Louis Guédet
Mercredi 25 avril 1917
956ème et 954ème jours de bataille et de bombardement
10h3/4 matin Temps gris nuageux, froid. Nuit assez calme. Je me lève vers 7h et monte me raser et me nettoyer un peu plus complètement. Vers 9h1/2 je me dispose à aller à l’Hôtel de Ville, mais arrivé sous les Loges rue de Talleyrand il faut rétrograder. Cela commence à bombarder vers où je vais. Rentré, lu les journaux : toujours même battage !! La Grande offensive etc… etc… Oh ! là ! là !… On voit bien que tous ces phraseurs ne sont pas ici. L’opinion sur nos Grands ! Généraux !! changerait !!
4h1/2 soir Toujours le canon et le bombardement, mais nullement vers nous : Port-sec, Cérès… Après déjeuner, étant sur le pas de la porte, je vois déboucher de la rue de Venise des Chasseurs Alpins, du 7ème, chantant, faisant des folies en tenant toute la rue des Capucins pour la remonter. Arrivé devant moi, l’un d’eux me demande si le quartier est habité. Je lui demande pourquoi : « C’est à titre documentaire !! » Je lui répondis que je n’avais pas à le renseigner pour cela et qu’il passe son chemin. Il le prend de haut : « Je ne vois pas pourquoi vous me refusez de me dire cela, moi qui vais demain me faire crever la peau pour vous !! etc… » Je lui répondis encore : « Eh bien ! moi qui suis resté ici 30 mois et je ne compte pas les services que j’ai rendu à vos camarades et je suis aussi exposé que vous. Passez votre chemin !! » Comme il devenait plus agressif, je fermais ma porte. Quelle lie que ces pillards… En ce moment c’est comme du temps du 410ème … et des marocains… Quand donc serons-nous débarrasses de ces pillards.
Je sors pour tâcher de voir à l’Hôtel de Ville aux nouvelles. Je cause en passant devant le commissaire encore assez rompu et assez émotionné. Je lui conte la scène de tout à l’heure. Il n’en n’est nullement surpris, et il me disait qu’un général avec un nombreux état-major et une grosse escorte était venu hier à Reims. Et qu’on faisait déblayer certaines grandes artères pour livrer passage à la cavalerie sans doute. Bref je crois qu’on prépare une nouvelle attaque sur Reims. Puisse-t-elle réussir celle-là !!… et que nous voyions enfin la fin de nos misères. Il me contait aussi qu’on avait arrêté des sous-officiers qui pillaient et qui répondirent pour leurs excuses : « Ce sont nos officiers qui nous ont demandé de la faire pour eux !! » Cela ne m’étonne nullement.
Arrivé aux caves Werlé où sont installés les bureaux de l’hôtel de Ville j’y rencontre Raïssac, qui me propose de donner mes lettres à Jallade pour être mises à la Poste à Paris. J’accepte et j’écris séance tenante une lettre à la chère femme que je joins à celle écrite hier à Marie-Louise.
Survient Goulden. Que vient-il faire là. Il ferait bien mieux de rester chez lui. Enfin. Le Maire arrive et nous causons un moment. Tous nous sommes d’avis que l’attaque de Brimont a raté. Attendons le 2ème acte qu’on prépare et que ce soit le dernier. Je dis ce que je fais pour les valeurs trouvées sur les victimes et les testaments reçus en dictée aux gens. Tous m’approuvent. Et Charbonneaux de dire : « Vous voyez que vous êtes utile. C’est un à côté de la vie de notre ville que vous tenez et qui rend service… !! » Le Maire insiste pour me remercier…
Je prends l’auto municipale et Honoré me conduit à la nouvelle Poste (École Professionnelle rue Libergier), salle de physique à droite en entrant, aussitôt passé devant le bureau de M. Beauvais (Joseph). J’y trouve mon courrier et des journaux, l’Illustration (3 numéros), le Journal des Notaires de Defrénois, et une marquise envoyée par Mme Thomas. La pauvre dame est bien bonne. Du reste Thomas m’avait prévenu, je les remercierai. Lettre de ma chère femme, de Labitte au sujet de son fils et de Robert qui sera soutenu par le jeune Labitte. Très aimable à lui. Lettre de Jean qui me dit être arrivé à St Brieuc à son dépôt, où il est affecté à la 64ème batterie du 61ème d’Artillerie, J’envoie de suite ces 2 lettres à ma chère femme. Jean pense partir pour le front dès le 1er mai. Que Dieu le garde, ainsi que son frère. Ceci fait je rentre à la maison écrire, lire et tirer ma triste journée… Cela bombarde toujours.
