Louis Guédet
Mardi 6 avril 1915
206ème et 204ème jours de bataille et de bombardement
5h1/2 soir Journée pas trop laide, plutôt froide. La nuit il a plu tout le temps. Je suis donc toujours dans l’eau, quelle vie ! de misérable !
Reçu lettres de Robert et de ma chère femme qui se contredisent (contrariés) au sujet de savoir s’il faut aller ou non à St Martin. Je ne sais que leur dire et je les prie de se concerter quand Robert sera rentré à Paris, et de faire pour le mieux.
Reçu lettre de Maître Rosey, avocat légataire universel de Madame Fulgence Collet, passage rayé, me demandant de lui apporter à Épernay les valeurs de cette succession, plus d’un million, qui sont au Crédit Lyonnais, à Épernay où il viendrait les prendre !! Ne pourrait-il pas pousser jusqu’à Reims ? Si ! mais… il y a des bombes qui sont bien bonnes pour moi, mais pour lui non !
Le passage suivant est gommé, rayé, illisible… sur 6 lignes.
Et ces gens-là viendront vous imposer leurs 4 volontés !!
Impressions, Louis Guédet, Notaire et Juge de Paix à Reims. Récits et impressions de guerre d'un civil rémois 1914-1919, journal retranscrit par François-Xavier Guédet son petit-fils
Cardinal Luçon
Mardi 6 – Nuit tranquille. Canonnade abondante dans l’après-midi. Bombes sifflantes (fusantes). Visite à M. Kunkelmann.
Cardinal Luçon dans son Journal de la Guerre 1914-1918, éd. par L’Académie Nationale de Reims – 1998 – TAR volume 173
Hortense Juliette Breyer
Mardi 6 Avril 1915.
Aujourd’hui je suis aux caves. J’en profite toujours pour écrire quand j’ai de nouvelles adresses te concernant. J’ai écrit au soldat Henri Lande pour qu’il me dise, puisqu’il t’avait connu, si tu avais souffert de la faim et du froid et si quelquefois tu avais parlé de nous. On s’ennuie tant et je voudrais tout savoir. Maintenant j’ai aussi adressé une lettre à Berlin, à une adresse trouvée sur le journal pour les prisonniers qui n’ont pas de résidence connue. J’essaie de toutes les façons.
Mais quelle vie est la mienne ! Aujourd’hui chez l’un, demain chez l’autre ; c’est triste quand on n’a plus de maison. Pauvre grand, si je te savais vivant au moins, j’endurerais tout. Ton coco t’aime, vois-tu ; je lui ai mis un médaillon avec ton portrait et il l’embrasse tout le temps. « Mon papa » dit-il. Pauvre crotte, je t’aime toujours mon Charles et c’est pour la vie.
Maintenant je te dirai aussi que j’attends toujours des nouvelles de Mme Fuhrer et qu’elles ne viennent pas. Figure toi qu’au début du bombardement j’ai eu pitié d’elle. Elle était restée sans un sou et il fallait bien qu’elle mange. Pendant un mois je lui ai avancé de la marchandise et cela est monté à 97 francs, somme qu’elle devait m’envoyer aussitôt arrivée à Troyes. C’était fin Novembre et j’attends toujours. Je vais lui réécrire et si ça ne suffit pas, j’écrirai à M. Fuhrer. Que veux-tu, ce n’est pas le moment de perdre de l’argent.
Je te quitte mon tit Lou. Tes deux petits cocos t’envoient leur petit cœur. La petite sœurette commence à rire. Ah si tu étais près de nous, quelle joie ! Mais bonsoir mon Charles et espérons.
Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) - Lettres prêtées par sa petite fille Sylviane JONVAL
De sa plus belle écriture, Sylviane Jonval, de Warmeriville a recopié sur un grand cahier les lettres écrites durant la guerre 14-18 par sa grand-mère Hortense Juliette Breyer (née Deschamps, de Sainte-Suzanne) à son mari parti au front en août 1914 et tué le 23 septembre de la même année à Autrèches (Oise). Une mort qu’elle a mis plusieurs mois à accepter. Elle lui écrira en effet des lettres jusqu’au 6 mai 1917 (avec une interruption d’un an). Poignant.(Alain Moyat)
Il est possible de commander le livre en ligne
Mardi 6 avril
Nous avons réalisé des progrès intéressants à l’est de Saint-Mihiel et à l’ouest de Régniéville.
D’après les renseignements qu’a recueillis l’autorité militaire, les avions de l’armée britannique ont endommagé le hangar à dirigeables de Berghen-Sainte-Agathe (Belgique), ainsi qu’un dirigeable qui y était abrité. A Hoboken, ils ont incendié les chantiers de constructions navales, détruit deux sous-marins, endommagé un troisième sous-marin, tué et blessé 102 Allemands.
L’Amérique a rappelé tous ceux de ses officiers qui étaient en mission à l’armée allemande. On croit que le cabinet de Berlin se serait déclaré froissé de l’attitude de ces officiers qui étaient trop favorables, d’après lui, à la cause des alliés.
L’armée russe qui opérera contre Constantinople comprendra 150.000 hommes.
Les sous-marins allemands ont coulé deux vapeurs anglais et un voilier russe. Ils auraient aussi torpillé un navire italien.
Le général Porro a été nommé sous-chef d’état-major de l’armée italienne.
Les pertes allemandes sont maintenant, officiellement de 1.500.000 hommes.
Des manifestations ont eu lieu à la Haye contre le nouveau ministre d’Allemagne, M. de Cuhlmann.
Le ministre de Bulgarie a présenté ses excuses, à Athènes, à M.Zographos, ministre des Affaires étrangères, au sujet, d’un attentat commis contre la légation hellénique à Sofia.
Un prêtre catholique a été pendu en Syrie pour avoir écrit une lettre au président de la Chambre française en dénonçant la situation faite aux Libanais.
Source : La Grande Guerre au jour le jour