Louis Guédet

Mercredi 4 avril 1917

935ème et 933ème jours de bataille et de bombardement

6h1/2 soir  Temps de pluie, froid, maussade, du vent. Nuit à peu près tranquille, mais il est tombé quelques obus tout proche, que j’ai entendus dans mon demi-sommeil. Écrit ce matin au Procureur de la République pour lui dire mon intention d’aller à St Martin ces jours-ci, et lui demander de me faire obtenir un ordre de rentrer à Reims en cas d’urgence, même durant la Bataille. Je lui réclame cela avec insistances, comme un Droit, et un Devoir.

Écrit à Madeleine pour lui dire que j’arriverais peut-être vendredi ou samedi, mais qu’elle ne compte pas absolument sur moi, car mon départ peut être retardé et faire l’objet de bien des aléas. Du reste ce soir je suis bien embarrassé et indécis pour savoir ce que je dois faire, partir maintenant, ou attendre, que faire ?

Été rue Souyn (rue Guillaume depuis 1935), voir M. Millet, lui porter des coupons à toucher. Il a reçu une bombe bien près. En sortant rencontré M. Frey (Théodore Albert Frey (1862-1940)), de la Banque Chapuis qui m’apprend que celle-ci est fermée d’aujourd’hui, c’est charmant !! A la place de Chapuis, tant qu’à faire, j’aurais eu à cœur de laisser ma Banque ouverte, ou même entrouverte.

La Place déménage de la rue Dallier, 1, pour s’installer rue Jeanne d’Arc, au n° chez Mme Georges Goulet ! Pensez donc, la bombe du Papa Millet leur a fait faire dans leurs culottes à tous ces embusqués. Quels lâches. Tout le monde a les nerfs tendus, on trépide et trépigne, il serait grand temps que cela cesse, on est à bout de forces.

Été Hôtel de Ville, rien appris. A 4h1/2, comme j’y étais, bombardement et bataille jusqu’à maintenant 7h du soir. Je suis rentré en zigzaguant, sous les bombes.

Je suis bien perplexe. Dois-je ou ne dois-je pas partir vendredi ? Mon Dieu éclairez-moi, protégez mon Robert, ma femme, mon Jean, mes enfants.

9h soir  La bataille se rallume, le canon roule formidablement vers Cormontreuil, Taissy, La Pompelle, que ponctuent les obus allemands d’un son clair et sonore, avec l’écho que je connais trop, hélas !! claquant, métallique ! et qui arrive méthodiquement, mathématiquement, à la Prussienne. Si j’étais mon Roby, je chronomètrerais presque comme lui. Le pauvre petit est peut-être dans cette tourmente !!…  hélas !

Je viens de lire l’analyse du message de Wilson, sans Lansing j’espère, car celui-là il m’a rudement « Lanciné ! » Mercant !! va…  Y compris Wilson…  l’hésitant…   Toujours la « bédite gommerce ». Ils arrivent pour la curée ! Ils vont nous envoyer 10 ou 20 000 hommes, et nous réclameront en échange des milliards. Calicots va !…

L’honneur de la Guerre n’existe plus !! on fait la Guerre pour la galette

Aurons-nous tout de même un ressaut d’Honneur ? qui permettra aux gens de cœur qui ont soufferts, qui ont été opprimés, de dire à tous ces mercantiles, ces calicots, ces repus, ces satisfaits, ces lâches, ces embusqués que l’Honneur prime l’argent, et çà, leur faire comprendre, sinon le leur bourrer dans le crâne, même à coups de revolver !! ou de browning !…  Cela arrivera, la révolte gronde, la révolte rugit et elle éclatera malgré la victoire. Oui. A bas la Bourgeoisie ploutocrate, repue, satisfaite, qui a fait tuer nos enfants tandis qu’elle s’embusquait et renonçait à l’Honneur !!  pour jouir, nocer, se galvauder, se rouler dans toutes les fanges !! J’attends le châtiment inéluctable !! Il le faut pour le salut de la France. (Rayé). Honneur passe avant Argent.

La demi-page suivante a été découpée.

Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils

Paul Hess

4 avril 1917 – Bombardement, dans la matinée.

A 15 h 1/2, il reprend violemment et dure jusqu’à 19 h. Vers 19 h 1/4, nos pièces se font enfin entendre dans une riposte très vive, puisque durant trois quarts d’heure, les 75 du 4e canton qui se trouvent dans la direction ouest par rapport à la place Amélie-Doublié, c’est-à-dire du côté du chemin des Trois-Fontaines, tirent à là moyenne de quatre-vingts coups à la minute.

