’aujourd’hui. Il y a du cœur de sa part, et mon Dieu, je lui en serai reconnaissant car il a fait vibrer la corde sensible !… non pas les coups d’encensoir sur mon nez ! loin de là, mais celle que tout Père a pour son fils quand il a de l’Honneur, qu’il est Brave et qu’il fait son Devoir, (comme son 2nd frère Robert qui est aussi décrochera un jour sa Croix de Guerre) et le Petit Rémois dit avec juste raison dans la finale cette phrase : « Le jeune Jean Guédet a le droit d’être fier de son père comme son père est fier de lui ». Oui, je suis fier de mon Jean, de mon Robert, de mes 2 braves sous Verdun ! « Foin de Moi » (Racine, Plaideurs, II, 5) çà n’a pas d’importance, mais nos petits tiennent de la race des Guédet et des Guériot (ancêtres paternels à St Martin-aux-Champs).
Quant au paragraphe précédent cette finale, hum ?! Comme je l’écrivais sur une carte de visite à Guiot : « Merci pour mon Jean, mais tudieu ! vous allez me faire fusiller !… »
Voilà le texte : « M. Guédet est encore un de ces vaillant Rémois dont « les officiels » semblent peu se soucier mais qui dédaignent les stupides hochets et qui se contentent de l’estime et de l’admiration de leurs concitoyens ».
L’estime ? soit ! J’en suis fier et heureux si c’est exact, mais l’admiration !!!! Non, j’aime mieux un 420 que ce coup… d’encensoir ! Qui m’incite à l’orgueil !!! Bienvenu, mon ami, tu exagères !!
Néanmoins… merci ! de tout cœur pour mon Jean !!… Mais que vont penser et dire Dramas ? Beauvais, Guichard et Cie ?? Je ne puis qu’être fusillé… dans toute cette histoire… !? après tout, les Boches ont bien failli m’envoyer 12 balles dans la peau (rayé). Alors… le 3ème coup fait… feu !! Dit-on !…
Le Petit rémois où a été publié cet article figure en pièce jointe de ces Mémoires, il est daté du dimanche 30 septembre 1917.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Dimanche 30 septembre 1917 – Très beau temps.
Promenade, l’après-midi, pour la première fois hors des limites de Reims, en compagnie de MM. Vigogne et Pouleteaud, par Saint-Brice, Tinqueux, le Mont Saint-Pierre et la route de Paris.
Nous rencontrons sans qu’ils aient cessé de se faire entendre une forte canonnade devant Reims et le bruit des mitrailleuses vers Courcy.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Dimanche 30 – + 9°. Nuit tranquille sauf coups fréquents de mitrailleuses, fusils ou grenades. Journée assez tranquille. Visite de M. le Curé de S. J.B. de la Salle.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Dimanche 30 septembre
Aucune action d’infanterie.
La lutte d’artillerie a pris une assez grande intensité sur le front de l’Aisne, notamment dans les secteurs du Panthéon et d’Hurtebise.
Sur la rive droite de la Meuse, le bombardement continue, violent de part et d’autre, dans la région au nord du bois le Chaume. Deux avions allemands ont été abattus par nos pilotes.
Des escadrilles ont bombardé les terrains d’aviation de Staden, Roulers, Cortemark et les cantonnements de la région.
Sur le front belge, activité d’artillerie normale. De nombreuses patrouilles allemandes ont tenté de faire des incursions dans les lignes de nos alliés. Leurs tentatives ont été vaines sauf sur un point, d’où l’agresseur a été, d’ailleurs, aussitôt chassé.
En Macédoine (Strouma et Vardar), activité d’artillerie assez sérieuse de part et d’autre. Rencontres de patrouilles sur la Strouma et dans la vallée de Devoli.
Les Russes ont perdu un contre-torpilleur qui a coulé sur une mine.
Les troupes italiennes, par un coup de main bien réussi, ont rectifié leur ligne entre la Serra di Dol et les pentes nord du San Gabriele. Elles ont capturé 8 officiers et 216 hommes. Malgré les retours offensifs de l’adversaire, elles ont maintenu leurs positions. Les avions italiens ont bombardé la zone de Voichazza (Carso) et la place de Pola.
Source : La Grande Guerre au jour le jour