Louis Guédet

Vendredi 1er juin 1917

993ème et 991ème jours de bataille et de bombardement

8h soir  Nuit calme. Beau temps, splendide soleil en journée, journée d’été…  Quand l’horizon politique mondial devient de plus en plus sombre. La Révolution gronde, gronde contre la Bourgeoisie ploutocrate, égoïste, veule, insolente. De Paris les nouvelles que je reçois sont caractéristiques. On sent qu’on en a assez des galonnards, des riches bourgeois embusqués, des lâches qui se sont tous défilés quand nos enfants se faisaient crever la peau pour ces salauds-là…  l’heure de la justice va-t-elle enfin sonner ?…

A Paris la Révolution gronde et sourde en ce moment, et ici il faut entendre et soldats et population, ce qu’ils disent contre la bonne…  d’État-major…

Le bas de la page a été découpé.

A part cela Stockholm !! (La conférence de Stockholm fut la troisième et dernière conférence socialiste contre la première guerre mondiale, elle se déroula du 5 au 12 septembre 1917) Qu’est-ce que nos « Députards » ont pu décider aujourd’hui, ou cette question devait être discutée. Les traitres à la Patrie iront-ils ou non à Stockholm ? auront-ils ou non leurs passeports pour y aller !!… Leurs passeports pour aller trahir la France ?!!… et quand je songe qu’à nous…  on nous refuse un passeport…  pour aller chez nous en France !! Passons !!

Vu Dondaine ce matin, réglé pas mal d’affaires avec lui (substitution, actes, justice de Paix, etc…) ce qui m’a pris presque toute une matinée avec les certificats de vie pour le trimestre de juin, un vieux notaire est encore bon et utile à quelque chose dans Reims martyr. Il doit venir déjeuner avec moi demain à 11h avant de retourner à Aÿ.

Après-midi courrier, Poste, causé très longuement avec Beauvais, Directeur de l’École Professionnelle. Il me montre un article du « Naïf », cet alcoolique de Bienvenu qui rédige le Petit Rémois où celui-ci attaque fielleusement le comité de répartition des secours pour les enfants avec les 24 000 F recueillis par Lenoir, et me demande mon avis sur cet article, s’il y a lieu d’y répondre. Très nettement je lui conseille de n’en rien faire. Laisser passer l’affaire, et attendre s’il revient à la charge…, alors on pourrait voir. Il était du reste de cet avis. Ce Comité de distribution est composé d’Union sacrée, Camu curé de la Cathédrale, Chezel, Langlet, Charbonneaux, de Bruignac, Beauvais, des institutrices libres et laïques, etc…  Donc « Naïf » tombe mal…

Causé de la situation actuelle, politique, révolutionnaire, militaire, socialiste, etc…  etc…  nous avons le même sentiment, nous sommes à un mauvais tournant et de plus, nous, nous sommes sous les bombes. Il me demande quelques renseignements sur une succession, et je le quitte pour aller au greffe et prendre un journal. Je rentre ici, fais mon courrier…  en retard !!…

9h soir  Le calme !

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

1er juin 1917 – Le calme de la journée d’hier m’a incité à risquer une longue promenade matinale et c’est du côté du boulevard Jamin que je m’étais dirigé avant de rentrer au bureau. Au cours de ma tournée, je n’ai pas vu grand monde mais le hasard m’a fait rencontrer d’an­ciennes connaissances : Michel, le gendarme de Reims retraité, qui a repris du service en s’engageant pour la durée de la guerre, près de qui je me suis trouvé tout à coup en présence rue du Champ-de-Mars, où il surveillait le déménagement de son mobilier, puis l’ami Fridblatt, croisé rue du Cardinal-Gousset alors que je sortais de l’église Saint-André, en ruines.

Avec l’un et l’autre, j’ai pu causer assez longuement de bien des choses.

— Dans le courant de l’après-midi, une personne fait une déclaration de décès à la mairie, rue de Mars 6.

La table sur laquelle travaillent les deux employés de l’état-civil, constituant actuellement tout le personnel de service, est installée, dans la cave, auprès de celle du bureau de la comptabi­lité — la nôtre.

D’ordinaire, nous ne prêtons guère l’oreille à ce qui se dit à côté, mais un nom prononcé « Fridblatt » et l’âge indiqué attirant mon attention, je me permets de demander :

« Pardon, vous déclarez un décès, veuillez m’excuser, mais il ne s’agit pas, je pense, de M. Fridblatt, le menuisier qui s’occupe des déménagements ?

– Malheureusement, Monsieur, me répond-on, c’est bien de lui ; il vient d’être tué rue Warnier, chez M. Rosey avocat, où il était occupé avec M. Sainsaulieu à enlever des livres de la bibliothèque, pour en faire l’envoi. »

J’avais revu le matin, pour la dernière fois, cet excellent ami, père de quatre jeunes enfants.

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos


Cardinal Luçon

Vendredi 1er – + 13°. Via Crucis in Cathedrali. Vu les deux statues de rois renversées dans le chantier par les obus sur la face. On dit qu’avant-hier, par conséquent le 30 mai, les Allemands ont lancé des ballonnets invi­tant la population civile à évacuer, parce qu’ils allaient bombarder la for­teresse(1) de Reims. A 1 h., bombes sifflent. Item 2 h. 40.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
(1) Les Allemands se sont obstinés pendant ot le conflit à vouloir considérer Reims comme une ville-forteresse, ce qui leur servait de prétexte pour pouvoir bombarder cette ville ouverte.

Vendredi 1er juin

Actions d’artillerie au sud de Saint-Quentin et sur le chemin des Dames, au nord de Jouy, vers Cerny et Hurtebise, où ont eu lieu également de nombreuses rencontres de patrouilles.
En Champagne, l’ennemi a tenté, sur plusieurs points de notre front, de vives attaques précédées de bombardements violents par obus toxiques et de gros calibres. Au nord-ouest d’Auberive et sur le mont Blond, toutes les tentatives ont été arrêtées par nos feux. L’effort des Allemands s’est porté particulièrement sur nos positions du Téton, du Casque et du mont Haut, qu’ils ont attaquées à quatre reprises différentes avec un extrême acharnement. La lutte qui a commencé à 2 heures du matin, s’est prolongée jusqu’au jour. Brisées par nos feux ou refoulées à la baïonnette, les vagues d’assaut ennemies ont dû chaque fois refluer en désordre vers leurs tranchées de départ, après avoir subi des pertes élevées. Sur un seul point du front attaqué, au nord-est du mont Haut, des fractions ennemis ont pris pied dans quelques éléments avancés. Nous avons capturé des prisonniers.
Les Anglais ont repoussé un raid allemand au sud d’Armentières et fait un certain nombre de prisonniers. Activité d’artillerie sur la rive droite de la Scarpe.

Source : La Guerre 1914-1918 au jour le jour