Louis Guédet
Mardi 29 mai 1917
990ème et 988ème jours de bataille et de bombardement
8h1/2 soir Beau temps froid la nuit, à cause de ma nouvelle installation au rez-de-chaussée dans la salle à manger avec ses carreaux en journaux, crevés de-ci de-là… En tout cas il me semble être plus en sécurité ?!! Hélas ? si sécurité il y a !! Donc d’un côté j’ai dans un coin ma chambre à coucher… dans un autre ma toilette… dans un 3ème mon bureau, dans un 4ème mes archives, et au milieu ma salle à manger !!… Voilà mon nouveau… domicile, en attendant… un nouveau séjour en cave. Quelle vie !
Toute la nuit bataille. Ce matin cers 4h1/2 des bombes à proximité… alors sommeil à l’état de veille ! Je me rendors fiévreux malgré cela. Levé à 8h, et à neuf heures (rayé) et sa femme pour un renouvellement de laissez-passer. Ces gens-là se trébucheraient dans un fil de la Vierge !! Aussitôt je file à la Ville (Caves Werlé) où l’on m’attendait avec impatience, pauvre juge de Paix. Je contente tout le monde, c’est déjà cela. Je demande mes 4 cartes de sucre pour confitures, ce sera pour St Martin où les fruits vont faire foison. Bref, après ce 1er recontact, je crois tout de même que je suis « quelqu’un » ici… Et dans les rues tous les passants m’accostent et me saluent avec joie.
Je repasse par la Poste et rue Libergier, 43, maison de La Morinerie, sur la grande porte j’aperçois cette inscription à la craie sur les 2 panneaux qui indique bien l’état d’esprit populaire des Rémois et même de nous-mêmes les dirigeants :
C’est net, précis, c’est le « Vox Populi, Vox Dei » des anciens.
Qu’on 1F95 de solde
nous aux
foute Galonnés
la et la Guerre
Paix finira vite
A l’École Professionnelle (Poste) où la sous-préfecture est installée, vu Beauvais que je félicite de son ruban feutré. Nous causons et j’apprends par lui que le Dr Langlet (le Maire) a donné un avis défavorable à la proposition faite pour lui au ruban avec de Bruignac, Charbonneaux, Dr Harman, Dramas, Beauvais et Geoffroy, plus le Cardinal Luçon, et Beauvais me disait que le Maire avait ce défaut de ne jamais encourager ses administrés et employés, il le critiquait assez. Le soir Houlon, à qui j’en causais, me disait la même chose, le Maire ne fera jamais rien pour son entourage comme il le dit.
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…ministérielles nombreuses de demandes à ces « officiels » de dire un mot une fois gracieux et d’encouragement à tous ces subalternes qui gravitent autour de la sphère municipale. Le Docteur Langlet ne sait pas ce qu’il aurait fait plaisir et gagné pour son… étoile qui pâlit en ce moment. Notre héroïque Docteur a une mauvaise presse en ce moment dans notre cité-squelette.
Je rentre pour mon courrier, et déjeuner. Je retourne à la Poste et à la sous-préfecture (même local) pour Allocations d’appel. Causé avec Beauvais, Rousseaux, Charlier et Guichard, des événements actuels et surtout de l’imprécision que l’on a du haut commandement, des État-majors, que tous (et combien d’opinions différents !!!) nous avons ! Bref nous n’avons pas les idées couleur de rose. Je leur conte les impressions du colonel Etienne du 3ème Zouaves (Colonel Etienne, commandant le 3ème RMZT (Régiment Mixte de Zouaves et Tirailleurs)) du commandant Jouanneau du 41ème d’Infanterie. Bref, découragement, déconvenue de la Grrrrande !! atttttaque !! et criant, réclamant un chef, et au désordre des État-majors qui ne songent qu’à faire la noce… et boire les vins pillés !…
Je file, de là, à la Ville. Là je me trouve avec de Bruignac, Houlon, Albert Benoist, Drancourt, etc… Je visite les ruines de l’Hôtel de Ville avec Houlon, nous causons et rentrons aux caves avec Sainsaulieu qui photographie l’arceau principal avec tous les services et nous comme par hasard…
Le bas de la page, une ligne, a été découpé, le feuillet suivant a été supprimé.