8h3/4 soir le calme, toujours le calme, et la même vie de misère. On se demande parfois si on en verra la fin, avec tout ce que l’on voit, le désordre et l’indifférence. On n’est guère incité à l’espoir et à la croyance d’une Victoire quelconque.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
25 avril 1917- La semaine passée, alors que faisant un tour matinal, j’étais arrêté et occupé à chercher les traces d’un obus que j’avais entends tomber au cours de la nuit, sur la cathédrale, Son Éminence le Cardinal et Mgr Neveux sont venus à passer, rue Robert-de-Coucy.
C’était la deuxième fois que je les rencontrais ainsi, à la suite de semblable circonstance, faisant leur promenade d’investigation en sens inverse de la mienne, et, pendant un instant, nous avons échangé nos impressions, simplement, en bombardés.
Mgr Luçon, après avoir regardé, après s’être rendu compte attentivement, me faisant part de ses constatations de sa manière si affable, paraissait solliciter mon avis. Je le lui donnai, tout en reconnaissant vite que lui-même et Mgr Neveux savaient discerner les nouvelles blessures des anciennes plus sûrement que moi, voisin novice, revenu depuis une huitaine de jours seulement dans la rue du Cloître, après avoir dû quitter le quartier en septembre 1914.
Mais depuis le 16 courant, il n’est pas nécessaire d’être accoutumé ou de procéder à un long examen pour s’apercevoir des horribles et épouvantables meurtrissures des 305. D’énormes brèches sont malheureusement trop apparentes à l’abside, aux galeries, aux clochetons des contreforts. Elles en laissent même deviner d’autres ailleurs, à la suite des affreuses séances de bombardement avec projectiles de très gros calibre, pendant lesquelles le tir était si bien localisé. On peut en juger par la dizaine d’entonnoirs énormes qui encerclent la cathédrale, place du Parvis, rue du Cloître et rue Robert-de-Coucy.
— Aujourd’hui, bombardement dans la matinée, qui a repris violemment, de 13 h à 14 h 1/2.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Mercredi 25 – + 6° Nuit tranquille en ville. A 7 h. 1/2 matin, Qq. obus. Visite à l’hôpital général (militaires et civils). Visité la maison, très intéressante : ancienne maison des Jésuites, qui ont bâti Saint Maurice, les chapelles ; Bibliothèque (meuble et appartement), chapelle intérieure, caves où sont installées en passant les blessés qu’on apporte là en attendant qu’on puisse les transporter hors de la ville. M. Huart dit qu’il y a un 305 enfoncé non-explosé près du petit orgue. C’est vrai. Visite d’un Commandant et d’un Capitaine Mitchelle de l’armée des Etats-Unis19 présentés par le R. Père Dansette. Après-midi, bombes sur la ville mais sans acharnement, sur Saint-André. A 11 h. 1/2, bombes sur la ville pendant une 1/2 heure ou 3/4 d’heure. Moitié de la nuit tranquille.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Mercredi 25 avril
Actions d’artillerie sur l’ensemble du front.
Nous avons continué nos tirs de destruction sur les batteries et les organisations ennemies dans les régions de Saint-Quentin, de l’Oise, de Corbeny-Juvincourt et en Champagne; des explosions ont été constatées dans un certain nombre de batteries.
Nous avons ramené 4 obusiers allemands de 105, capturés au cours de réçents combats sur le plateau du chemin des Dames.
Près de Moronvilliers, nos éléments léger ont pénétré, après une courte préparation d’artillerie dans les tranchées allemandes, qu’ils ont trouvées remplies de cadavres.
Canonnade intense sur le front belge.
Les Anglais ont repoussé de fortes contre-attaques avec des pertes énormes sur le front de Croisilles, au nord de Gavrelle. Ils ont maintenu toutes leurs positions. Nos alliés ont progressé à l’est de Monchy et aux abords de Roeux. Ils ont avancé également â nouveau à l’est d’Epehy sur un large front et atteint le canal de Saint-Quentin au nord de Vendhuille. Ils ont occupé les deux villages de Villers-Plouich et de Beaucamp. Le chiffre de leurs prisonniers depuis la veille atteint 2000. Ils ont détruit 15 avions allemands et forcé 24 autres appareils ennemis à atterrir, désemparés.
Le Reichstag est rentré en session.
La mission officielle, composée du maréchal Joffre, de M. Viviani et de leurs collaborateurs, est arrivée aux Etats-Unis et y a reçu un accueil chaleureux.
Source : La Guerre 14-18 au jour le jour