Louis Guédet
Reims, samedi 2 juin 1917
994ème et 992ème jours de bataille et de bombardement
6h soir Nuit calme. Temps lourd nuageux, quelques gouttes de pluie, quelques obus et le reste de la journée le calme. Eu Dondaine à déjeuner, causé d’un tas de choses. Il a du jugement et est surtout fort perspicace, mais doublé d’un madré normand dans le bon sens du mot. Il m’a quitté vers 2h1/2, aussitôt je suis allé rendre visite au Cardinal Luçon, que j’ai félicité de sa prochaine promotion de chevalier de la Légion d’Honneur. Causé du Dr Langlet qui lui a rendu visite. C’est Sainsaulieu, l’architecte de la Cathédrale, qui a servi d’intermédiaire et qui est venu de la part du Maire lui demander s’il voulait bien recevoir ce dernier qui désirait lui faire une visite de condoléances à l’occasion des nouveaux dégâts de la Cathédrale. La visite a été très cordiale. Tout d’abord Son Éminence avait eu l’intention aussitôt la demande de Sainsaulieu de prévenir la visite du Maire et d’aller lui-même lui rendre visite pour montrer combien il était heureux de cette tentative de rapprochement de la part du Dr Langlet. Après réflexion avec Mgr Neveux et M. Compant il a attendu la visite… Je ne sais, mais je crois que le geste du cardinal aurait été très sensible au docteur comme je le connais…
Bref l’entretien a été plus que cordial. Son Éminence quelques jours après lui a rendu visite chez lui rue de Venise 57. Madame Langlet en paraissait tout particulièrement heureuse. Il m’a confirmé aussi que le Maire n’avait pas voulu se joindre à la mission américaine lorsque celle-ci leur avait rendu visite l’an dernier (Il y a du changement !) Je lui ai raconté alors (ce que Mgr Luçon ignorait) que le Dr Langlet était resté seul dans son auto devant la porte de l’Archevêque durant cette visite. S.E. (Son Éminence) en a bien ri ! et Mgr Neveux également.
En quittant l’archevêché passé à l’Éclaireur prendre ma collection de journaux. Causé avec Dramas assez longuement, il est intelligent mais c’est un politicien. De là été à la Chambre des notaires, pauvre Chambre des notaires ! Quel désastre, j’en rapporte quelques papiers trouvés épars ! et je rentre chez moi.
Dans la cour de l’archevêché j’ai vu le coq en cuivre qui surmontait le clocher de St André, il n’a que la tête un peu aplatie, avec la chute qu’il a fait c’est peu ! Il est énorme.
Rencontré aussi place du Parvis Lesage qui est revenu ici comme mobilisé pharmacien. Nous avons bavardé longuement, et il m’a appris que le Dr Simon avait quitté Reims après avoir « engueulé » Guichard au sujet de la fameuse liste de propositions pour la Légion d’Honneur faite par Lenoir, Guichard et Beauvais, « inter pocula » (Le verre en main, entre les verres, les affaires se taisent). Simon a carrément dit à Guichard qu’il n’était pas dupe de leurs mesquineries et de leurs petites rancunes radicales socialistes, et qu’après un bombardement comme le dernier, tous les Rémois dirigeant, fonctionnaires, médecins et autres, etc… etc… qui étaient restés là depuis septembre 1914 devaient figurer sans distinction de parti ni d’opinion sur cette liste, et qu’un gouvernement qui ne sentait pas cela se déshonorait. Puis il est parti en claquant les portes et en rendant son tablier ! Dans un sens il a eu raison de dire ces vérités à Guichard et à son clan, mais à sa place j’aurais été plus… diplomate et n’aurais sorti mon « engueulade » qu’après la délivrance de Reims, et je l’aurais rallié !… Lesage comme moi critique beaucoup la proposition de Dramas et même de Beauvais. Il savait aussi que le Dr Langlet avait émis un avis défavorable à la proposition du capitaine des pompiers Geoffroy. Alors ?? Quand les nouveaux légionnaires seront définitivement nommés, Geoffroy aura lui aussi le droit « d’enguirlander » Lenoir et Cie. Car clamer aux 4 coins de la France par les journaux qu’on demande pour lui la décoration, et… ensuite ne pas l’avoir proposé, c’est raide !! Je la trouverais, la plaisanterie, mauvaise, plus mauvaise que celle du docteur Simon ! Que de lâchetés, de mesquineries dans tout cela, Mon Dieu !! Il parait qu’Houlon, lui qui a été écarté comme moi, ne cesse d’engueuler aussi Guichard. Il parait qu’il l’arrange de la belle manière, Guichard ne l’a pas volé et l’a bien cherché, car quand on a décoré Guichard et Melle Fouriaux, Houlon devait l’être aussi.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
2 juin 1917 – Bombardement vers le haut de l’avenue de Laon.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Samedi 2 – +. Nuit tranquille. Visite rendue à M. le Général des Vallières, qui nous fait le plus aimable accueil, offre de services de toutes sortes, et nous fait reconduire en automobile. A 11 h. 35, aéroplanes. Bombes par trois à la fois (sur batteries?). Visite du Capitaine Saclier avec un Aumônier de Rennes et Père Jésuite d’Aire.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Samedi 2 juin
L’artillerie ennemie, contre-battue par la nôtre, a bombardé nos premières lignes au nord du moulin de Laffaux. Une attaque allemande dans cette région a pu prendre pied en quelques points de notre tranchée avancée. Nos contre-attaques ont réussi à rejeter l’ennemi de la majeure partie des éléments qu’il avait occupés.
La lutte d’artillerie s’est poursuivie dans plusieurs secteurs du front.
Une tentative d’attaque sur nos positions du Casque a valu des pertes aux assaillants sans leur donner aucun résultat. L’ennemi a laissé entre nos mains une vingtaine de prisonniers. Nous avons enlevé un poste ennemi au sud de Chevreux et fait des prisonniers.
Du 17 au 31 mai, trente-deux avions allemands ont été complètement détruits sur notre front; cinquante-sept autres ont été sérieusement touchés.
Les Autrichiens ont échoué dans une violente attaque qu’ils ont tentée sur le Vodice, dans le Carso. Ils ont subi de lourdes pertes et laissé des prisonniers aux mains des Italiens.
Les Russes ont repoussé deux compagnies turques sur le front du Caucase.
La situation est devenue critique en Chine, où les gouverneurs de certaines provinces ont pris position contre le Parlement.
Source : La guerre 1914-1918 au jour le jour