Louis Guédet
Jeudi 2 août 1917
1055ème et 1053ème jours de bataille et de bombardement
5h1/2 soir Nuit assez fraîche, mais mouvementée, après le bombardement de l’après-midi dans lequel Guernier, conseiller municipal, a été blessé place des Marchés. Nous avons eu bataille toute la nuit, et bombardement à minuit 1/2 en avant vers Cérès, rien de notre côté, n’empêche que j’ai peu et mal dormi. Au courrier, lettre de M. Girard qui me donne rendez-vous à Paris pour lundi matin. Je partirai donc dimanche à 9h, pourvu que j’aie beau temps, car depuis 2h après-midi nous avons une pluie battante. Je pense rentrer à Reims mercredi soir.
Vu Dondaine avec lequel je me suis entendu pour le transport des archives de la Chambre des notaires et des miennes à Aÿ par camion militaire. Ce sera pour le 18 août 7h du matin. Lettre de ma pauvre chère femme qui m’annonce que le wagon Rondeau (transporteur situé 7, rue de l’Hôpital Auban-Moët à Épernay) est arrivé, elle parait enchantée de recevoir ses meubles. Pauvre aimée !! Causé longuement avec M. Beauvais cet après-midi d’un tas de choses et de petits potins : décoration de Régnier, ce qui m’a donné l’occasion d’apprendre que Bailliez n’était pas nommé sous-préfet de Reims, mais simplement chargé de l’intérieur, d’un article du Petit Rémois contre de Bruignac qui aurait eu une place dans l’autobus lorsqu’elle aurait été refusée à Guernier, des 2 blessures de Guernier justement, qui seraient assez graves, une au bras et une autre dans la cuisse, l’éclat resté dans l’os, de Palliet, qu’il critique assez comme commissaire central, qui ne serait pas tendre pour nous rémois qui restons quand même et contre le Docteur Langlet. Parlé de l’avenir de Reims, qui n’est pas brillant, de la nouvelle municipalité qui prendra la charge après la Guerre, municipalité qui devrait être toute d’union sans politique. Ce qui nous laissait tous deux assez sceptiques. En le quittant été prendre mon ticket de voiture pour dimanche, puis rentré par pluie serrée.
Hier et aujourd’hui, en vaquant dans les rues, je contemplais la végétation folle qui s’épanouissait dans celles-ci et sur les seuils des maisons abandonnées. Devant l’une d’elles, courait la long de l’huis et grimpait sur le chambranle une délicate plante grimpante aux feuilles dentelées comme celles du lierre et aux fleurs minuscules mauves pâles, pauvre petite plante échappée sans doute de la fenêtre de Mimi Pinson (héroïne légendaire du conte d’Alfred de Musset paru en 1845) et qui, ne pouvant pas laisser tomber en guirlandes gracieuses et légères ses tiges souples, grimpaient le long du seuil aimé, semblent attendre la maîtresse du logis qui a fui devant le tonnerre des combats et la destruction des bombes… Tendres souvenirs de jours heureux disparus et qui ne reviendront sans doute jamais plus !
Devant une autre porte se dressaient des digitales sauvages à la tige droite et élancée, se serrant les unes contre les autres devant le seuil, comme pour empêcher l’étranger d’entrer dans cet intérieur inviolé.
Et combien de tous ces habitants reviendront franchir ces seuils désertés sur lesquels aucun pied ne s’est appuyé pour les franchir. Hélas peu ou pas. Combien sont disparus, combien ne voudront plus revenir dans cette nécropole qu’est Reims, la Mecque de la France !!…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Jeudi 2 – + 14°. A partir de minuit, nuit tranquille en ville. 8 h. à 9 h. Visite à la Cathédrale, aux sacristies, à la statue de Jeanne d’Arc (de l’Epinay -voir note-) ; tableaux, salle capitulaire, salle des rois. Journée tranquille. Pluie presque continuelle.
note : Prosper d’Épinay ou Nemo, né le 13 juillet 1836 à Pamplemousses (Île Maurice) et mort le 23 septembre 1914 à Saint-Cyr-sur-Loire, est un sculpteur et caricaturiste français. Il est notamment l’auteur de la Jeanne d’Arc visible dans la Cathédrale. Voir plus sur Wikipédia
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Jeudi 2 août
En Belgique, sous la pluie persistante, nos troupes continuent à organiser les positions conquises.
Au nord de l’Aisne, activités des deux artilleries, principalement dans le secteur Hurtebise-Craonne.
A l’ouest de Cerny, les Allemands ont attaqué à diverses reprises, mais nous les avons partout repoussés en leur faisant 30 nouveaux prisonniers.
Sur la rive gauche de la Meuse (région d’Avocourt – cote 304), l’ennemi a attaqué en masse, mais pour n’obtenir que des gains médiocres; sur la rive droite, lutte d’artillerie sans action d’infanterie.
Les Anglais ont consolidé leur nouvelle ligne au sud du canal d’Ypres-Comines. Des contre-attaques exécutées contre leurs nouvelles positions de la Basse-Ville et du nord du canal d’Ypres-Comines, ont été repoussées. Plus au nord, vers la voie ferrée d’Ypres-Roulers, une contre-attaque allemande a été brisée. La pluie n’a cessé de tomber en abondance. Nos alliés ont exécuté un coup de main à l’est de Bongremer. Le chiffre des prisonniers qu’ils ont fait en Flandre monte à 5000.
En Macédoine, activité d’artillerie et rencontre de patrouilles dans la zone de la Strouma.
Les Russes ont esquissé une offensive en Galicie, près de Trembovla, mais ils ont reculé légèrement sur l’ensemble de leur ligne.
Source : La Grande Guerre au jour le jour