Louis Guédet
Mercredi 15 août 1917
1068ème et 1066ème jours de bataille et de bombardement
5h soir Nuit tranquille, un peu dormi. Pluie et pluie d’orage toute la journée. Et nos pauvres soldats se battent par ce temps !! Messe de 7h rue du Couchant. Grande Messe chantée dite par un aumônier militaire qui a fait un petit sermon, ma foi très élevé, sur la confiance en la Victoire, etc… La ritournelle habituelle, en attendant nous recevons des bombes et les Rémois sont tués.
Hier soir une victime au Commissariat du 1er canton rue des Capucins, 26, une devant chez Ast le boulanger place d’Erlon, 1, sa fille la plus jeune tuée (Gabrielle Ast, fille de Louis et de Marie-Françoise Ast (1896-1917)). Je quitte les parents, leur douleur est navrante. Si c’était la dernière victime innocente !!!
Travaillé un peu, reçu mon courrier. Lettre de Madeleine et de mon Robert, c’est un bien bon enfant. Il se plaint du peu de nouvelles qu’il reçoit de Jean, toujours aussi indolent. Je lui ai répondu. Lettre de Bossu, mon cher Procureur, que je regrette de plus en plus. Le nouveau n’est plus çà !! Hélas. Il va à Paris le 18 et il compte rentasser le clou pour moi sur Hindenburg (allusion à la ligne de défense Hindenburg construite par les allemands dans le Nord de la France pendant l’hiver 1916 – 1917), non je me trompe, sur Herbaux et Leroux. Je souhaite qu’il arrive à les déterminer à me faire nommer de suite… même seul. J’en ai assez d’attendre, d’autant qu’autour de moi on clabaude (protester de façon malveillante) et on va jusqu’à dire que je ne le serai jamais ! Çà musèlerait ces gens-là, ce qui ne serait pas une mauvaise chose… Adèle est revenue sur sa décision et reste… mais cela tiendra-t-il ? J’ai bien peur qu’à la 1ère bombe assez proche elle me file… me laissant là en plan… Enfin attendons et souhaitons que bientôt nous soyons délivrés, ce serait la vraie solution…
Nous arrivons au feuillet 553. Jusqu’ici les feuillets étaient tous numérotés en chiffres romains, régulièrement doublés en chiffres arabes. Pour un repérage plus facile il décide de les abandonner pour utiliser uniquement les chiffres arabes. Le paragraphe suivant est écrit en travers, en haut à gauche du manuscrit.
553 Adieu les chiffres romains… Je n’aurais jamais cru que j’aurais été obligé de numéroter ces notes jusque là. 20 juin 1917 lassitude découragement en attendant le désespoir de toute victoire et même succès. Ceci prouve ma, je devrais dire notre lassitude !
Je suis fatigué, et puis tous ces ennuis et soucis ne sont pas pour me remonter le moral. Je suis fiévreux continuellement. Pourvu que je ne tombe pas malade !!
7h soir On s’est battu fortement du côté de Cornillet à partir de 4h, et cela parait vouloir reprendre. Pourvu que nous n’en recevions pas les éclaboussures !…
15 Août !!! Il me remémore qu’à pareille date avec les enfants, Maurice tout petit, pour la fête de Marie-Louise il y a 6/7 ans, on avait rapporté des « lapins de Cheppe » (ouverture de la chasse aux lapins), un genièvre que nous avions planté tous ensemble dans le jardin de St Martin. Hélas !! pensions-nous, songions-nous à toutes les tortures, misères, angoisses, souffrances qui nous attendaient. Un genièvre planté au 15 août !! Il y avait des chances pour qu’il ne reprit jamais, et cependant il verdoie et grandit, grandit !! Puisse-t-il être un présage de la fin de nos souffrances. Genièvre du 15 août de Marie-Louise (on l’appelle « 15 août ») verdoie, grandit et soit un présage de bonheur pour cette pauvre petite, pour sa chère Mère et ses frères, que bientôt nos soyons tous réunis et unis, (rayé) dans la joie, le bonheur et la paix de se retrouver tous… et avec un avenir joyeux, prospère, plus que fortuné, pour eux les chers aimés !! Je ne désire que cela, et rien pour moi. Eux avant tout… moi, je ne compte pas, je ne veux pas compter, à moi toutes les souffrances, toutes les tortures, à eux toutes les joies, tous les bonheurs, toutes les splendeurs. 15 août ! mon Genévrier vit, vit, verdoie et prospère et soit l’emblème du bonheur de tous les miens et que, moi mort, ils aient un souvenir aimé en passant près de toi comme je le ressens chaque fois que je vais à St Martin, dans les siècles des siècles… car je désire tant que ce pauvre St Martin, qui est après tout le notre suprême refuge, reste toujours à mes enfants. Il y a déjà 150 ans qu’il est le refuge des de Guériot, pourquoi n’y resterait ne le serait-il pas toujours, toujours pour nos petits et que chaque arbre, chaque arbuste planté par nous qui moi dans ce sentiment ému de la tradition et du souvenir, ne fasse revivre dans mes dans la pensée de mes chers aimés un souvenir de leur Père et de leur Mère qui les a tant et tant aimés. Genièvre « 15 août », porte-nous tous bonheur. Protège-nous aux pieds de la Vierge Notre Dame de France !!… la Victorieuse !…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Mercredi 15 – Assomption de la Sainte Vierge. + 16°. Aucun office. Nuit assez tranquille. Matinée tranquille. A 1 h. 30, plusieurs obus très gros dont quelques-uns tombent très près. Expédié au Vatican lettre réponse aux allégations allemandes ; poste de radiotélégraphie, télégraphie, d’observation. Vers 4 h. 1/2 à 5 h. 1/2, orage, pluie. De 8 h. à 10 h. soir, obus en ville, dans la maison Gosset Hannier, autour de chez M. le Chanoine Lecomte. Le Pape propose la Paix.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mercredi 15 août
Au cours de la journée, la lutte d’artillerie a pris par moments une grande violence en Belgique et sur les deux rives de la Meuse. Des coups de main ennemis sur nos petits postes à l’est de Cerny, du bois des Caurières et dans le secteur de Carspach, ont été aisément repoussés. Nous avons fait un certain nombre de prisonniers.
L’aviation belge a exécuté des tirs de destruction heureux contre l’artillerie ennemie. Celle-ci a réagi sur certaines des tranchées de nos alliés et sur leurs voies de communication; elle a lancé des obus à gaz dans la région de Ramscapelle.
La région de Furnes a été bombardée. L’ennemi a attaqué la ligne britannique à l’est de Westhoeck. Prise sous le feu de l’artillerie lourde et de l’infanterie, son attaque a échoué. Nos alliés ont continué à consolider leurs positions sur la rive droite du Steensbeck, en faisant des prisonniers. Deux tentatives allemandes de coups de main ont échoué. L’une d’elles a été brisée par les troupes portugaises.
Les Russo-Roumains livrent une très grande bataille à l’armée de Mackensen. Elles résistent énergiquement et avec succès sur un front de 100 kilomètres. Il s’agit de la possession des hauteurs qui commandent directement la plaine Moldave, et par suite des communications entre cette plaine et la Russie.
La situation est devenue brusquement assez grave en Espagne, où des collisions sanglantes se sont produites.
Un contre-torpilleur anglais a coulé sur une mine.
Source : La Grande Guerre au jour le jour