Louis Guédet
Lundi 7 juin 1915
268ème et 266ème jours de bataille et de bombardement
7h soir Journée torride de chaleur. J’en souffre beaucoup, d’autant plus que j’ai passé pour ainsi dire une nuit blanche. A 1h1/4 canonnade, fusillade, mitraillade furieuse, et cela durant 3/4 d’heure. Puis silence jusqu’à 2h3/4 et ensuite nouvelle sarabande jusqu’à 3h1/2. C’était un roulement continu. Nous attaquions, parait-il, toujours pour ne pas avancer, bien entendu. Gare cette nuit la réponse des allemands. C’est bien dur. Quelle vie ! Fais mon retard de courrier, j’arrive peu à peu à la fin. Vu Mlle Mary Monce et visite avec elle sa maison rue Chanzy 71. Elle a reçu 13 obus. Quel chaos ! Si Marie-Antoinette revenait dans cette maison où elle a assisté au passage de Louis XVI lors de son sacre elle ne reconnaitrait plus. Les jolies boiseries de cette époque sont bien mal en point, notamment celles de la salle à manger, je lui ai conseillé de les mettre en sûreté, surtout le panneau de la cheminée, ainsi que les débris du marbre de cette malheureuse cheminée. Celle du salon est encore intacte. Pourvu que cela en reste là. Le bahut de l’époque avec le gros marbre dans la cuisine est réduit en poussière malheureusement.
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Paul Hess
Comme site, très probablement, aux explications provoquées à la séance du conseil municipal du 4 courant, par une question posée par M. Jallade, concernant le ravitaillement de la population civile, Le Courrier de la Champagne a inséré, aujourd’hui, la communication suivante :
Le prix de la vie.
La mairie de Reims nous communique la note suivante :
Nos concitoyens ont, depuis quelques jours éprouvé un peu d’émotion, en constatant l’élévation soudaine du prix de la viande et la rareté de la farine.
Des renseignements qui ont été communiqués hier au Conseil, par la municipalité, il résulte que la hausse de la viande s’étend actuellement à toute la France.
Les énormes besoins de l’armée, l’alimentation abondante qui li est fournie, ont peu à peu diminué l’importance du troupeau français – la demande a dépassé l’offre – et il s’en est suivi une hausse sensible sur toutes les catégories de viandes.
Le gouvernement et les chambres de commerce s’en sont émus et prennent une série de mesures destinées à parer au déficit constaté : introduction, pendant cinq ans de quantités considérables de viandes frigorifiées ; proposition, non encore votée, d’acheter une importante quantité de bétail vivant – certains demandent 200 000 têtes de bovidés, etc.
Mais toutes ces mesures, si efficaces qu’elles doivent être, ne produiront leur effet que dans quelque temps, et il faut s’attendre à voir le prix de la viande rester dans toute la France à des prix élevés.
En ce qui concerne la ville de Reims, les achats actuels sont pratiqués exactement de la même manière que depuis 10 mois et dans augmentation des frais de transports ou autres ; mais s’il a été possible, pendant presque toute cette période, de ravitailler la ville en viande excellente à des prix équivalents à ceux du temps de paix, nous ne pouvons échapper seuls à une hausse qui frappe toute la France, et il nous faut subir les cours des marchés de bestiaux.
La municipalité suivra la question avec l’attention la plus vive, afin de profiter des circonstances favorables.
Pour la farine, un accident de machine survenu à un important moulin, a causé quelques embarras, et, d’autre part, les achats faits en large proportion dans d’autres départements, se sont heurtés, en dehors des difficultés de transports, à des interdictions de sorties prononcées récemment par certains préfets qui désirent conserver dans leur département la farine produite.
Mais ces difficultés parfois considérables, sont sur le pont d’être surmontées ; des mesures sont prises pour obtenir des arrivages réguliers en reconstituant les stocks nécessaires, et de très larges achats de blé, comme des contrats avec la meunerie, assurent pour plusieurs mois la consommation de notre ville.
