Louis Guédet
Samedi 2 décembre 1916
812ème et 810ème jours de bataille et de bombardement
6h soir Temps de brouillard ce matin, s’élevant durant la journée, rebrouillard le soir. Hier on avait canonné 2 avions allemands vers midi, nous en avons descendu un vers les caves Pommery. Été ouvrir deux coffres-forts au Crédit Lyonnais. J’en suis à mon 57ème, on a été obligé de faire sauter la porte d’un. C’est extraordinaire combien de personnes ont oublié le mot ou le chiffre de leurs combinaisons ou encore perdu leurs clefs !! Coût pour chaque effraction : 55 F à 60 F !… Mes 2… cambriolages (!!) sont terminés à 10h1/2, heure à laquelle je rentre chez moi chargé de leurs dépouilles et contenus. Bijoux, valeurs, argenterie, cheveux, même des quenottes d’enfants, premières dents sans doute, épaves toujours tristes à manier, toucher. Tout cela prendra le chemin de Paris la semaine prochaine. Après-midi levée de scellés 142, rue du Barbâtre, pauvre mobilier d’ouvriers, et dire que par suite de la négligence, il y a plus de 700 F de garde de scellés depuis 2 ans qu’ils sont apposés !!!!! Quel gaspillage.
Repassé à la Ville où j’avais à faire vers 4h. Causé longuement avec M. Gustave Houlon conseiller municipal, administrateur des Hospices, de la reconstruction de la Ville, de la reconstruction des quartiers, éclairage, eaux, etc… il s’effrayait, mais je lui disais qu’avec des têtes comme Charbonneaux, de Bruignac, de la volonté, on devait surmonter toutes les difficultés. Je lui signalais le pâté de maisons de la Place Royale, entre la rue Colbert et la rue Trudaine comme devant être l’emplacement de l’Hôtel des Postes, et au besoin si c’était trop grand ou seraient en outre centralisé diverses administrations ou autres. Il était de mon avis. Mais il s’effrayait surtout des difficultés pour arriver à la reconstruction des parties détruites entièrement de la Ville, alignement, percement de nouvelles rues, expropriation de terrains, lotissements et revente en cas de non-préemption d’anciens propriétaires. Je ne m’effraie pas autant que lui de tout cela. Je lui disais qu’avec de la volonté et de la poigne on doit facilement solutionner et rapidement tout cela.
Nous nous sommes quittés là-dessus… car je n’ai rien à y voir, mais si j’avais à m’en occuper, je crois que j’arriverais à faire quelque chose. Une municipalité dans la situation où la nôtre se trouvera au dégagement de Reims devra tailler dans le vif sans s’inquiéter des individualités et des intérêts personnels de chacun. Elle devra voir grand et faire grand, sans s’inquiéter des détails. Ah ! si je pouvais m’occuper de cela, j’y arriverais… mais avec mes ruines à relever. Oh si je n’avais pas à m’inquiéter de l’avenir et de la fortune de mes petits pour leur laisser si possible un morceau de pain, que j’aimerais à ma dévouer pour notre cité. Hélas ce ne me sera pas permis ! Je le regrette.
Une bien bonne que j’ai oublié de noter : hier, comme je faisais enregistrer des actes au Père Goffinet, receveur de l’Enregistrement. Il se lamentait d’être obligé de venir à Reims faire son service (15 jours toutes les 3 semaines !!) et il m’ajoutait naïvement, d’un air tragi-comique : « Mais M. Guédet, vous devriez faire enregistrer vos actes à Épernay, comme le font tous vos confrères, ainsi il n’y aurait plus de raisons pour que nous soyons obligés de venir ici, au risque de nous faire tuer !!!… » Je lui ai ri au nez ! C’était parti du cœur en tous cas !! Mais il m’a bien amusé avec sa boutade. Bref c’est encore moi qui serai le coupable dans tout cela. C’est dans l’ordre des choses de ces gens-là. Tas de froussards !!…
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Samedi 2 – Nuit tranquille. Température 0°. Visite de M. Chaumont. Envoi de la lettre à M. René Bazin, Président des Publicistes chrétiens.(1)
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Pour en savoir plus sur René Bazin
Samedi 2 décembre
Sur notre front, activité moyenne d’artillerie et d’engins de tranchées.
Les usines de Thionville et les bivouacs, dans la région de Damvillers ont été bombardés par nos avions.
Action d’artillerie sur le front britannique.
Combats sur le front roumain en Moldavie et jusqu’à la vallée de Buzeu. Bombardement accompagné d’actions d’infanterie à Tabla-Butzi, Bratocea et dans la vallée de la Prahova. Les troupes roumaines qui se retirent de Campolung ont été attaquées : elles se replient par la vallée de Dambovitza vers Miklosani.
Sur le front à l’ouest de Bucarest, lutte dans la région de Cotesci, dans la vallée du Glavacioc et la vallée du Neajlov vers Comana. Les Roumains ont fait plusieurs centaines de prisonniers et capturé 10 mitrailleuses.
En Dobroudja, les Russo-Roumains ont attaqué sur tout le front.
En Transylvanie (région de Kirlibaba), l’offensive russe se développe en même temps qu’une contre-offensive austro-allemande. Nos alliés ont progressé sur un point, mais reculé sur un autre.
De sanglants combats ont eu lieu en Macédoine, sur la Cerna. Les Germano-Bulgares ont reconquis quelques tranchées.
L’artillerie marque une activité croissante sur le front italien.
En présence de l’attitude du cabinet grec, qui se refuse à nous livrer son matériel de guerre, nous avons débarqué de nouveaux contingents de fusiliers au Pirée.
Source : La guerre au jour le jour