Louis Guédet
Vendredi 3 août 1917
1056ème et 1054ème jours de bataille et de bombardement
5h soir Temps froid, pluie continuelle qui amène de la lourdeur dans l’atmosphère. Le calme toute la nuit et la journée jusqu’à maintenant, journée monotone. Vu après-midi le sous-préfet qui est assez déconfit de la mort de Martin, son secrétaire en chef, ce qui fait qu’il est complètement démonté comme personnel. Il m’a demandé de m’occuper de la confection et de la mise au point des dossiers de commission d’appel pour les allocations militaires, ce que je faisais du reste, car Gauthier qui s’en occupait à la sous-préfecture était un vrai brouillon, et il me fallait revenir sur tout. Bref le travail me sera facile, Gauthier ayant donné sa démission – Le peur quoi – J’ai consolé le brave Bailliez en lui disant que c’était une petite perte. Il pense transporter sa sous-préfecture à Aÿ. Est-ce son dernier exode ?
Poussé à la Ville où Compagnon (Inspecteur de Police) m’apprend qu’il a déjà 32 procès de bicyclettes pour défaut d’autorisation Militaire !! Quels idiots. Je vais tâcher de trouver un moyen d’arrêter ce beau zèle ! Si encore ils accordaient ces autorisations à tous ceux qui en ont réellement besoin, mais non, ils tapent dans le tas comme des sourds et des imbéciles et des brutes. J’en ai causé au Maire qui se dit impuissant. Il m’a dit que l’autorité militaire ne voulait accorder cette autorisation qu’aux fonctionnaires !! Et les pauvres malheureux ouvriers ??!!… qui se servent de leurs machines pour arriver plus vite chez eux ou à leur travail, et qui en outre faisaient ainsi leurs courses avec le minimum de danger des obus parce que moins de temps exposés.
Lettre de ma chère femme, heureuse de revoir ses débris de meubles, mais bien triste du départ de Jean et de sentir ses 3 combattants, comme elle nous nomme, exposés.
Aujourd’hui nous entrons dans la 4ème année de Guerre. Déjà 3 ans et quelles années !! Comment ai-je vécu ce cataclysme ?! Et ne pourrais-je pas y succomber, et puis je me demande si jamais nous verrons la fin de cette Guerre ?…
Signé des légalisations pour la Ville et l’employé qui me les apportait, Monbrun (décédé chez lui le 28 février 1918 par des obus asphyxiants), du bureau militaire, qui par ses allures me rappelle la silhouette de Pons-Ludon, mais celui-ci est casqué !!! (Aubin Louis Hédouin de Pons-Ludon de Malavois, Homme de lettre, érudit, misanthrope affichant un profond mépris des habitudes et des modes, il en est devenu légendaire à Reims(1783-1866)) de la Bourguignotte ! et non du grand Haut-de-forme de 1830 ! Il faut le voir devant soi, chaussures éculées, pantalon en tire-bouchon, et sur le tout un pardessus trop long déboutonné, volant au vent avec une liasse de papiers émergeant de ses poches, le dos voûté, et dodelinant, et au-dessus de tout cela, un casque !! Bref Pons-Ludon transformé en guerrier !! Brave Monbrun, il ne sait combien il m’amuse, me réjouit quand je le vois déambulant par nos rues désertes. Je me crois transporté dans le vieux Reims de 1830 aux rues désertes, mystérieuses et toutes les charmes de cette époque.
Tout en signant, lui séchant mes signatures avec le buvard, le brave Monbrun bavardait, bavardait enchanté que je l’écoute. Il me contait qu’on allait citer nos braves petites laitières si courageuses, si crânes. De fil en aiguille la conversation glissât sur les décorations et les décorables, et comme je prononçais le nom de Gustave Houlon, à qui elle est plus que due, il s’écria : « Oh ! M. le juge de Paix, jamais il ne l’aura ! » – « Et pourquoi ? » dis-je… « …Çà, c’est de la Politique, mais je l’ai entendu… Haut-Lieu !!… » Je n’insistais pas, car ce Haut-Lieu me disait nettement d’où viendrait le veto !! C’est regrettable que le Maire, les adjoints, Guichard Vice-président des Hospices s’y opposent, car ma foi si Houlon ne l’a pas méritée plus qu’eux il l’a tout au moins autant méritée…
Mon Pons-Ludon guerrier me quitte là-dessus. Pardessus volant, flottant, paperasses émergeant victorieusement mouvantes de ses poches et casque en tête !!… J’oubliais le masque contre les gaz en sautoir !! Brave Pons-Ludon, non, brave Monbrun !! Pons-Ludon de Garde national devenu Poilu !!… Civil !! C’est moins décoratif !! mais ce n’est pas moins… charmant pour moi, et cela me rapporte comme les effluves, les réminiscences des « Misérables » dont mes soirées de jeunesse se sont, ont été éclairées.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
3 août 1917 – Journée calme.
Bombardement vers la Haubette, au cours de la nuit.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Vendredi 3 – + 14°. Nuit tranquille. Via Cruels in Cathedrali. Journée de pluie, tranquille, sauf de 9 h. soir à 11 h. Fréquents obus autrichiens allant tomber je ne sais où, mais loin d’ici.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Vendredi 3 août
En Belgique, le mauvais temps continue.
Grande activité de l’artillerie à l’est de Braye-en-Laonnois, à l’ouest de Craonne.
Dans la région d’Allemant, au cours d’une opération de détail, nous avons fait 24 prisonniers et pris une mitrailleuse.
A l’est et au sud-est de Reims, l’ennemi a tenté deux coups de main sans résultat.
Sur la rive gauche de la Meuse, violente lutte d’artillerie. Les Allemands ont renouvelé sans résultat leur attaque dans le secteur du bois d’Avocourt. Des coups de main ennemis dans cette même région, ainsi qu’en forêt d’Apremont, au sud-est de Saint-Mihiel, ont complètement échoué.
Sur le front anglais des Flandres, l’ennemi, qui avait réussi, au prix de pertes élevées, à prendre pied dans les positions avancées de nos alliés, vers la voie ferrée Ypres-Roulers, a été entièrement rejeté par une contre-attaque. Nos alliés ont repris possession de la totalité de la ligne.
Ils ont exécuté avec succès un coup de main au sud-est d’Hargicourt et fait des prisonniers.
Le gouvernement russe a adressé une circulaire télégraphique à ses représentants auprès des Alliés pour affirmer sa volonté de continuer la guerre avec vigueur.
Source : La Grande Guerre au jour le jour