…Revenu à la maison, Lutta (Paul Lutta) m’arrive, nous causons des affaires de la Maison Mareschal (Henry Goulet), il m’avoue de beaux bénéfices. Ils ont vendu une cuvée aux Olry-Roederer, payée par le plus gros chèque qu’il ait vu à la Maison, 700 000 F !… J’en suis heureux pour Mme Mareschal et les enfants de mon pauvre ami Maurice, René et Henry !
Puis je prends quelques renseignements sur les déménagements militaires, à voir. En le reconduisant, j’entends une discussion entre mes 3 Parques. Melle Marie m’interpelle en me disant qu’Adèle l’accuse de lui avoir volé une chemise. Je n’y fais nulle attention, puis ma grosse Adèle m’arrive toute bouleversée, et m’apprend que ce matin elle a mis à la lessive 2 chemises à elle, et que ce soir elle n’en retrouve plus qu’une. De là la discussion que j’avais entendue. Elle m’apprend qu’elle a déjà eu une chemise disparue depuis que cette Marie Riess habite avec nous depuis la mort de Jacques. Durant cette conversation, Marie Riess est retournée chez elle, 91, rue des Capucins, chez ses maitresses Mmes Leclerc, et elle n’est pas encore rentrée à cette heure-ci (9h1/2). Donc la sotte est « déclarée coupable ». Lise parait enchantée de son départ, il est vrai que pour mon propre compte je trouvais que cette fille ne se gênait guère. Enfin nous verrons la suite à donner à cette affaire et la suite de cette affaire. Il est tard, je vais me coucher après bien des émotions. Pas de nouvelles de…
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Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
29 mai 1917 – Sifflements et bombardement serré dès le matin 4 h, vers le boulevard Charles-Arnoult.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mardi 29 – Tir des Allemands sur Saint-Brice : chevaux tués ; hommes blessés. Tir sur la rue Passe-Demoiselles. Nuit tranquille ; + 13°. A 5 h. matin, bombes sifflantes (sur batteries ?). Item à 7 h. 30 : deux tués. Lettre à Mgr L’Évêque d’Angers (Recueil, p. 117).
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mardi 29 mai
L’ennemi a renouvelé par deux fois ses attaques sur le Casque et le Téton. Il a été partout repoussé. Une troisième tentative a été arrêtée par nos feux. Un coup de main sur le Mont-Blond n’a pas eu plus de succès.
Sur la rive gauche de la Meuse, dans la région de la cote 304 et du Mort-Homme, l’artillerie ennemie a été très active.
Dans la région d’Uffholtz (Alsace), un de nos détachements, pénétrant jusqu’à la deuxième ligne ennemie, a constaté la présence de nombreux cadavres dans la tranchée allemande et ramené des prisonniers.
La lutte continue toujours avec violence sur le front austro-italien et spécialement sur le Carso. Nos alliés ont brisé plusieurs offensives ennemies et fait 156 prisonniers.
Les Anglais ont capturé des prisonniers et arrêté quelques tentatives allemandes.
Le président du Brésil a adressé un message au Congrès de Rio pour le solliciter de prendre une décision à la suite des derniers torpillages.
A Madrid a eu lieu un très important meeting où les représentants des différents groupements démocratiques se sont prononcés pour le rapprochement avec les puissances de l’Entente et pour la rupture avec l’Allemagne. A la sortie, un attentat a eu lieu contre le leader radical M. Lerroux, qui n’a pas été atteint.
Source : La Grande Guerre au jour le jour