– Depuis la seconde quinzaine de mars, Mme Martinet et moi, nous occupions activement à préparer le déménagement du beau mobilier garnissant entièrement la maison n° 8, rue Bonhomme, dont le bail, consenti à M. et Mme Ricard, venait à expiration le 24 juin courant.
D’autre par, M. l’abbé Marc Ricard, installé depuis fin septembre 1914 avec ses parents, dans leur propriété de famille, à Beauvais, nous avait priés de lui adresser en même temps son mobilier personnel qui remplissait un appartement du rez-de-chaussé 12, rue Bonhomme, où il habitait avant la guerre.
Le désir exprimé par la famille Ricard, de voir réaliser au plus tôt l’expédition complète de ce qu’elle possédait à Reims, avait pu être provoqué par la nouvelle de l’arrivée d’un obus sur la cuisine du n° 8, dans la nuit du 21 au 22 février 1915 – que j’avais tenu à signaler aussitôt. L’explosion d’un nouveau projectile incendiaire sur la maison voisine (n°10), dans la soirée du 28 avril était venue fortifier certainement la décision déjà prise. Quelques envois partiels avaient préludé à la manifestation de ce désir ; j’avais expédié deux caisses de volumes de la bibliothèque du n°12, dont l’une pesant 90 kilos ; Mme Ricar m’avait fait demander, au cours de l’hiver, de lui envoyer divers objets, une fourrure, du linge, etc., mais la question du déménagement total des deux mobiliers avait été soulevée par une lettre de M. Ricard, de mars 1915 et je m’étais tout de suite mis à son entière disposition, trop heureux que j’étais de cette occasion de rendre service à une famille qui nous avait si généreusement offert l’hospitalité, lorsque les miens et moi, nous étions trouvés brutalement dépourvus de tout, sans mobilier et sans abri, après l’incendie du 19 septembre 1914.
Cependant, l’opération était d’importance.
Le déménagement de M. et Mme Ricard et leur installation à Beauvais étaient prévus dès juillet 1914. Partis en vacances à la mer, d’où ils étaient revenus précipitamment à la déclaration de guerre, ils en avaient commencé les préparatifs. Trois ou quatre caisses de la maison de déménagements Walbaum, quelques paniers garnis par Mme Ricard qui avait tenu à y mettre et disposer elle-même, avec précaution, ses cristaux et diverses choses des plus fragiles, étaient déjà prêts à être enlevés. Une réserve d’emballages, constituée par une quinzaine de caisses et à peu près autant de paniers à moitié remplis de foin, appartenant à la même entreprise, se trouvait au sous-sol, toute prête à être utilisée.
La maison Walbaum, dont les bureaux avaient été transférés ailleurs, ne faisant plus de déménagements à Reims, je m’étais mis en rapport, aussi tôt la réception d’une lettre de M. Ricard m’y autorisant, avec Rondeau, qui assurait l’acheminement des transports de Reims à Épernay par la route – mais les pourparlers avaient été des plus laborieux.
Le déménagement, suivant les premières promesses faites et réitérées, devait être effectué fin mars. Combien de fois me fallut-il faire des démarches à l’hôtel de la Couronne, place Colin, où je ne pouvais voir Rondeau, qui habitait Épernay, que deux jours par semaine, pur obtenir continuellement de nouvelles promesses qui n’étaient pas tenues ; le long trajet que cela m’imposait, au-delà du canal, n’avait rien d’intéressant lorsque « ça » venait à bombarder tandis que j’étais en route… J’informais chaque fois m. Ricard qui, de son côté attendait toujours et avait lieu de s’impatienter. Il écrivait et faisait écrire à Rondeau par son confrère en déménagements de Beauvais, sans rien obtenir non plus.