Nous jugeons prudent, ma sœur et moi, de quitter pour la nuit, le deuxième étage du 8 de la place Amélie-Doublié et de nous réinstaller au rez-de-chaussée du n° 2, dont nous étions partis après le décès de notre excellente voisine, Mme Mathieu.

  • Dans Le Courrier de la Champagne, nous lisons aujour­d’hui le compte-rendu d’une réunion du conseil municipal qui a eu lieu lundi dernier, 2 avril.

A cette séance, présidée par le maire, M. le Dr Langlet, étaient présents : MM. Emile Charbonneaux, de Bruignac, Gustave Houlon, Ch. Heidsieck, Chezel, Guemier, Drancourt et Pierre Lelarge.

Entre autres choses, le conseil décide de prendre à la charge de la ville, les frais des funérailles de deux agents de police tués par le bombardement, dans l’exercice de leurs fonctions.

  • Le journal publie également les avis suivants :

Avis de la Municipalité.

Les personnes qui désirent actuellement partir en raison des bombardements et que la crainte de ne pouvoir rentrer fait hésiter, peuvent se rassurer entièrement : la municipalité pos­sède en effet, par le répertoire des cartes de sucre, la liste com­plète des personnes résidant à Reims actuellement, et dès que les circonstances le permettront, elle interviendra, avec ces renseignements, auprès de l’autorité militaire, quelle qu’elle soit alors, pour faciliter leur retour.

Puis, à propos de la distribution d’eau :

De nombreux accidents survenant constamment dans la distribution d’eau, les habitants sont invités :

  • à faire provision d’eau, tant pour boire que pour pa­rer au besoin à un commencement d’incendie ;
  • à réduire autant que possible la quantité d’eau con­sommée.

Enfin, au sujet du ravitaillement :

En raison des difficultés plus grandes qui peuvent se produire dans le ravitaillement de détail, fabrication et distri­bution, il est prudent de faire, dans chaque famille, une ré­serve de vivres pour quelques jours.

S’il se produisait une période prolongée de danger grave, on assurerait au moins l’arrivage de pain en un certain nom­bre de points.

(Une quinzaine de lignes, qui suivaient encore ces utiles in­dications, ont été supprimées par la censure).

Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos

Cardinal Luçon

Mercredi 4 – Il y a des bombardements sur la ville de 10 h. soir à minuit. Chapelle Clairmarais touchée. Autel majeur dévasté, détruit ; statue du Sa­cré-Cœur renversée, Saintes Espèces et ciboire non retrouvés, ensevelis dans les décombres, depuis 2 h. 1/2 jusqu’à 10 h. soir.

Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173


Mercredi 4 avril

A l’est et à l’ouest de la Somme après une violente préparation d’artillerie, nos troupes se sont portées à l’attaque de la position ennemie qui s’étend du nord de la ligne Castres-Essigny-Benay, depuis l’Épine de Dallon jusqu’à l’Oise. Malgré la résistance acharnée de l’ennemi, nos soldats ont atteint partout leurs objectifs et enlevé sur un front de 13 kilomètres environ, une série de points d’appui solidement organisés et tenus par des forces importantes. L’Épine de Dallon, les villages de Dallon, Giffecourt et Cerisy, plusieurs hauteurs au sud d’Urvillers sont en notre pouvoir.

Au sud de l’Ailette, nous avons continué à progresser dans la région de Laffaux, dont nous tenons les lisières. Nos troupes se sont également emparées de Vauveny et ont pris pied sur la croupe au nord de ce hameau.

L’ennemi a bombardé violemment la ville de Reims qui a reçu plus de 2000 obus. Plusieurs civils ont été tués.

Les Anglais ont pris Hemm-sur-Cojeul, après un dur combat. Une contre-attaque ennemie a été brisée. Nos alliés ont aussi occupé le bois de Ronssoy.

Le président Wilson a lu au Congrès américain un message constatant l’état de guerre et déclarant que les États-Unis coopéreront avec l’Entente.

Mme Sturmer, la femme de l’ancien premier ministre de Russie, s’est suicidée en se coupant la gorge à l’aide d’un rasoir.

Source : La Guerre 14-18 au jour le jour