Après un voyage que M. Ricard crut devoir effectuer spécialement de Beauvais à Épernay, pour relancer l’entreprise de déménagements, je vis enfin venir la première voiture rue Bonhomme, le 25 mai. Elle était escortée par trois hommes et conduite par un camionneur ; il y avait deux mois que je l’attendais. Deux mois au cours desquels j’avais reçu une volumineuse correspondance de M. Ricard me faisant par de ses craintes, de ses inquiétudes avivées lorsqu’il apprenait par les journaux que la ville de Reims venait d’être à nouveau bombardée, craintes qui ne coïncidaient heureusement pas avec toutes celles que nous pouvions avoir sur place, presque journellement, car le communiqué passait sou silence certaines séances de bombardement particulièrement dangereuses dont j’évitais de lui parler dans mes réponses.
Mais, pendant ce délai, Mme Martinet avait travaillé. Elle avait vidé toutes les armoires à linge et aidée de temps en temps par sa fille, empaqueté et cousu les nombreux colis de literies ; ma sœur était venu une ou deux fois lui donner également un coup de main pour l’emballage délicat de la vaisselle. J’avais eu tout le temps nécessaire de mettre en caisses moi-même, le dimanche, les objets de valeur du salon et d’ailleurs, les pendules, appliques en bronze doré, bibelots, etc., de préparer les paniers de vins en bouteilles de la cave et, comme il m’arrivait de n’être pas toujours satisfait et de recommencer une caisse après l’avoir vidée entièrement, si le couvercle s’adaptait mal, Mme Martinet me disait en riant :
« Eh bien, vous en avez de la patience ! »
C’était pour moi une distraction. Nous avions le temps, nous pouvions soigner le travail. J’avais tenu à l soigner particulièrement pour le bureau de M. Ricard, en empaquetant tous ses carnets personnels ou les différents objets qui s’y trouaient renfermés, sans les changer de place, de manière qu’à l’arrivée, les tiroirs fermés à clé présentassent tous leur contenu tel que li-même l’avait composé précédemment.
Afin d’éviter un long stationnement des voitures, sous un bombardement éventuels, nous avions ainsi disposé pour être enlevés, cinquante-six caisses, paniers et malles, quelques-unes de ces dernières de taille imposante, sans compter les mannes de linge, colis de literie, petites caisses, cartons ,paquets qui portaient à quatre-vingt le total de ces dives bagages, tous étiquetés et numérotés.
Il m’avait fallu annoncer, dans de longues correspondances, la composition des charrois et l’emplacement exact des nombreuses clés qui avaient été placées, avec l’indiction de leur destination – malles, coffrets, cadenas, etc. au-dessus de certaines caisses clouées et facilement reconnaissables.
Les voitures n’étaient pas venues l’une derrière l’autre. Plusieurs jours s’étaient écoulés entre les divers chargements et tous ne s’étaient pas faits tranquillement, loin de là. Deux fois, en raison du bombardement, les hommes avaient dû abandonner des véhicules à moitié remplis et non fermés.
Enfin, ce double déménagement venait d’être terminé. Il y avait fallu hit chargements faits dans 1) un wagon spécial ; 2) quatre cadres ; 3) trois grandes voitures capitonnées.
J’étais on ne peut plus satisfait d’avoir vu la dernière voiture s’éloigner de la rue Bonhomme et d’être venu à bout, grâce au dévouement et l’aide précieuse de Mme Martinet, de ce travail particulièrement difficile et nous avions été très heureux d’apprendre que les premiers meubles et objets, transportés dans deux cadres, étaient parvenus en d’excellentes conditions ; nous avions entièrement confiance, après cela, pour l’arrivée du reste dans accident (1).
– Mme Martinet devant partir pour Beauvais, où elle est appelée par la famille Ricard, je quitte donc aujourd’hui, définitivement, la maison n° 8 rue Bonhomme, après l’avoir habitée depuis le 30 novembre 1914, soit six mois, pour m’installer auprès de la ma sœur, restée seule au 2e étage 8, place Amélie-Doublié, depuis que mon beau-frère Montier a rejoint (2). Il a été convenu que nous prendrons nos repas ensemble, tandis que nous descendrons chaque soir, occuper pour la nuit des chambres e l’appartement du rez-de-chaussée n°2 – même place – après autorisation des locataires, qui ne sont plus à Reims.
Ces jours-ci déjà, j’avais fait quelques apparitions dans le nouveau quartier où je vais élire un troisième domicile provisoire depuis les incendies de septembre 1914, et c’est ainsi que j’y couchais la nuit dernière, alors qu’à 1 heures du matin, une attaque de notre part a eu lieu sur le font devant Reims.
Notre artillerie déclenchait un feu terrible. D’une lucarne de cette maison n° 2 place Amélie-Doublié, nous voyons parfaitement les éclairs des coups de canon tiré de la direction de la Pompette, les explosions en l’ai de Shrapnells et les éclatements en un bruit formidable, qui se répercutait longuement, d’autres engins, au-dessus de lignes. De nombreuses fusées montaient de temps en temps du « mamelon », pour éclairer les tranchées. Les projecteurs manœuvraient également et sur notre gauche, une batterie qui se trouvait probablement près de la prison, rue Danton, faisait un vacarme effrayant.
Par un temps bien clair et une nuit très douce, on entendait, au milieu des détonations épouvantables qui partaient d’un bout à l’autre du front, devant Reims, le crépitement serré des coups de fusil, le tac-tac des mitrailleuses.
De l’endroit où nous étions postés, l’ensemble aperçu présentait assez, à la vue, l’aspect d’un gigantesque feu d’artifice, s’il est permis de faire un rapprochement entre la fin dune fête publique et un champ de bataille où les engins de mort – dont nous pouvions soupçonner les terribles effets de part et d’autre, – s’abattaient à profusion.
A 3 heures seulement, nos pièces se taisaient, et, un peu plus tard, nous retournions nous coucher en nous demandant ce que nous apprendrions de l’opération, par la suite.
Paul Hess dans Reims pendant la guerre de 1914-1918, éd. Anthropos
Cardinal Luçon
Jeudi 7 – Nuit comme je viens de le dire. Journée tranquille. Aéroplanes ; nuit tranquille, contrairement aux craintes de bombardement.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Juliette Breyer
Lundi 7 Juin 2015. Il y a eu un combat toute la journée d’hier. Ça devait être près de Soissons. Nous entendions la canonnade lointaine. Mais cette nuit c’était près de chez nous, à Bétheny. Les nôtres ont tiré sans arrêt ; nous n’avons pas dormi. Cela remue le cœur et nous fait penser à ceux qui nous manquent. Pourvu que le résultat soit bon ! C’est tout ce que j’ai à te dire aujourd’hui mon Charles mais je t’envoie de loin tous mes baisers.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Renée Muller
7 juin, j’oubliais de dire que j’ai entendu une forte canonnade du côté de Perthes, aujourd’hui, ça a l’air de recommencer nous voyons depuis 2 jours, BILBO MOLLEUX et hier LERAY, Noémie a été à Cormontreuil et ce matin encore
Renée Muller dans Journal de guerre d'une jeune fille, 1914
Lundi 7 juin
Le canon a tonné, après un long silence,au nord de l’Aisne. A l’est de Tracy-le-Mont, nous avons prononcé une attaque, et après un bombardement efficace, enlevé deux lignes de tranchées sur un front d’un kilomètre. Nous avons ensuite repoussé plusieurs contre-attaques et pris 200 hommes et trois canons. Combats d’artillerie sur les Hauts-de-Meuse et dans les Vosges.
Les Italiens activent la concentration de leur armée derrière les positions conquises du col de Stelvio à la mer. Ils ont bombardé la côte dalmate et endommagé la voie ferrée de Raguse à Cattaro.
Aux Dardanelles, les Franco-Anglais ont attaqué sur tout le front. Les Anglais ont occupé deux lignes de tranchées turques. Notre première division a enlevé la première ligne ennemie, la flotte donnant un concours efficace. Les pertes ottomanes sont élevées. Les forces alliées ont capturé plusieurs centaines d’hommes, parmi lesquels quelques Allemands.
La Bulgarie poursuit ses préparatifs militaires.
Source : La Grande Guerre au jour le jour